Intervention de Florence Mangin

Réunion du 2 février 2016 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Florence Mangin, directrice de l'Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international :

Vos interventions font toucher du doigt la forme de piège dans lequel nous, Européens, y compris les médiateurs allemands et français que nous sommes, avons peut-être eu tendance à tomber du fait de la rhétorique russe. Ainsi que je l'indiquais tout à l'heure, M. Poutine et les Russes nous disent, lors de chaque conversation, qu'ils mettent en oeuvre le processus de Minsk et que ce sont les Ukrainiens qui ne font pas leurs devoirs.

La presse retient, à juste titre, que la réforme constitutionnelle est bloquée, sachant qu'il y a eu des morts devant la Rada lors de son adoption en première lecteur le 31 août dernier. Certes, on peut dire que nous cédons trop aux Ukrainiens, que ce sont des voyous et que, par conséquent, nous ne pouvons pas leur faire confiance. Mais, si la réforme constitutionnelle est entièrement du ressort de l'Ukraine, ce sont les Russes qui portent la responsabilité principale – je ne dis pas exclusive – des deux autres points de blocage dans la mise en oeuvre des accords de Minsk.

Ainsi, si l'on n'obtient pas une situation tout à fait sûre sur le terrain et si l'OSCE ne peut pas jouer pleinement son rôle en la matière, c'est en grande partie à cause des Russes et des séparatistes. D'autre part, si l'on ne parvient pas à un compromis sur la loi électorale au sein du groupe de travail présidé par l'ambassadeur Morel, c'est parce les séparatistes épaulés par la Russie défendent des positions maximalistes depuis des mois. La Russie reconnaît que le Donbass est en Ukraine et que les élections doivent se dérouler selon la loi ukrainienne – principe que nous avons tous repris –, mais elle n'accepte pas que les partis ukrainiens y présentent des candidats, que les médias ukrainiens les couvrent et que les déplacés de la région, qui sont plus d'un million, votent. Depuis le 2 octobre dernier, on a en effet le sentiment que le processus est en panne. Nous avons pris acte – nous ne pouvions guère faire autrement – que le calendrier prévu par les accords de Minsk n'a pas été respecté. Il est donc très important d'obtenir la fixation de nouveaux éléments de calendrier, afin de recréer une dynamique. Nous y croyons, tout en reconnaissant que tout calendrier présente, en soi, un élément de faiblesse : par exemple, si nous convenons – telle est notre intention – que la loi électorale doit être définie dans ses grandes lignes avant la fin du mois de février ou mars et que tel n'est pas le cas pour une raison ou une autre, la crédibilité même du processus sera remise en question.

Que veulent les Russes et les Ukrainiens pour le Donbass ? Notre analyse en la matière ne relève pas d'une science exacte.

S'agissant de la Russie, plusieurs éléments objectifs laissent penser qu'elle ne serait pas malheureuse si on lui trouvait une solution de sortie qui lui permette de sauver la face : premièrement, la priorité accordée à la Syrie, qui impliquera peut-être que des moyens militaires soient redéployés dans cette région ; deuxièmement, le fait que la Russie, dans la situation économique où elle se trouve actuellement, ne peut pas et ne veut pas payer pour la reconstruction du Donbass ; troisièmement, le fait que le rôle des Russes dans le Donbass ne les sert pas. Lorsqu'ils ont voulu établir leur contrôle sur la région, ils ne s'attendaient pas à ce que les Ukrainiens soient capables de réagir et leur posent de telles difficultés, ni à ce que la communauté internationale, notamment la France et l'Allemagne, relève le gant de cette manière.

Certains signes montent qu'ils seraient plus enclins à négocier qu'auparavant. En outre, ils viennent de désigner un nouveau négociateur, qui est proche du président et en mesure de décider, ce qui n'était pas le cas de son prédécesseur. Nous verrons ce qu'il en sera à l'usage.

En ce qui concerne les Ukrainiens, on entend souvent dire qu'ils ne seraient pas mécontents si le Donbass disparaissait de leur carte. Malgré ses nombreux problèmes, l'Ukraine est un pays doté d'un système démocratique, qui souhaite restaurer son unité et recouvrer sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire et, donc, maintenir le Donbass dans cet ensemble. Douter de la réalité et de la sincérité de cette volonté serait faire injure aux Ukrainiens.

La question des sanctions est la plus difficile. Que nous le voulions ou nous, nous sommes liés par la décision que nous avons prise à l'unanimité au Conseil européen, en vertu de laquelle les sanctions seront levées lorsque les accords de Minsk seront mis en oeuvre. On ne peut changer les termes de ces conclusions que par une autre décision du Conseil européen sur le même sujet. On ne peut donc pas faire ce que l'on veut en la matière. D'autre part, en tant que médiateurs, la France et l'Allemagne ont souhaité se donner un rôle particulier dans la mise en oeuvre du processus de Minsk. Ces deux circonstances nous obligent, et je vois mal comment nous pourrions, à ce stade, modifier les règles.

Cependant, vous avez raison : l'attitude des Américains ne nous facilite pas la tâche. Ils défendent une position maximaliste, qui consiste à dire que l'on ne lèvera les sanctions que lorsque les accords de Minsk auront été appliqués jusqu'à la dernière virgule. Or, comme vous le savez, les Américains sont très présents et écoutés en Ukraine.

La position française a toujours été de dire que les sanctions sont non pas une punition, mais un instrument permettant de parvenir à une fin politique. Cela signifie qu'elles sont réversibles – si elles ne l'étaient pas, elles seraient une punition. Nous défendons donc une approche plus souple de la question. Toutefois, pour l'instant, cette position est inaudible pour la majorité de nos partenaires européens, qui s'en tiennent, pour faire simple, à l'approche américaine. Néanmoins, quelques États membres sont favorables à un assouplissement des sanctions, notamment les Italiens, essentiellement pour des raisons économiques. A ce stade, une levée des sanctions minerait la crédibilité de l'approche européenne et franco-allemande.

D'où l'importance, encore une fois, du calendrier : si, au printemps, nous obtenons des résultats tangibles tant en matière de sécurité que sur l'élaboration de la loi électorale, la question se posera dans d'autres termes et, en cohérence avec notre position politique sur les sanctions, on pourrait avoir une approche plus ouverte et tactique. Mais il faut être bien conscient que nous devrons faire bouger les vingt-huit.

Pour ce qui est de notre relation avec la Russie, j'ai bien entendu les appréciations que vous avez portées sur le langage diplomatique. Pour ma part, je suis assez à l'aise avec notre position actuelle, qui allie fermeté – nous disons aux Russes ce que nous devons leur dire – et ouverture, car, quoi qu'on en pense et quelles que soient les divergences que nous pouvons avoir avec elle sur un certain nombre de grands sujets internationaux, la Russie est un partenaire incontournable : si nous voulons régler les problèmes, il faut le faire avec elle. Je vous accorde que cette ligne combinant fermeté et dialogue n'est pas nécessairement facile à suivre au quotidien, mais elle me semble relativement équilibrée.

Lors de la réunion ministérielle de l'OTAN le 1er décembre dernier, il a été décidé de reprendre les travaux du Conseil OTAN-Russie au niveau des ambassadeurs – pas au niveau politique – précisément au nom de la logique selon laquelle, plutôt que de s'affronter, mieux vaut se parler, même sur des sujets d'une extrême sensibilité de part et d'autre. Nous avons fait cette proposition aux Russes, avec la crainte qu'ils chargent l'ordre du jour de sujets compliqués – pour notre part, nous avons décidé d'y inscrire l'Ukraine. Ils ont donné leur accord et le Conseil OTAN-Russie reprendra donc ses travaux au niveau des ambassadeurs à la fin du mois de février ou au début du mois de mars, avant le sommet de Varsovie.

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