Intervention de Joël Giraud

Réunion du 2 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur :

Boisée à 30 %, la France bénéficie d'une véritable manne forestière. Richesse patrimoniale et esthétique, capital écologique et économique, la forêt française doit être non seulement mise en valeur mais également protégée, notamment contre le feu. Ce devoir de protection incombe aux pouvoirs publics et aux propriétaires des terrains.

Il faut, à titre liminaire, souligner l'efficacité de la politique de protection des forêts. Depuis vingt ans, la superficie moyenne annuelle brûlée a considérablement baissé : s'établissant à plus de 26 000 hectares entre 1994 et 2003, elle a été ramenée pour la dernière décennie à moins de 11 000 hectares. Ce succès est le fruit de l'action complémentaire des pouvoirs publics : État, collectivités territoriales, services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et réserves communales de sécurité civile.

La prévention et la lutte contre les feux de forêts ne se résument cependant pas aux actions conduites par les sapeurs-pompiers et par les unités aériennes de la sécurité civile, certes particulièrement visibles et légitimement appréciées. D'autres dispositifs, plus discrets mais primordiaux, participent à la défense de la forêt afin de garantir à cette dernière une protection optimale.

Ce sont, d'abord, les dispositifs prévus par le titre III du livre Ier du code forestier, mis en oeuvre pour l'essentiel par les préfets, et qui permettent d'adapter à l'intensité du risque d'incendie les contraintes pesant sur les propriétaires de terrains ainsi que les prérogatives publiques.

C'est, d'autre part, l'Entente pour la forêt méditerranéenne, qui réunit quatorze départements, quatorze SDIS et la Corse, et qui a été consacrée à l'article L. 1424-59 du code général des collectivités territoriales.

Enfin, c'est l'action volontaire des départements, sur le fondement de leur clause de compétence générale — j'allais dire de par leur clause de compétence générale. Cette action peut prendre plusieurs formes : information et sensibilisation des populations ; travaux d'aménagement et d'entretien d'infrastructures utiles à la lutte contre l'incendie ; débroussaillement et maintien en l'état des zones débroussaillées ; surveillance des massifs ; intervention sur les feux naissants.

Toujours sur le fondement de leur clause de compétence générale, certains départements du sud de la France ont mis sur pied des unités spéciales de défense des forêts contre l'incendie : les « forestiers-sapeurs », que connaissent sans doute ceux qui, parmi vous, viennent de ces circonscriptions.

Malgré les succès enregistrés ces dernières années, la vigilance doit rester constante lorsqu'il s'agit de défendre les forêts. En 2015, 11 500 hectares ont pris feu et la superficie incendiée dans le sud-ouest de la France, cette fois, a été multipliée par deux. On voit que le phénomène se déplace, une tendance qui va s'accentuer avec l'évolution du climat : il y a quelques années, il n'y avait pas dans les Alpes les incendies de forêts géants que l'on y observe aujourd'hui.

L'efficacité de la protection des forêts risque pourtant d'être fragilisée par la réforme territoriale mise en oeuvre par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Si cette loi, sur les quelques imperfections de laquelle je ne reviendrai pas — le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste les avait suffisamment soulignées à l'époque —, a permis des avancées nombreuses et importantes dans le domaine de la sécurité civile, son article 94 n'en pose pas moins un problème en supprimant la clause de compétence générale des départements. Car c'est sur cette clause que les départements fondaient leurs interventions dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui. Et si un dispositif transitoire a maintenu le principe de cette action jusqu'à la fin de l'année dernière, son terme prive les départements de toute possibilité d'agir, et le corps des forestiers-sapeurs de toute base légale.

Si la compétence départementale n'était pas rapidement rétablie, les conséquences sur la protection des forêts seraient dramatiques. Le Gouvernement en avait d'ailleurs conscience au moment de l'examen du projet de loi NOTRe, puisqu'il avait envisagé de déposer un amendement correspondant au dispositif ici proposé, mais qui, hélas, a été écarté en raison de la « règle de l'entonnoir ».

C'est pour combler ce vide que notre collègue Pierre-Yves Collombat, éminent sénateur du Var et membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), a fort opportunément déposé la proposition de loi qui vous est soumise ce matin et qui constitue une « rustine » à la loi NOTRe, comme d'ailleurs la proposition de loi n° 3474 visant à permettre l'application aux élus locaux des dispositions relatives au droit individuel à la formation et relative aux conditions d'exercice des mandats des membres des syndicats de communes et des syndicats mixtes, qui a été présentée ce matin par notre collègue Olivier Dussopt.

Cette proposition de loi, que le Sénat a modifiée afin d'en accroître l'efficacité, introduit dans le code général des collectivités territoriales une nouvelle division, composée d'un article unique L. 3232-5, permettant aux départements qui le souhaitent — j'y insiste — de financer ou de mettre eux-mêmes en oeuvre toute action jugée utile pour prévenir et lutter contre les feux de forêts.

Elle était initialement cantonnée aux territoires particulièrement exposés aux risques d'incendie, mais tous les départements français sont désormais éligibles au dispositif. Cette extension, loin d'être un luxe superflu, se révèle nécessaire compte tenu des changements climatiques, qui, je l'ai dit, auront pour effet de fragiliser des régions jusque-là épargnées par les incendies de forêt. Elle n'entraînera au demeurant aucune obligation supplémentaire, puisque le dispositif proposé, facultatif, repose sur une démarche purement volontaire des départements. La proposition de loi est d'ailleurs naturellement soutenue par l'Association des départements de France.

Attendu par les départements, le texte qui vous est soumis est également soutenu par le Gouvernement. Son objet transcende les clivages politiques, ce qui lui a permis d'être adopté à l'unanimité au Sénat. Je vous invite à faire de même, mes chers collègues.

Avec votre bienveillance, monsieur le président, je me permettrai enfin d'exprimer un regret. Si, naturellement, je me réjouis que cette proposition de loi, portée par le groupe parlementaire auquel j'ai l'honneur d'appartenir, vienne en discussion, je regrette qu'il ait fallu autant de temps. En effet, déposée en octobre au Sénat, adoptée par la commission des Lois de cette chambre puis par la chambre elle-même en novembre, la proposition n'aura pas été examinée ici même avant ce mois de mars, alors que le Gouvernement, je l'ai rappelé, avait connaissance du problème dès la deuxième lecture du projet de loi NOTRe. Il eût été préférable de ne pas attendre trois mois et demi avant que le texte soit inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée, d'autant que le corps des forestiers-sapeurs est tombé depuis le 1er janvier dans un vide juridique qui aurait pu conduire certains comptables à refuser d'établir les feuilles de paie de ces agents.

Cela étant dit, je vous renouvelle mon invitation à adopter ce texte dans les mêmes termes que le Sénat.

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