Intervention de Réjean Hébert

Réunion du 23 janvier 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Réjean Hébert, ministre de la santé et des services sociaux du Québec :

C'est un honneur pour moi d'être auditionné par votre Commission. Ma relation à la France est en effet particulière, puisqu'en 1981, en tant qu'interne en médecine de famille au Québec, je suis venu me former à la gériatrie et à la gérontologie en France, discipline à l'époque inexistante au Québec ; j'ai été accueilli à Grenoble par les professeurs Michel Philibert et Robert Huguonot, qui m'ont respectivement initié à la dimension philosophique et aux aspects cliniques de la problématique de la gériatrie. Ce séjour a été déterminant dans ma carrière, puisque je me suis ensuite investi dans l'enseignement et dans les soins en gérontologie, ainsi que dans la recherche autour de la question de l'organisation des services de santé dédiés aux personnes âgées. C'est dans ce cadre que mon approche s'est davantage tournée vers la notion d'autonomie plutôt que vers celle de dépendance. Je me réjouis que votre ministre, Mme Michelle Delaunay, ait également retenu cette orientation, qui est résolument plus positive que celle de dépendance, puisqu'elle est plus stimulante pour les familles et les équipes qui les prennent en charge.

C'est dans le cadre de ce parcours que j'ai également connu mes plus grandes frustrations, confronté à l'incapacité de l'État à véritablement mettre en place des mesures adaptées au vieillissement de la population. C'est cette frustration qui a constitué le socle de mon implication politique, et qui m'a conduit à rejoindre le Parti québécois, sous la houlette de sa présidente, Mme Pauline Marois, avec laquelle nous avons engagé un travail de refondation du système de santé qui est aujourd'hui devenu nécessaire avec le vieillissement de la population. En effet, nous devons passer d'un système de santé hospitalo-centré à un système davantage tourné vers le patient et le citoyen, à partir du moment où la société est elle-même passée d'un contexte où prévalaient des maladies infectieuses à un contexte de maladies chroniques.

Ce décentrement du système de santé passe par la mise en place de quatre stratégies.

La première, très en amont, consiste à donner la priorité à une politique de prévention : avec la stagnation du tabagisme dans la population, en particulier chez les adolescents, il est par exemple nécessaire de relancer la politique de lutte contre le tabac. Nos populations sont aussi de plus en plus sédentaires : le manque d'activité physique pose les problèmes que l'on sait en termes d'obésité, mais également en termes de maladies cardiaques et autres maladies chroniques. Le même constat peut être dressé s'agissant de la nutrition, avec l'augmentation constante de la consommation de boissons sucrées. Il nous faut absolument lancer une stratégie efficace contre la malnutrition. Une politique nationale de prévention la plus large possible doit ainsi être menée en priorité au Québec. Je dis large, car cette politique de prévention va jusqu'à intégrer les facteurs environnementaux ou encore la lutte contre la pauvreté, qui jouent un rôle non négligeable. Un Livre vert est ainsi en préparation sur cette politique de prévention : il doit être présenté au printemps, pour être mis en oeuvre à partir de l'automne.

La deuxième stratégie concerne la médecine de proximité, ce que nous appelons au Québec « les services de première ligne », qui doivent permettre de désengorger l'hôpital et les services d'urgence. Au Québec, nous avons cherché, il y a une trentaine d'années, à valoriser la médecine de famille : les médecins généralistes y sont en effet responsables de la santé de toute une population, sur de nombreux volets, qu'il s'agisse de la santé mentale, de la pédiatrie, de la gynécologie ou de l'obstétrique par exemple. La médecine de famille est reconnue depuis vingt-cinq ans comme une spécialité à part entière et fait l'objet de recherches dédiées. Nous avons ainsi constitué des groupes de médecins de famille, autrement dit, des cabinets de médecins libéraux, – composés de personnels administratifs, de médecins généralistes, d'infirmiers, d'assistante sociaux, de kinésithérapeutes, de psychiatres, etc. - et qui bénéficient d'un soutien financier de l'État en contrepartie d'un certain nombre d'obligations telles que le nombre de patients pris en charge, de l'ordre de mille par médecin, ou encore en termes d'horaires d'ouverture le soir et en fin de semaine. Nous disposons aujourd'hui de 350 groupes de médecins de famille sur le territoire du Québec qui couvrent 75 % de la population, et l'objectif est de généraliser ce système dans les quatre ans à venir. Nous souhaitons également les doter de personnels supplémentaires, tel que diététiciens ou psychologues par exemple. Ce projet est complété par la généralisation du dossier médical électronique, équivalent de votre dossier médical personnel (DMP), qui doit à terme jouer un rôle d'interface entre l'hôpital et les services de première ligne, par la mise à disposition en temps réel des résultats des examens cliniques par exemple, et avec les pharmacies, par la mise à disposition des ordonnances.

La troisième stratégie consiste à mieux intégrer et coordonner les services de santé destinés aux personnes âgées. En France, le réseau des maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer (MAIA) est inspiré du réseau québécois PRISMA – Programme de recherche sur l'intégration des services de médecins de l'autonomie -, qui permet la mise en place d'un point d'entrée unique, l'évaluation des besoins de la personne, etc. Ce dispositif concerne aujourd'hui 60 % des personnes âgées au Québec et l'ambition et de couvrir l'ensemble de cette population à terme. Il s'agit ici d'une organisation des soins en amont de l'hôpital, qui doit également permettre d'agir en aval, en libérant des places d'hébergement : on constate en effet aujourd'hui que 16 % des lits en hôpital sont occupés par des personnes âgées qui attendent une place en établissement d'hébergement, car le système de soins à domicile pour ces personnes est insuffisamment développé. La stratégie consiste donc à développer les soins à domicile, dont le budget sera accru de 25 % cette année. Ce développement doit être articulé avec la mise en place d'une assurance autonomie, à l'image de ce qui existe en France avec l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).

C'est la quatrième stratégie. Il est en effet indispensable d'assurer aux personnes âgées un soutien financier de l'État : cela doit être l'innovation sociale du XXIème siècle, comme l'assurance maladie aura été celle du XXème siècle. Nous pouvons profiter de votre expérience en ce domaine ou des exemples d'autres pays, notamment le Japon qui a mis en place à la fois une assurance autonomie et une intégration de tous les services concernés. Nous avons également un outil d'évaluation de l'autonomie, sur lequel j'ai travaillé au début de ma carrière, qui doit permettre de déterminer les conditions d'accès des personnes âgées aux services de soins à domicile ou à une place d'hébergement. Cet outil permet de distinguer quatorze profils, auxquels sont associés une gamme de services ainsi que leur coût. Il s'agit d'un outil de gestion des cas, qui est absolument indispensable pour assurer le pilotage global de cette politique. Un Livre blanc sur ce sujet est prévu pour le printemps avec une mise en oeuvre progressive de cette politique à partir de l'automne.

L'adaptation du système de santé, et de notre société en général, au vieillissement de la population constitue un défi qui est déjà présent, des deux côtés de l'Atlantique, et que nous sommes, médecins comme élus, en devoir d'affronter.

Enfin, s'agissant spécifiquement du sujet de la santé mentale, nous avons mis en place au Québec un plan d'action, dont nous avons malheureusement constaté qu'il n'a pas été suivi d'effets suffisants. De nombreuses actions de ce plan doivent être renforcées, en particulier la non-stigmatisation de ces patients et le développement d'une politique de prévention, notamment de prévention du suicide. Il convient également de décentrer l'aide dans ce domaine en créant des équipes de suivi intensif en milieu externe, et non en milieu hospitalier. Il faut, en effet, résolument s'orienter vers un accompagnement externe des malades. Il s'agit finalement d'une maladie chronique, qui exige la même stratégie de mise en place de services de proximité et pas seulement un suivi en milieu hospitalier. Ce suivi doit s'articuler avec les groupes de médecins de famille, que j'évoquais tout à l'heure, pour assurer à terme un suivi adéquat de ces patients.

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