Intervention de Patrick Devedjian

Réunion du 2 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Devedjian :

À l'instar de Philippe Houillon, je salue le travail considérable accompli par les auteurs de la proposition de loi. Je ne doute pas de la nécessité d'une remise en ordre de notre système, devenu parfaitement anarchique — le législateur ayant d'ailleurs largement contribué à le désorganiser plus encore —, mais je m'interroge.

Sur le plan des principes, vous proposez finalement que le législateur s'incline devant la jurisprudence contra legem de la Cour de cassation : c'est un peu choquant. La Cour de cassation a ignoré la loi, imposé sa propre conception de la prescription, et nous devrions valider cette démarche ? Ce n'est pas un bon signal institutionnel.

La proposition de loi, cela a été dit, propose grosso modo un doublement des délais de prescription. Mais quid du jugement dans un délai raisonnable ? C'est, vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, une notion maintenant prise en considération ; or elle s'oppose plutôt à l'allongement des délais de prescription : les infractions seront jugées de plus en plus tardivement.

L'Italie vit — à moins que des évolutions récentes qui m'auraient échappé n'aient bouleversé ce système — selon le principe de la légalité des poursuites, et non de leur opportunité. Et je me demande si nous ne devrons pas aller vers un tel principe, qui constituerait un contrepoids au pouvoir d'un parquet appelé inéluctablement à devenir indépendant. Bien sûr, les magistrats ont une éthique, une conscience, nul n'en doute : mais quelle est la responsabilité politique de celui qui, en se fondant sur le principe d'opportunité des poursuites, décide de poursuivre ou de classer ? Il n'y en a pas. Or c'est un pouvoir considérable.

En Italie, ce principe de légalité des poursuites est en quelque sorte régulé par la prescription : évidemment, les magistrats sont submergés, et la prescription est une méthode de désengorgement des tribunaux. Les affaires qui ne méritent pas d'être poursuivies — celles qui, avec un principe d'opportunité, seraient simplement classées — sont mises en dessous de la pile en attendant qu'elles soient prescrites.

Dans un tel cadre, un allongement des prescriptions ne serait pas une bonne idée. C'est un problème avec lequel, malheureusement, je crains que nous n'en ayons pas fini. Les évolutions en cours de notre propre système judiciaire — l'indépendance du parquet, en particulier — conduiront très probablement le législateur, dans un avenir qui n'est pas éloigné, à revenir sur ces principes que vous espérez stables.

La Cour de cassation étant ce qu'elle est, et prenant de plus en plus l'habitude de statuer contra legem, c'est-à-dire de prendre des libertés avec la loi, je redis que nous ne sommes pas « sortis de l'auberge ».

Vous l'avez compris, je m'interroge. La situation actuelle est en effet inacceptable. Vous proposez indiscutablement une remise en ordre : je la crois partielle et provisoire, mais elle sera salutaire.

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