Intervention de Jean-Louis Roumegas

Réunion du 23 janvier 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas, rapporteur :

Je suis très honoré de présenter pour la première fois un rapport devant notre commission.

Cette proposition de loi, présentée par le groupe écologiste du Sénat et adoptée par la majorité sénatoriale, me paraît emblématique des thèmes et des solutions que notre formation souhaite promouvoir au sein de la majorité : nous voulons aborder sans tabou les problèmes auxquels notre société est confrontée et y apporter des réponses à la fois concrètes et innovantes.

La proposition de loi traite de la déontologie de l'expertise et de la prise en compte des alertes en matière de santé publique et d'environnement. Elle est le fruit d'une réflexion menée de longue date sur l'expertise scientifique et technique, non seulement sur ses principes mêmes, mais aussi sur les règles déontologiques qui doivent s'y appliquer et sur la nécessaire participation de la société civile pour les valider. Elle tire également les leçons de l'expérience des lanceurs d'alerte – chercheurs, salariés, médecins, militants associatifs –, anonymes ou médiatiques, qui ont un jour tenté d'interpeller les pouvoirs publics ou, directement, le grand public, afin que soit pris en compte un risque pour la santé publique ou l'environnement.

Nous avons tous en tête le nom de ces hommes et de ces femmes qui ont contribué à la manifestation de la vérité et l'ont souvent payé cher, en termes de réputation ou de carrière. Je ne vais pas dresser ici la liste exhaustive des scandales sanitaires qui ont ébranlé notre pays au cours des dix ou vingt dernières années, voire antérieurement, s'agissant de l'amiante. Derrière nombre d'entre eux se cachent un ou plusieurs lanceurs d'alerte dont la voix a parfois, mais pas toujours, été entendue et prise en considération.

À la suite des affaires du sang contaminé et de la vache folle, notre dispositif de sécurité sanitaire a été réformé : les agences sanitaires se sont développées sur la base du principe – sain – de séparation entre l'expertise technique et la décision politique. Néanmoins, plusieurs exemples récents – prothèses PIP, bisphénol A, Mediator, stérilisation des biberons à l'oxyde d'éthylène, pilules de troisième et quatrième générations – révèlent que ce dispositif n'est pas exempt de failles et que certains événements échappent à la vigilance, tant pour des raisons humaines que systémiques, voire éthiques.

Avec cette proposition de loi, nous cherchons à atteindre un double objectif.

Il s'agit, d'abord, de renforcer les critères déontologiques de l'expertise grâce à la création d'une commission nationale chargée d'émettre des recommandations en la matière. Elle s'assurera que tous les organismes d'expertise et de recherche respectent le même niveau d'exigence, que tous accordent l'attention requise aux conflits d'intérêts et que la société civile est mieux associée à ces réflexions. Elle se verra en outre confier un rôle de suivi des alertes : elle veillera principalement à leur bon enregistrement et transmettra, le cas échéant, celles dont elle est saisie aux ministres compétents.

Il s'agit, ensuite, d'éviter que des alertes ne soient perdues ou ignorées. Dans cette perspective, il convient de sécuriser la phase de lancement des alertes, mais aussi celle de leur prise en compte et de leur traitement par les organismes d'expertise de l'État. À cette fin, le présent texte, d'une part, oblige ces organismes à tenir des registres et, d'autre part, crée un véritable droit d'alerte, qu'il encadre et protège.

La reconnaissance du rôle des lanceurs d'alerte et leur protection constituent un élément essentiel de l'équilibre entre science et démocratie. C'est pourquoi la proposition de loi prévoit, pour la première fois, un dispositif général de protection des lanceurs d'alerte contre les discriminations dont ils pourraient être victimes. Un premier pas en ce sens avait été fait avec la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, mais les dispositions qui y avaient été introduites à l'initiative de notre collègue Arnaud Robinet demeuraient limitées au secteur de la pharmacovigilance. Les dispositions prévues ici sont plus larges.

À ceux qui craindraient d'éventuels abus, je signale que la notion d'alerte est précisément définie dans le texte : celui qui la lance doit agir de bonne foi, sous peine des sanctions prévues par le code pénal pour dénonciation calomnieuse. De plus, la protection légale n'est accordée qu'aux lanceurs d'alerte qui respectent le circuit de l'alerte et avertissent les autorités compétentes. S'il n'est pas question, bien sûr, de limiter la liberté d'expression ni la liberté d'information, ce texte ne vise pas davantage à créer une société de l'alerte permanente et omniprésente, dont les effets seraient délétères et anxiogènes. Il s'agit d'entendre les alertes, de les répertorier et de les transmettre aux personnes compétentes, afin que les problèmes soulevés soient traités, expertisés et, si nécessaire, résolus.

L'examen en première lecture par le Sénat a permis d'améliorer le texte initial sur plusieurs points.

Un accord a tout d'abord été trouvé sur la création d'une commission nationale de la déontologie en lieu et place de la Haute autorité indépendante initialement prévue. Dans le contexte budgétaire actuel, cette première proposition n'avait pas recueilli l'assentiment général. Néanmoins, compte tenu de l'urgence et de l'absence de rationalisation de notre dispositif de sécurité sanitaire, l'idée d'une commission nationale de déontologie s'est imposée. Lors des nombreuses auditions – dix-sept à l'initiative de la commission des affaires sociales et trois à l'initiative de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire – que nous avons menées sur ce texte, personne – je le souligne – n'a remis en cause sa création. Le directeur de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), particulièrement en pointe sur les questions de déontologie, et la directrice de l'Institut de veille sanitaire (InVS), qui dispose déjà d'un dispositif d'enregistrement des alertes performant, ont l'un et l'autre jugé cette commission utile et se sont prononcés en faveur de l'harmonisation des critères de recevabilité en matière d'expertise et de traitement des alertes.

Le Sénat est parvenu à un équilibre satisfaisant sur le titre Ier de la présente proposition de loi. Je ne pense pas trahir les intentions de la majorité en le disant. Je vous soumettrai néanmoins, en accord avec Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de la commission du développement durable, avec laquelle j'ai travaillé en parfaite intelligence, plusieurs amendements de précision qui rendent le titre Ier encore plus cohérent et constructif.

En revanche, le Sénat a largement modifié le titre II : il a renoncé à la création de cellules d'alerte dans les entreprises de plus de onze salariés – prévue par le texte initial, elle a été jugée peu réaliste par les syndicats – et a choisi de confier principalement aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) la mission de gérer les alertes en entreprise.

J'ai reçu l'ensemble des partenaires sociaux – à l'exception de la CFE-CGC qui n'a pu participer aux auditions – pour examiner ces dispositions. Au terme de ces entretiens, trois éléments se dégagent.

Premièrement, il convient de tenir compte des négociations en cours entre partenaires sociaux sur les institutions représentatives du personnel. Nous nous sommes rangés à cet avis souvent exprimé au cours des auditions, notamment par le ministère du travail. Si les questions sanitaires et environnementales ne sont pas au coeur de ces négociations, il serait néanmoins prématuré de décider d'une extension des compétences des CHSCT à des matières nouvelles, actuellement en débat.

Deuxièmement, il serait très difficile aux CHSCT d'exercer de nouvelles prérogatives en l'absence de moyens supplémentaires – formations ou crédits d'heures. Ce point est ressorti clairement des auditions.

Troisièmement, surtout, l'alerte ne doit pas, selon moi, rester confinée à l'entreprise. Si le représentant du personnel au CHSCT, voire le CHSCT dans son ensemble, doivent pouvoir appuyer le salarié lanceur d'alerte, la gestion de l'alerte ne relève pas de leur responsabilité, mais avant tout de celle de l'employeur. En outre, en cas de risque nouveau, l'expertise nécessaire au traitement de l'alerte et les solutions éventuelles dépassent forcément le cadre de l'entreprise où l'alerte a été lancée. Je propose donc des amendements qui répondent à une double préoccupation : d'une part, conserver une dimension collective à l'alerte, en prévoyant une participation du représentant du personnel au CHSCT à son lancement, ainsi qu'une information du CHSCT tant sur le lancement de l'alerte que sur les suites qui lui sont données ; d'autre part, instituer – c'est là le point important – une voie de recours extérieure à l'entreprise, dans le cas où aucune suite ne serait donnée à l'alerte. Cette modification substantielle du texte adopté par le Sénat permettra de clarifier le circuit de l'alerte.

En conclusion, les principes promus dans la présente proposition de loi correspondent tout à fait aux préoccupations et aux attentes des Français. La sécurité sanitaire n'est plus une question confinée aux cercles d'initiés ou d'experts : elle est devenue un sujet de société à part entière.

Depuis plusieurs années, nos concitoyens prennent de plus en plus souvent la parole publiquement et de manière argumentée sur les enjeux scientifiques, sanitaires ou environnementaux. Nous devons tenir compte de cette mobilisation. La crise que nous traversons ne se limite pas à la sphère économique et financière : les Français ont perdu confiance dans la capacité de notre société à trouver des solutions aux problèmes du monde contemporain et dans celle de l'État à organiser cette réponse.

Dans ce contexte, nous devons repenser les mécanismes collectifs qui permettent de répondre aux inquiétudes légitimes de nos concitoyens en matière sanitaire et environnementale. Nous devons traiter cette crise de confiance non seulement par des mots, mais par des actes. L'adoption de la présente proposition de loi constituerait, à cet égard, un acte fort. Je vous invite donc à la soutenir.

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