Intervention de Réjean Hébert

Réunion du 23 janvier 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Réjean Hébert, ministre de la santé et des services sociaux du Québec :

Je vais tenter de répondre au mieux à toutes les questions.

S'agissant du transfert de compétences, il est évident que la mutation des pratiques des professionnels de santé appelle des changements culturels majeurs pour les médecins. Deux éléments sont ici fondamentaux. Tout d'abord, la révision du secret professionnel. Nous avons fait le choix de le réformer pour en faire un secret partagé pour toute l'équipe soignante, ce qui a permis de fluidifier le partage d'informations entre les professionnels et d'améliorer la prise en charge des patients.

Le deuxième problème essentiel s'agissant du transfert de compétences est le droit de prescription des professionnels. Comme le veut le dicton, « à quelque chose malheur est bon ». La pénurie de médecins dont nous avons souffert a, en effet, accéléré le mouvement de transfert de compétences aux infirmiers, qu'ils soient ou non spécialisés, ou encore aux pharmaciens, auxquels nous avons accordé un droit de prescription en matière par exemple de thérapie préventive, d'analyses médicales, d'ajustement ou de renouvellement du traitement. Mais cela n'a pas été chose facile.

Il est évident que la formation médicale doit s'ajuster et préparer d'avantage les professionnels à la pratique interdisciplinaire de leur métier.

La formation des étudiants doit s'adapter à l'interdisciplinarité afin qu'ils soient exposés très tôt à cette pratique. Nous devons également améliorer la formation des personnels assurant des soins à domicile. De ce point de vue, l'exemple français des auxiliaires de vie sociale nous intéresse.

Il y a trente ans, certaines régions souffraient d'une pénurie de médecins. Nous avons d'abord tenté d'y remédier par des mesures incitatives, que ce soit en termes de salaires ou de conditions d'exercice, mais cette stratégie a échoué. La liberté d'installation a donc été abolie – je comprends bien que je viens encore ici ébranler une des colonnes de votre temple ! Les besoins en médecins généralistes et spécialistes sont définis en accord avec les agences régionales et depuis lors, leur répartition a été nettement améliorée, la situation demeurant toutefois délicate dans la couronne de Montréal, dont la population a crû très rapidement ces dernières années.

La première étape de la mise en place du dossier médical électronique portera sur les cliniques médicales associant des médecins de famille, qui bénéficieront d'aides financières afin d'acquérir auprès des six fournisseurs agréés les matériels et logiciels requis, mais aussi sur les établissements, où l'imagerie et les examens de laboratoire seront concernés, et les pharmacies, qui seront connectées afin de développer les prescriptions électroniques. La carte « dossier santé Québec » permettra ainsi l'accès au dossier aussi bien par le médecin que par l'hôpital. Une seconde étape, déjà réalisée aux États-Unis mais à un coût élevé et après l'échec des deux premières versions, devrait offrir au patient lui-même la possibilité d'accéder à son dossier. Le dispositif s'articule avec le développement de la communication entre spécialistes et généralistes grâce à la télémédecine, ce qui se traduit par un moindre recours aux consultations ou aux hospitalisations et suppose, dès lors, un ajustement des modalités de rémunération des professions de santé.

Le numerus clausus a été excessivement restreint dans les années 1990, car les prévisions laissaient alors craindre que le nombre de médecins serait trop élevé. En fait, il s'est avéré que les médecins travaillent moins qu'auparavant, phénomène qui est lié en partie à la féminisation de la profession. De ce fait, il faut désormais trois médecins là où deux suffisaient auparavant pour effectuer le même travail. Même si le Québec se situe tout à fait dans la moyenne pour ce qui est du nombre de médecins rapporté à la population, il a donc fallu doubler le numerus clausus pendant six ans, ce qui a d'ailleurs exigé des universités un très important effort d'adaptation et les a par exemple amenées à recourir à la délocalisation et à la formation à distance. Grâce à l'effort ainsi accompli, la pénurie de spécialistes sera bientôt réglée, mais nous devons tenir compte de ce qu'entre-temps, les généralistes ont souvent été amenés à exercer leurs missions, ce qui nécessitera par conséquent des réaménagements.

En matière d'autonomie, nous considérons que l'assurance doit être universelle. De fait, les établissements et associations de personnes handicapées ont montré un fort intérêt à s'intégrer au dispositif. L'assurance autonomie est donc conçue indépendamment de l'âge. Nous estimons par ailleurs que le rôle de l'État est indispensable : le système doit être fondé exclusivement sur la solidarité, car il n'y a pas de marché pour un risque à la fois trop grave et imprévisible, d'autant que les assurés ont généralement une conscience trop tardive de sa survenue. Au demeurant, même en France, les assureurs n'assument qu'une part limitée du risque en échange du versement de primes substantielles. En même temps, nous allons passer à la tarification à l'activité pour le secteur public des soins à long terme et conclure des contrats avec les établissements relevant de l'économie sociale et du secteur privé lucratif. Nous avons en outre fait le choix de préférer une allocation aux prestataires plutôt qu'une allocation directe aux personnes, afin de limiter les risques d'abus et de « marché noir » de l'aide, comme en Italie, mais aussi afin d'éviter le risque de voir les femmes sortir du marché du travail en les confinant dans un rôle traditionnel d'aidantes.

Pour les soins à domicile, nous devons changer de paradigme et décloisonner les structures d'aides aux personnes âgées. Aujourd'hui, les personnes doivent déménager vers des structures si leur état requiert des soins ; demain, il faudra que les services s'adaptent et soient présents là où les personnes ont choisi de vivre. Le cadre réglementaire devra être élargi en conséquence et il faudra réserver l'hébergement en structure aux cas les plus lourds.

Nos choix diffèrent à plusieurs égards en matière de systèmes de santé. Premièrement, la réponse aux besoins des personnes âgées n'est pas la même : en France, les établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont vocation à s'occuper de l'ensemble des personnes âgées, alors qu'au Québec, les centres d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) n'accueillent que les personnes dont l'état de dépendance équivaudrait, en France, à un GIR 1 ou un GIR 2. Les autres personnes relèvent de diverses catégories de résidences intermédiaires, comme les habitations coopératives bénéficiant de services de soins à domicile.

Deuxièmement, depuis trois décennies, la médecine de famille est fortement valorisée. Il s'agit en effet d'une discipline universitaire à part entière, sanctionnée par l'obtention d'un diplôme. Grâce à cette formation spécifique, le médecin de famille est mieux armé pour jouer un rôle important auprès du patient, notamment pour la coordination des soins, ce qui se révèle particulièrement utile face au vieillissement, dont l'une des caractéristiques est l'apparition de plusieurs pathologies concomitantes.

Troisièmement, nous maintenons fermement le choix d'un système essentiellement public, au point que nos collègues français nous qualifient parfois de « communistes » ou de « monopolistiques ». Nous sommes confrontés à la forte pression du secteur privé, tapi juste de l'autre côté de la frontière, et nous devons donc développer une stratégie extrêmement déterminée pour le contrer. Nous préférons sans aucun doute que les patients financent leurs soins avec leur carte d'assurance maladie plutôt qu'avec leur carte de crédit.

Enfin, depuis les années 1970, nous poussons au maximum l'intégration du social et du sanitaire dans l'ensemble du système. Ici aussi, cette démarche est bénéfique pour faire face aux problèmes posés par le vieillissement. En outre, les établissements de santé ont fusionné dans les années 2000, avec une gouvernance unique. Cette évolution n'est pas facile et n'est certes pas dépourvue d'inconvénients, comme la marginalisation financière des centres locaux de services communautaires (CLSC), du fait de la priorité accordée à l'hôpital. Mais elle permet de passer d'une approche en termes de client à une approche en termes de population et de regrouper l'éligibilité à recevoir des services et la prestation de services proprement dite, à la différence de la France où l'évaluation de la situation de la personne et les soins qui lui sont ensuite délivrés ne sont pas assurés par la même équipe.

Le système de rémunération des médecins de famille est désormais mixte, composé de tarifs à l'acte et à la capitation. Il existe un forfait par patient qui augmente de manière conséquente pour les personnes âgées, en cas de polypathologie par exemple, et pour les personnes victimes de maladies mentales, en cas de vulnérabilité particulière. Ce système incite les médecins de famille à assurer un suivi de long terme des patients, tout en ayant un impact positif sur leur productivité.

Le Québec a connu deux vagues de réformes structurelles :

– La première, dans les années 1990, avec le virage ambulatoire, qui a opéré une réduction du nombre de lits d'hôpitaux pour diminuer la durée des séjours et augmenter le volume de soins dispensés hors de l'hôpital. Elle a été mise en oeuvre par M. Jean Rochon, ministre de la santé de l'époque ;

– La seconde, dans les années 2000, avec la réforme de la gouvernance, qui a consisté en une fusion des établissements.

Je pense que la priorité aujourd'hui réside dans l'amélioration du fonctionnement des structures. Certains ajustements mineurs doivent cependant encore être réalisés : les agences régionales demeurent, par exemple, trop nombreuses. Il en existe actuellement 17, soit une par région administrative.

Je pensais bien connaître l'allocation personnalisée d'autonomie, mais j'ai découvert hier des éléments que je ne connaissais pas ! La complexité de la tarification de l'APA me semble dommageable car le processus de choix perd en lisibilité. Or, l'essence de l'APA doit être de permettre aux personnes âgées soit de rester chez elles et d'y recevoir des services, soit d'être orientées vers une institution. L'APA constitue par ailleurs un levier essentiel du développement d'une assurance de long terme pour les personnes âgées, qui doit favoriser un rééquilibrage entre les institutions et le domicile dans le traitement médical. Les personnes âgées désirent bien souvent rester chez elles et cette solution s'avère moins coûteuse pour la collectivité.

Selon l'OCDE, la France et le Québec dépensent aujourd'hui 1,2 % de leur PIB pour les soins prodigués aux personnes âgées. En 2050, si aucune réforme n'est entreprise pour développer les soins à domicile, ce sont près de 3,3 % du PIB qui y seraient consacrés, contre 2,2 à 2,4 % dans le cas contraire. Cette différence de 1 % représente 3 milliards de dollars dans le cas du Québec. Il y a donc bien un enjeu fort en termes d'équité intergénérationnelle et de maîtrise des finances publiques, dans la gestion du risque de la perte d'autonomie.

S'agissant de la réforme des centres locaux de services communautaires (CLSC), elle fonctionne bien même si elle n'a pas été achevée. Il me semble aujourd'hui en particulier nécessaire d'intégrer les groupes de médecins de famille et ces centres locaux, qui demeurent une innovation très intéressante bien que la communication entre les différents acteurs doive être accrue.

Le bilan de la ligne téléphonique « info-santé », le 811, ouverte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 apparaît également positif. Celle-ci permet d'entrer en contact avec une infirmière qui met en oeuvre un protocole et informe ses interlocuteurs des gestes à accomplir avant de se rendre aux urgences hospitalières.

Enfin, je ne vous cacherai pas que le plan en faveur de la santé mentale a connu des échecs, car les financements n'ont pas toujours été au rendez-vous. Or nous devons être capables de financer la mise en place d'équipes de suivi intensif des patients en milieu ordinaire, pour éviter des hospitalisations. Grâce à la gouvernance unique, nous allons pouvoir mettre en oeuvre cette réforme dans le cadre du deuxième plan de santé mentale et poursuivre la réduction du nombre d'hospitalisations indues, tout en favorisant le suivi à domicile. Quant à l'idée de créer des structures nouvelles et propres à la santé mentale, comme un conseil, il me semble plus judicieux de rechercher une intégration des réseaux de santé tant physique que mentale. Ne perdons pas de l'énergie et de l'argent à mettre en place des structures ad hoc, qui finissent par agir en « tuyaux d'orgue » ou en « silo » comme on dit chez nous, qui ne répondent pas aux besoins des patients.

Voilà les quelques éléments de réflexion que je souhaitais vous livrer ce matin. Je vous remercie de votre accueil.

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