Intervention de Dominique Orliac

Séance en hémicycle du 10 mars 2016 à 15h00
Interdiction de licenciement à la suite d'un congé maternité — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Orliac, rapporteure de la commission des affaires sociales :

… les salariées enceintes bénéficient d’une protection contre le licenciement injustifié. Cette protection s’étend actuellement du début de la grossesse jusqu’à quatre semaines après l’expiration des droits à congé de maternité. Ces droits sont les mêmes en cas d’adoption, puisqu’une telle protection a été mise en place pendant le congé d’adoption de dix semaines et les quatre semaines suivantes.

Cette protection n’est cependant que relative car, au cours de cette période, l’employeur peut licencier la salariée en cas de faute grave non liée à l’état de grossesse ou en cas d’impossibilité de maintenir le contrat de travail pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. La protection consiste donc avant tout à inverser la charge de la preuve, l’employeur devant dès lors démontrer que le licenciement n’est pas lié à la grossesse de son employée.

Plus récemment, l’article 9 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a introduit, sur l’initiative de notre collègue Sébastien Denaja, le principe d’une protection relative de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant contre le licenciement du salarié nouvellement parent ; dans les faits, le conjoint.

Le code du travail prévoit en outre un certain nombre de mesures destinées à permettre la conciliation entre grossesse et travail. Il protège notamment la vie privée en interdisant à l’employeur de rechercher toute information sur l’état de grossesse de ses salariées. Cette protection se conjugue avec un régime de lutte contre les discriminations, qui interdit toute mesure prise en considération de l’état de grossesse de la salariée, si ce n’est à son avantage.

C’est la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations qui a ainsi prévu que « toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé de maternité ». Toute discrimination fondée sur l’état de grossesse, notamment dans l’embauche, la sanction ou le licenciement de salariées, constitue désormais un délit punissable de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Ce principe républicain est repris par des instruments internationaux de protection des droits des salariées, que ce soit par des conventions élaborées dans le cadre de l’Organisation internationale du travail ou par la directive européenne de 1992 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. Cette directive européenne pose également le principe de l’interdiction du licenciement de la salariée enceinte « jusqu’au terme du congé de maternité ». La Cour de justice des communautés européennes a interprété ces décisions en jugeant que cette protection interdisait également à l’employeur de prendre des mesures préparatoires à une décision de licenciement pendant la période de protection du congé de maternité, même si celle-ci devait être notifiée ultérieurement. Cette solution a été adoptée par le juge français. Je propose donc de la codifier dans notre droit.

Cependant, le chantier de l’amélioration de ces dispositions, lancé par la Commission européenne en 2008, a malheureusement été arrêté en 2015, les institutions européennes n’ayant pas été en mesure d’aboutir à un compromis, notamment sur l’allongement de la durée du congé de maternité à quatorze, voire vingt semaines pour toutes les femmes européennes. Dans le cadre de l’examen de ce projet de directive, le Parlement européen avait pourtant proposé, le 27 octobre 2010, de porter la période de protection à l’issue du congé de maternité à six mois, soit vingt-six semaines.

L’avancée que je propose n’apparaît pas si exceptionnelle au regard de la protection prévue par d’autres législations nationales. Pour ne citer que quelques exemples au sein de l’Union européenne, elle est de quatre mois à compter de la naissance de l’enfant en Allemagne, neuf mois en Espagne, un an en Italie et six semaines après le retour au travail pour les salariées néerlandaises.

En outre, même s’il existe des textes protecteurs, il faut bien admettre que la réalité est moins favorable à la conciliation entre maternité et travail : malgré l’avancée que représente l’institution du congé de paternité et de l’accueil de l’enfant en 2001, dans les faits, les mères continuent de porter l’essentiel de la charge du travail domestique et des soins aux enfants. Ce sont elles qui en paient le plus lourd tribut en termes d’emploi et de carrière professionnelle. L’interruption des carrières féminines du fait de la maternité reste un réel handicap et les femmes demeurent vulnérables.

En effet, selon un projet de recherche mené à l’échelle nationale mandaté par le gouvernement français en 1998 et cité en 2012 par l’OIT, 4 % des femmes enceintes en France perdent leur emploi en raison de leur grossesse chaque année. Afin d’éviter cela, une enquête publiée mardi dernier a montré que la moitié des femmes cadres continue de s’occuper de ses dossiers professionnels pendant son congé de maternité. L’institut CSA pour la HALDE – la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité – en février 2009 a établi que 28 % des femmes ayant été enceintes pendant leur vie active ont eu le sentiment d’être victimes de discrimination sur leur lieu de travail en raison de leur grossesse : 16 % pour l’obtention d’un poste à responsabilité, 13 % dans le travail au quotidien, 13 % pour l’obtention d’une augmentation, 10 % pour l’accès à une formation et 6 % au moment d’un licenciement ou d’une embauche.

Le retour de congé de maternité apparaît également comme un moment de déclassement professionnel potentiel. L’affectation à des dossiers de moindre importance concerne 12 % des femmes ayant été enceintes au cours de leur vie active, tout comme l’imposition d’un changement de poste.

D’autres situations récurrentes témoignent ainsi de l’obstacle que constitue la grossesse sur le marché du travail et du non-respect des droits afférents : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatement imposées à l’issue du congé de maternité, occupation pérennisée du poste de la salariée par son remplaçant au cours de son congé de maternité, suppression injustifiée du poste à la suite d’une réorganisation, réorganisation défavorable au poste de la salariée, rétrogradation, isolement et harcèlement sont autant de situations inacceptables que le législateur ne peut laisser prospérer. C’est pourquoi le Défenseur des droits s’est saisi de cette proposition de loi. Il a rendu à ce sujet, le 24 février dernier, un avis dans lequel il fait part de son soutien aux dispositions prévues. Il estime notamment que l’article 1er de la proposition constitue « un moyen juridique pertinent pour remédier à ces situations ».

Par ailleurs, les auditions des partenaires sociaux que j’ai conduites ont fait ressortir que les confédérations syndicales soutiennent les principes sur lesquels le texte s’appuie. Elles reconnaissent la nécessité d’améliorer la protection relative des contrats de travail, aussi bien pour les mères que pour leurs conjoints, qui doivent concilier leur activité professionnelle avec l’arrivée d’un nouvel enfant. Pour leur part, les organisations patronales se sont montrées plus réservées, s’interrogeant davantage sur la pertinence des modifications législatives que sur le fond de la question.

La proposition de loi que je vous présente a pour objet d’améliorer la protection des salariées à l’issue de leur congé de maternité et de codifier les progrès de la jurisprudence.

Dans un premier temps, elle vise à porter la protection de la salariée à l’issue du congé de maternité de quatre à dix semaines, ce qui correspond à la durée totale minimale du congé postnatal fixée par le code de la sécurité sociale et le code du travail. Il s’agit ainsi d’établir un parallélisme des formes et, avant tout, d’instaurer un délai raisonnable de protection permettant aux femmes de se réinsérer pleinement dans leur emploi ; tel est le sens de l’avis du Défenseur des droits. Cette modification ne remettrait cependant pas en cause les dispositions du code du travail relatives aux licenciements pour « faute grave […] non liée à l’état de grossesse » ou si l’employeur justifie de son « impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement ».

Dans un deuxième temps, la proposition de loi tend à inclure dans cette période de protection relative les congés payés pris à l’issue du congé de maternité. Il est aujourd’hui courant qu’une salariée amenée à suspendre son contrat de travail pour prendre son congé de maternité cumule celui-ci avec les congés payés auxquels elle a droit. Cependant, le code du travail ne précise pas, dans ce cas, si la période de protection des quatre semaines commence à la fin du congé de maternité ou lors du retour effectif de la salariée prenant immédiatement des congés payés. La chambre sociale de la Cour de cassation a eu récemment l’occasion de préciser que la protection comprenait cette période de congés payés.

Enfin, dans un troisième temps, le texte vise à étendre à dix semaines la protection du contrat de travail des conjoints. La loi du 4 août 2014 prévoit une protection contre le licenciement pour le conjoint d’une durée de quatre semaines à compter de la naissance de l’enfant. L’article 2 porte à dix semaines cette période de protection, sans modifier la possibilité de le licencier pour une cause extérieure à l’accueil du nouvel enfant ou en cas de faute grave.

Ces progrès constitueront une clarification du régime de protection qui existe en droit mais dont la mise en place concrète reste problématique pour les femmes. Les droits attachés à la parentalité sont la condition nécessaire pour permettre à tous les salariés, hommes et femmes, de participer à l’éducation de l’enfant et de concilier vie parentale et vie professionnelle.

En conclusion, ce texte constitue plus une évolution qu’une révolution : il s’agit de permettre non seulement aux femmes, mais également aux hommes, de mener une carrière tout en disposant du temps nécessaire à l’éducation de leurs enfants. Cette proposition vise à conforter dans notre droit une avancée sociale qui n’engendre aucune dépense pour l’État ou l’employeur et qui s’inscrit dans la lignée de la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que dans les mutations que connaît notre société quant au rôle du conjoint au moment de la naissance de l’enfant et quant à l’indépendance de la femme d’aujourd’hui.

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