Intervention de Joël Giraud

Réunion du 2 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur :

La présente proposition de loi reprend une disposition d'origine sénatoriale en faveur du secteur coopératif que nous avons déjà examinée puis adoptée avec le soutien exprès du Gouvernement à l'automne, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015. Toutefois, le Conseil constitutionnel l'a censurée, en dépit de son intérêt sur le fond, au motif qu'il s'agissait d'un cavalier budgétaire — un risque qui avait d'ailleurs été soulevé lors du débat en séance. Il s'agit donc de rétablir cette disposition afin de répondre au constat de nos collègues sénateurs selon lequel la forte baisse du plafond des rémunérations pouvant être accordées aux sociétaires de coopératives au titre de la détention de parts de leur société entraîne un risque de report sur d'autres produits de placement et fragilise le modèle économique des coopératives et de l'ensemble de l'économie sociale et solidaire, à laquelle nous sommes tous attachés.

Le principe de gouvernance démocratique sur lequel reposent les coopératives se traduit en effet par l'attribution de parts à l'ensemble des sociétaires, ce qui garantit leur participation à la vie de l'entreprise. Cependant, il va de soi que le caractère lucratif de ces attributions est strictement encadré : c'est une loi ancienne, celle du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, qui plafonne à son article 14 le taux de rémunération des sociétaires à un niveau au plus égal au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées, le TMO. Or celui-ci, défini en fonction des intérêts des obligations de long terme de l'État, n'a cessé de diminuer, en partie du fait de la politique d'assouplissement quantitatif mise en oeuvre par la Banque centrale européenne. Rappelons qu'il était encore fixé à 4,7 % en 2007 et qu'il n'atteignait plus que 1,2 % en 2015. De surcroît, cette baisse est concomitante de l'alourdissement de la fiscalité pesant sur ces rémunérations : le régime fiscal appliqué aux intérêts versés par les coopératives est en effet équivalent à celui des dividendes servis par les sociétés privées ne relevant pas de l'économie sociale et solidaire. Le montant effectivement perçu desdits intérêts est donc compris dans le revenu imposable des sociétaires et imposé au barème de l'impôt sur le revenu à raison de 60 % de leur montant, sachant que s'y appliquent également les prélèvements sociaux à hauteur de 15,5 %.

Cette situation emporte plusieurs conséquences. Tout d'abord, le secteur coopératif, qui participe à l'économie sociale et que nous nous efforçons d'encourager, est doublement pénalisé : sur le plan fiscal, il est traité de la même manière que des entreprises ne relevant pas de l'économie sociale et son attractivité pâtit de la référence aux taux d'intérêt applicables aux émissions de dette de l'État, qui sont historiquement bas et totalement déconnectés des résultats économiques des coopératives : leur chiffre d'affaires n'a cessé d'augmenter ces dernières années alors que, paradoxalement, la rémunération des sociétaires s'est affaiblie au point de devenir infime. La baisse des taux — phénomène récent qui a provoqué d'autres dysfonctionnements concernant les emprunts des collectivités territoriales, par exemple — n'avait en effet pas été anticipée lors de l'adoption en 1992 de la référence aux taux d'intérêt applicables à l'État.

D'autre part, la faible attractivité de la détention de parts sociales de coopératives limite le maintien du capital des sociétaires dans les entreprises — en particulier agricoles — et, par conséquent, leur capacité à investir. Elle assèche également les éventuels apports en capitaux extérieurs.

Les risques courus par le secteur bancaire coopératif sont importants, car cette faible attractivité peut se traduire par une diminution des fonds propres des banques coopératives, qui comprennent les parts sociales alors que les ratios prudentiels ont été renforcés par les accords de Bâle. Pour mémoire, les banques coopératives constituent environ les deux tiers du secteur bancaire français, dont tout un pan serait ainsi mis à mal.

Pour remédier à cette situation, la présente proposition de loi reprend la solution présentée par le Sénat et adoptée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale : le plafond de rémunération serait désormais égal à la moyenne des TMO constatée au cours des trois années précédant l'année de référence et majorée de deux points. Cette évolution présente plusieurs avantages. Tout d'abord, elle permet de compenser quelque peu la hausse de la fiscalité applicable à ces produits et de les rendre plus attractifs. Ensuite, on se contente toujours de ne fixer qu'un plafond de rémunération, puisque les coopératives demeureront libres d'augmenter ou non la rémunération de leurs parts sociales en fonction de leur situation économique et des bénéfices qu'elles réalisent. En outre, la marge de deux points leur permettra de garantir une plus grande stabilité des taux de rémunération, et ce même si la moyenne des TMO fluctue d'une année sur l'autre.

Certes, la baisse du rendement a touché d'autres produits de placement depuis le début de l'année. Pourquoi, se demandera-t-on, faudrait-il dès lors revaloriser la rémunération des parts sociales des coopératives plutôt que d'autres produits ? Il y a plusieurs raisons à cela. D'une part, des dispositions spécifiques favorisent déjà l'attractivité d'autres produits, comme la fiscalité extrêmement avantageuse réservée aux livrets réglementés ou à l'assurance-vie, qui a été entièrement préservée ces dernières années. D'autre part, les coopératives et leurs filiales représentent 26 millions de sociétaires et 1,2 million de salariés. Elles sont particulièrement présentes dans le secteur agricole, qui traverse actuellement une crise grave, et dans ceux du commerce de détail et de la banque de détail. Le secteur coopératif français est, par son dynamisme, le deuxième au monde et défend des principes importants comme la gouvernance démocratique et la limitation de la lucrativité, ce qui justifie de soutenir son modèle économique — comme l'a illustré le débat concernant la réforme de l'économie sociale et solidaire. Ainsi, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi.

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