Intervention de Marie-Françoise Clergeau

Séance en hémicycle du 10 mars 2016 à 15h00
Interdiction de licenciement à la suite d'un congé maternité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Clergeau :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, chers collègues, l’analyse de la situation faite par Dominique Orliac, l’auteure de cette proposition de loi, est très largement partagée sur l’ensemble des bancs de cet hémicycle. Les débats au sein de notre commission l’ont prouvé.

Cette analyse remonte à des interrogations qu’avait formulées notre collègue en 2012 au sujet de salariées agentes commerciales qui avaient été licenciées après leur retour de congé de maternité. En effet, la reconstitution d’un portefeuille de clientèle demande du temps. Le retour à son emploi après un congé de maternité nécessite une période de reprise en main du poste de travail. Celle-ci est de quatre semaines actuellement, le texte en débat vise à l’étendre à dix semaines.

Par ailleurs, l’article 9 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes avait déjà créé une période équivalente de protection pour le conjoint salarié, après la naissance de l’enfant. L’objectif était double : empêcher que la prise du congé de paternité et d’accueil de l’enfant devienne un motif de licenciement dissimulé et signifier que le conjoint, comme la mère, peut tout autant s’impliquer dans les responsabilités parentales à la naissance de l’enfant. Comme pour la mère, cette période est de quatre semaines actuellement, le texte en débat tend à l’étendre à dix semaines.

Je m’étonne de l’amendement de suppression déposé par nos collègues de l’opposition. Souhaitons que les débats leur permettent de parcourir le même chemin qu’avaient suivi les sénateurs lors de l’examen de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. En effet, la protection du conjoint pendant quatre semaines après la naissance de l’enfant avait été, en première lecture, supprimée par le Sénat. Et ce fut fait – je cite la sénatrice alors secrétaire de la commission des lois – « par inadvertance ».

Dans un second temps, le Sénat avait donc reconnu que le congé de paternité et d’accueil de l’enfant pouvait « éventuellement devenir un motif de licenciement, même inavoué » et qu’il fallait donc étendre la protection aux conjoints souhaitant bénéficier de ce congé « librement et en toute quiétude ».

Les dispositions de la présente proposition de loi recueillent, vous l’avez compris, un avis favorable des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen parce qu’elles se justifient pleinement à partir de deux constats.

Le premier est simple : les femmes ne disposent pas des mêmes chances et des mêmes opportunités dans leur vie professionnelle que les hommes. La différence s’explique par les interruptions de carrière dues, notamment, aux congés pour maternité.

C’est une réalité qui est également connue des Français. Ainsi, les baromètres commandés par le Défenseur des droits pour mesurer la perception des discriminations à l’emploi constatent, chaque année, que le fait d’être enceinte est considéré comme « plutôt un inconvénient » pour être embauché. Après l’âge, la grossesse est d’ailleurs le deuxième critère cité, à plus de 85 %, comme les plus discriminants pour être embauché.

Le second constat est l’attention qu’il faut porter au maintien d’un fort taux d’activité des femmes parce qu’il est le meilleur garant de notre dynamisme démographique.

Les démographes constatent une stabilité des naissances depuis 2010, qui fut une année record. La France a ainsi toujours le premier taux de fécondité d’Europe, elle a même légèrement dépassé l’Irlande qui caracolait en tête depuis longtemps ! Et la légère baisse de 2015 peut s’expliquer non seulement par les effets de la crise, mais aussi parce que le nombre de femmes en âge de procréer diminue depuis le milieu des années 90. En effet, les femmes issues du baby-boom ont désormais atteint l’âge de 40 ans. Cette baisse s’explique aussi par le fait que l’âge auquel les Françaises donnent naissance à leur premier enfant continue à reculer, tendance qui s’observe depuis les années 70. Mais, au-dessus de 33 ans, les taux de fécondité progressent continûment depuis 1978 et ils se maintiennent aux autres âges.

En fait, l’une des causes essentielles du dynamisme démographique français réside dans toutes les mesures qui permettent de concilier vie familiale et vie professionnelle. Il existe donc bien une corrélation entre le niveau d’emploi des femmes et le nombre de naissances. C’est pourquoi il est important, quand on veut défendre les familles, d’encourager le travail des femmes et de le protéger des mesures discriminantes, ce qui est précisément l’objet de cette proposition de loi.

Notons, au passage, que ces différents objectifs qui touchent à la fois aux droits des femmes et à la politique familiale disqualifient l’inutile inquiétude formulée ça et là sur le nouvel intitulé du ministère regroupant les « familles », l’« enfance » et les « droits des femmes ». Cette proposition vient prouver qu’il existe des liens entre les droits des femmes et les familles, sans renier aucun féminisme, avec des questions comme l’équilibre des temps de vies, personnelle, familiale et professionnelle ou encore la protection professionnelle des femmes et la défense des familles.

Enfin, la rapporteure, par voie d’amendement, souhaite intégrer dans le texte une jurisprudence de la Cour de cassation pour interdire, non seulement de licencier la salariée pendant la période de protection après son retour en poste, mais encore de prendre, pendant cette même période, « les mesures préparatoires » à son remplacement définitif, c’est-à-dire à son licenciement futur.

Sur le fond, cette disposition ne pose aucun problème, mais je considère que la définition de telles « mesures préparatoires » nécessite encore d’être précisée et enrichie par d’autres apports de la jurisprudence, avant d’être inscrite et stabilisée dans la loi. Aussi notre groupe ne pourrait-il pas voter en l’état cet amendement s’il était maintenu.

Passée cette réserve, notre groupe soutiendra avec plaisir et détermination l’adoption de cette proposition de loi qui fait progresser les droits des femmes et des familles.

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