Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 24 janvier 2013 à 21h30
Débat sur la fiscalité écologique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Madame la ministre, chers collègues, au moment d'aborder le sujet de la fiscalité écologique, il est essentiel que chacun partage l'idée qu'elle est nécessaire, qu'il en soit même convaincu. Si la volonté est là, nous trouverons le chemin.

Le développement durable, tout comme la transition écologique et énergétique, n'est pas une option, un concept qui ressortirait d'un débat ou d'un arbitrage politique, pas plus que l'économie, la solidarité ou la démocratie. Certains l'ont compris très tôt, dès les années quatre-vingt, y compris parmi les responsables politiques ; je fais référence, notamment, au rapport rendu par Mme Gro Brundtland, alors qu'elle était Premier ministre norvégien. D'autres ont attendu que cette notion soit inscrite dans les textes de droit pour s'en convaincre. L'accélération du changement climatique, comme l'épuisement des ressources minérales, végétales et biologiques – je fais référence à la biodiversité –, ne souffre aujourd'hui aucun doute.

Bien que tout ne doive pas et ne puisse pas se réduire à une vision comptable, c'est malheureusement cette seule approche qui convaincra les plus réticents, notamment les fanatiques du marché.

Je veux insister pour ma part, en complément des propos de mes collègues, sur l'épuisement de la ressource biologique, plus complexe à appréhender que le changement climatique, plus difficile à monétariser que le carbone. Les spécialistes estiment que le rythme de disparition des espèces est 1 000 à 10 000 fois supérieur au taux naturel d'extinction, et la France a perdu 50 % de ses zones humides ces trente dernières années.

C'est l'ensemble des services rendus par la nature, services gratuits, au demeurant, mais qu'il faudra peut-être compenser, qui disparaît avec la biodiversité : la pollinisation des cultures, la filtration des polluants ou encore la fourniture de fibres ou de médicaments.

La multiplication des pollutions et substances chimiques, qui se comptent par milliers, requiert des dispositifs de dépollution lourds et coûteux et accroît l'incidence des maladies dégénératives, telles que les maladies cardiovasculaires, le cancer, la stérilité, elles aussi coûteuses.

Dans un article du 30 juillet 2012, la Banque mondiale met en évidence une élévation importante, de 30 % à 50 %, en lien avec la succession des sécheresses, du cours de toutes les céréales hors riz – le blé, le maïs et le soja – avec des répercussions non seulement sur le pain et sur l'agroalimentaire, mais également sur l'alimentation des animaux et, in fine, sur le prix de la viande.

D'une manière générale, la raréfaction et les réparations coûtent cher aux budgets publics et amputent le pouvoir d'achat des ménages. C'est à une véritable dette écologique que nous devons faire face, une dette aux taux d'intérêt élevés et qui, comme la dette financière, est à mettre d'abord sur le compte des plus riches, car ils sont, de loin, les plus gros consommateurs et, souvent, les promoteurs du système.

Alors, il faut passer à l'action car le coût de l'inaction, selon le rapport Stern, représente 5 % à 20 % du PNB mondial, alors que la contribution écologique demandée pour faire ce que nous devons faire est de l'ordre de 1 %. Il coûte donc cinq à vingt fois plus cher de ne rien faire que de faire.

C'est le crédit d'impôt compétitivité emploi qui nous donne l'occasion de reprendre la main. Ou : comment la fiscalité écologique peut venir alléger le coût du travail. Certes, la démarche n'est pas très orthodoxe, mais il faut savoir être opportuniste, d'autant que nous avons dit le mal que nous pensions du recours à la TVA à 10 % pour financer le CICE, dans la mesure où cette TVA porte en grande partie sur des services écologiques – l'eau, les déchets, les transports, l'assainissement, l'isolation thermique –, sans compter qu'elle pénalise l'emploi, notamment dans le bâtiment, en contradiction avec l'objectif même du CICE. Bref, la proposition initiale de financement du CICE peut être largement améliorée.

Utiliser la fiscalité écologique pour réduire le coût du travail prend un sens profond quand il s'agit de faire contribuer l'énergie fossile plus que l'énergie humaine, même si l'orthodoxie écologiste devrait conduire plutôt à financer des actions écologiques ; on peut mixer. Nous devrons travailler en profondeur pour assurer le succès de ce projet. La fiscalité écologique n'est pas anti-économique. Les pays du nord de l'Europe nous en ont fait la démonstration ; ce sont les pays les plus avancés sur cette question et les plus performants au plan économique, ceux qui ont le plus innové. La fiscalité écologique constitue donc un levier important pour la compétitivité. Bien entendu, il faudra accompagner les entreprises dépendantes et fragiles.

La fiscalité écologique ne sera pas antisociale ni anti-rurale.

Il faut tout d'abord souligner que les dépenses anti-écologiques, qui représentent 30 à 50 milliards d'euros, bénéficient plus aux ménages aisés. Par exemple, les subventions directes ou indirectes aux aéroports ou encore l'exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques dont bénéficie la consommation des avions commerciaux représentent 3,5 milliards d'euros.

Très clairement, cela signifie qu'il faudra, pour retrouver l'équilibre écologique, agir dans la justice comme pour les équilibres budgétaires, en prenant en compte, par exemple, la spécificité rurale, les ménages ruraux consacrant 12 % de leur revenu aux dépenses énergétiques, contre 5 % pour des ménages franciliens et 9 % pour les habitants des grandes agglomérations. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

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