Intervention de Dominique Orliac

Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Orliac, rapporteure :

La politique familiale volontariste menée par les pouvoirs publics depuis les années 1990 explique en grande partie les bons résultats démographiques que notre pays connaît aujourd'hui puisque l'indicateur de fécondité, de 1,96 enfant par femme en 2015 selon l'INSEE, est l'un des plus élevés d'Europe. Il convient toutefois de rester vigilant, car cet indicateur connaît une légère baisse depuis quelques années.

Cependant, la conciliation des vies familiale et professionnelle demeure source de difficultés, en particulier pour les femmes qui doivent conjuguer les réalités du travail avec les charges liées à la maternité ainsi qu'à la famille. Malgré l'avancée que représente notamment l'institution du congé de paternité et de l'accueil de l'enfant en 2001, dans les faits, les mères continuent de porter l'essentiel de la charge du travail domestique et des soins aux enfants, et ce sont elles qui en paient le plus lourd tribut en termes d'emploi et de carrière professionnelle.

Depuis 1909, les salariées enceintes bénéficient d'une protection contre le licenciement injustifié, qui s'étend du début de la grossesse jusqu'à quatre semaines après l'expiration de leurs droits à congé de maternité. Cette protection n'est cependant que relative, car, au cours de cette période, elle n'est ni applicable à un licenciement qui serait dû à une faute grave non liée à l'état de grossesse de la salariée ni si l'employeur justifie de son impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Cette précision est importante, et tout licenciement n'est impossible que pendant le congé de maternité. Par ailleurs, si une procédure de licenciement a été engagée avant que l'employée ait déclaré sa grossesse à son employeur, il reste loisible à cette dernière de réclamer l'annulation de cette procédure, dans un délai de quinze jours, en communiquant un certificat médical justifiant qu'elle est enceinte.

Plus récemment, l'article 9 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a introduit, à l'initiative du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Sébastien Denaja, le principe d'une protection relative de quatre semaines à compter de la naissance de l'enfant contre le licenciement du salarié nouvellement parent – dans les faits le père.

Le code du travail prévoit, en outre, un certain nombre de mesures destinées à permettre la conciliation entre la grossesse et le travail. Il protège la vie privée en interdisant à l'employeur de rechercher toute information sur l'état de grossesse de ses salariées et ne contraint pas la salariée enceinte à faire part de son état à son employeur, sauf pour bénéficier des dispositions légales protectrices. La salariée enceinte doit pouvoir bénéficier d'un changement de poste en cas de nécessité médicale, puis retrouver son poste précédent.

Cette protection se conjugue avec un régime grandement amélioré de lutte contre les discriminations, qui interdit toute mesure prise en considération de l'état de grossesse de la salariée, si ce n'est à son avantage.

La loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a ainsi prévu que « Toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé de maternité. » Toute discrimination fondée sur l'état de grossesse, notamment dans l'embauche, la sanction ou le licenciement de salarié, constitue désormais un délit punissable de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Ce principe républicain est repris par des instruments internationaux de protection des droits des salariées, que ce soit par des conventions élaborées dans le cadre de l'Organisation internationale du travail (OIT) ou par la directive européenne 9285CEE du Conseil concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. Si la France a ratifié la première convention de l'OIT de 1919, il est regrettable qu'elle n'ait pas fait de même pour celle de 2000, qui prévoit la protection contre le licenciement pendant la période de gestation ainsi que l'inversion de la charge de la preuve afin d'encourager à un respect universel des droits fondamentaux des travailleuses durant leur maternité.

La directive européenne précitée pose également le principe de l'interdiction du licenciement de la salariée enceinte « jusqu'au terme du congé de maternité ». Interprétant ces dispositions, la Cour de justice des communautés européennes a eu l'occasion de déterminer que cette protection interdisait également à l'employeur de prendre des mesures préparatoires à une décision de licenciement pendant la période de protection du congé de maternité, même si celle-ci devait être notifiée ultérieurement, solution adoptée par le juge français que je propose de codifier dans notre droit.

Cependant, le chantier de l'amélioration de ces dispositions, lancé par la Commission européenne en 2008, a malheureusement été arrêté en 2015, les institutions européennes n'ayant pas été en mesure d'aboutir sur un compromis, notamment sur l'augmentation du congé de maternité à quatorze voire vingt semaines pour toutes les femmes européennes. Dans le cadre de l'examen de ce projet de directive, le Parlement européen avait pourtant proposé, le 27 octobre 2010, de porter la période de protection à l'issue du congé de maternité à six mois, soit vingt-six semaines.

Une telle avancée n'apparaît pas si exceptionnelle si on regarde la protection prévue par d'autres législations nationales. Pour ne citer que quelques exemples au sein de l'Union européenne, elle est de quatre mois à compter de la naissance de l'enfant en Allemagne, neuf mois en Espagne, d'un an en Italie et de six semaines après le retour au travail pour les salariées néerlandaises.

Même s'il existe des textes protecteurs, il convient de constater que la réalité est moins favorable à la conciliation entre maternité et travail : l'interruption des carrières féminines du fait de la maternité reste un handicap pour les femmes.

Selon un projet de recherche mené à l'échelon national, mandaté par le gouvernement français en 1998 et cité en 2012 par l'OIT, chaque année, 4 % des femmes enceintes en France – soit 29 500 femmes – perdent leur emploi en raison de leur grossesse. À l'occasion de l'étude, La perception des discriminations au travail, réalisée en 2014, le Défenseur des droits et l'Organisation internationale du travail ont mis en lumière les discriminations que subissent les femmes enceintes : plus du tiers des actifs déclare que le fait d'avoir des enfants contribue à ralentir, voire à stopper la carrière d'une femme. En outre, 8 % des réclamations reçues par le Défenseur des droits dans le domaine de l'emploi au titre de sa mission de lutte contre les discriminations, concernent des difficultés rencontrées par les salariées en raison de leur état de grossesse ou de leur maternité.

Des situations récurrentes témoignent ainsi de l'obstacle que constitue la grossesse sur le marché du travail et du non-respect des droits afférents : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatement imposées à l'issue du congé de maternité, occupation pérennisée du poste de la salariée par son remplaçant au cours de son congé de maternité, suppression injustifiée de son poste à la faveur d'une réorganisation, réorganisation défavorable au poste de la salariée, rétrogradation, isolement et harcèlement, sont autant de situations inacceptables que le législateur ne peut laisser prospérer.

C'est pourquoi le Défenseur des droits a rendu, le 24 février dernier, un avis dans lequel il fait part de son soutien aux dispositions prévues par la présente proposition de loi qu'il considère comme « un moyen juridique pertinent pour remédier à ces situations ». Par ailleurs, les auditions des partenaires sociaux que j'ai conduites ont fait ressortir que les confédérations syndicales soutiennent les principes sur lesquels le texte s'appuie. Elles reconnaissent la nécessité d'améliorer la protection relative des contrats de travail, aussi bien pour les mères que pour les pères qui doivent concilier leur activité professionnelle avec l'arrivée d'un nouvel enfant. Pour leur part, les organisations patronales se sont montrées plus réservées, s'interrogeant sur la pertinence de modifications législatives plus que sur le fond de la question.

La proposition de loi que je vous présente envisage d'améliorer la protection des salariées à l'issue de leur congé de maternité et de codifier les progrès de la jurisprudence.

Dans un premier temps, elle propose de porter la protection de la salariée à l'issue du congé de maternité de quatre à dix semaines, ce qui correspond à la durée totale minimale du congé postnatal fixée par le code de la sécurité sociale et le code du travail. Il s'agit ainsi d'établir un parallélisme des formes et, avant tout, d'instaurer un délai raisonnable de protection permettant aux femmes de se réinsérer pleinement dans leur emploi. Cette modification ne remettrait cependant pas en cause les dispositions du code du travail relatives aux licenciements « pour faute grave non liée à l'état de grossesse » ou si l'employeur justifie de son « impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement ». Cette protection relative, qui s'étend pendant toute la grossesse, le congé postnatal et les quatre semaines suivantes, dure actuellement au moins cinquante-quatre semaines ; l'allonger de six semaines ne représenterait au plus qu'une extension de 11 % de la durée totale de protection.

Dans un deuxième temps, elle propose d'inclure dans cette période de protection relative les congés payés pris à l'issue du congé de maternité. Il est aujourd'hui courant qu'une salariée amenée à suspendre son contrat de travail pour prendre son congé de maternité cumule celui-ci avec les congés payés auxquels elle a droit. Cependant, le code du travail ne précise pas, dans ce cas, si la période protection des quatre semaines commence à la fin du congé de maternité ou lors du retour effectif de la salariée prenant immédiatement des congés payés. La chambre sociale de la Cour de cassation a eu récemment l'occasion de préciser que la protection comprenait cette période de congés payés.

Enfin, dans un troisième temps, elle propose d'étendre également à dix semaines la protection du contrat de travail des pères. La loi du 4 août 2014 prévoit une protection relative contre le licenciement pour le salarié nouvellement parent, d'une durée de quatre semaines à compter de la naissance de l'enfant – dans les faits, pour le père. L'article 2 porte de quatre à dix semaines à compter de la naissance de l'enfant la période de protection du père salarié contre le licenciement, cela sans en modifier les autres caractéristiques : durant cette période, le salarié pourrait toujours faire l'objet d'un licenciement pour une cause extérieure à l'accueil du nouvel enfant ou en cas de faute grave.

Ces progrès constitueront une amélioration et une clarification d'un régime de protection déjà existant dans le droit, mais dont la mise en place concrète reste problématique pour les femmes. Les droits attachés à la parentalité sont la condition nécessaire pour permettre à tous les salariés, hommes et femmes de participer à l'éducation de l'enfant et de concilier vie parentale et vie professionnelle.

En conclusion, ce texte constitue plus une évolution qu'une révolution : il s'agit de permettre aux femmes, mais également aux hommes, de mener une carrière tout en disposant du temps nécessaire à l'éducation de leurs enfants, ce que toutes les femmes, et notamment toutes les Européennes, ne sont pas encore en mesure de faire. Cette faculté reste un acquis que beaucoup nous envient : la bonne tenue de la natalité française en est la conséquence directe. C'est bien ce modèle français de développement de la conciliation entre travail et vie familiale, et de promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes dans les tâches d'éducation des enfants que cette proposition de loi propose de conforter dans le droit.

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