Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 10 mars 2016 à 15h00
Protection des forêts contre l'incendie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « On regardait les arbres et les forêts comme le plus beau présent fait à l’homme. […] Les images resplendissantes d’or et d’ivoire ne nous inspirent pas plus d’adoration que les bois sacrés et leur profond silence. » C’est ainsi que Pline l’Ancien, dans le livre XII de son Histoire naturelle, décrivait à ses contemporains les forêts. Au-delà du clin d’oeil à mon ami Alain Tourret, membre permanent, quoique non perpétuel, de la commission des lois, que je sais féru d’histoire latine, cette citation illustre le lien entre la forêt et les hommes, et la fascination que la première a toujours exercé sur les seconds.

La forêt est un patrimoine écologique et esthétique unique ; c’est également une source de richesse économique importante, particulièrement dans notre pays, dont 30 % du territoire est couvert de surfaces boisées. La forêt n’en est pas moins fragile, notamment face au feu. Sa protection est donc essentielle et incombe aux pouvoirs publics et aux propriétaires. Il faut, à cet égard, souligner l’efficacité de la politique de protection des forêts, qui repose sur la complémentarité des acteurs. La superficie annuelle moyenne des zones brûlées – vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État – a en effet été réduite de plus de moitié depuis une trentaine d’années, s’établissant à moins de 11 000 hectares lors de la dernière décennie.

Au-delà des interventions des sapeurs-pompiers et des moyens aériens de la sécurité civile, plusieurs dispositifs, plus discrets mais tout aussi précieux, tendent à assurer à nos forêts une protection maximale.

Premièrement, le code forestier prévoit différents dispositifs adaptés à l’intensité du risque d’incendie auquel les territoires sont exposés et dont la mise en oeuvre repose principalement sur les préfets.

Deuxièmement, les territoires méditerranéens font l’objet d’un dispositif propre, à travers l’Entente pour la forêt méditerranéenne, établissement public consacré par le code général des collectivités territoriales, le CGCT. Permettez-moi de saluer ici la mémoire de celui qui en fut pendant douze ans le secrétaire général, après avoir créé dès 1979 le Centre interrégional de coordination opérationnelle de la sécurité civile, je veux parler du colonel Marc Egloff.

Troisièmement, les départements, sur le fondement de leur clause de compétence générale, ou, devrais-je dire, avec ou sans jeu de mots, de feue leur clause de compétence générale, peuvent assumer diverses actions destinées à préserver les forêts : l’information et la sensibilisation des populations, les travaux d’aménagement et d’entretien d’infrastructures utiles à la lutte contre l’incendie, le débroussaillement et le maintien en l’état des zones débroussaillées, la surveillance des massifs et, enfin, les interventions sur les feux naissants.

Toujours sur le fondement de leur clause de compétence générale, certains départements du sud de la France ont mis en place des unités dédiées à la défense des forêts contre l’incendie, les « forestiers-sapeurs ».

La protection des forêts suppose néanmoins une vigilance constante, ce que 2015 nous a tragiquement rappelé : alors que les efforts combinés avaient ramené la surface annuelle incendiée à une moyenne de 6 500 hectares entre 2012 et 2014, pas moins de 11 500 hectares ont pris feu l’an dernier, avec une hausse significative dans le Sud-Ouest, où la surface incendiée fut multipliée par deux.

Or la défense des forêts contre l’incendie risque d’être mise à mal par une conséquence involontaire, certes, mais inopportune, de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Cette loi, qui souffre de quelques imperfections sur lesquelles je ne reviendrai pas, a certes rendu possibles des avancées nombreuses et importantes dans le domaine de la sécurité civile. Néanmoins, dans le souci de rationaliser les compétences locales, son article 94 a supprimé la clause de compétence générale des départements. Le malheur, pour le sujet qui nous occupe aujourd’hui, est que les départements fondaient leurs interventions en ce domaine précisément sur cette clause. Si un dispositif transitoire a maintenu le principe de leur action jusqu’au 31 décembre 2015, il a pris fin au début de cette année, privant par conséquent les départements de toute possibilité d’action pour défendre les forêts contre l’incendie, mais aussi le corps des forestiers-sapeurs de toute base légale.

Le Gouvernement avait d’ailleurs eu conscience du problème lors de l’examen du projet de loi NOTRe, puisqu’il avait envisagé de déposer un amendement correspondant au dispositif proposé mais qui n’avait, hélas, pu franchir les fourches caudines de la règle de l’entonnoir. Il avait également été interrogé par notre collègue Michel Vauzelle sur ce point en juillet dernier.

C’est donc pour combler ce vide dangereux que notre excellent collègue sénateur du Var et membre du groupe RDSE, Pierre-Yves Collombat, a fort opportunément déposé le texte qui vous est soumis aujourd’hui, texte qui constitue une rustine à la loi NOTRe, tout comme, d’ailleurs, le texte adopté hier dans cet hémicycle sur le rapport de notre collègue Olivier Dussopt. Cette proposition de loi, que le Sénat a modifiée afin d’en renforcer l’efficacité, introduit dans le code général des collectivités territoriales une nouvelle division composée d’un article L. 3232-5, qui permet aux départements qui le souhaitent de financer ou de mettre eux-mêmes en oeuvre toute action jugée utile pour prévenir et lutter contre les feux de forêts. Initialement cantonnée aux départements situés dans des territoires particulièrement exposés aux risques d’incendie, elle rend désormais éligibles à son dispositif tous les départements français, y compris outre-mer. Cette extension, loin de constituer un luxe superflu, s’avère nécessaire compte tenu des changements climatiques à venir, qui auront pour effet de fragiliser des régions jusque-là épargnées par les incendies. Les projections montrent en effet une expansion considérable, d’ici 2040, des zones exposées au risque d’incendie ; les territoires haut-alpins ont d’ailleurs été grandement touchés dans les dernières années. Elle n’entraînera au demeurant aucune obligation supplémentaire, j’insiste sur ce point. Le dispositif proposé, en effet, est facultatif et repose sur une démarche purement volontaire des départements.

Le texte qui vous est soumis est attendu par les départements, est soutenu par le Gouvernement – merci, madame la secrétaire d’État, de l’avoir rappelé – et porte sur un objet qui transcende les clivages politiques, ce qui a conduit à son adoption unanime par le Sénat et, la semaine dernière, par votre commission des lois. Mes chers collègues, je vous invite à faire de même et à l’adopter à votre tour, sans modification.

J’avais, un temps, songé à déposer un amendement pour rectifier une imperfection rédactionnelle à l’article L. 133-1 du code forestier, qui fait référence, pour la mise en oeuvre d’actions spécifiques de protection sur des zones très exposées, aux anciennes régions. Loin d’être cosmétique, cette référence serait susceptible d’entraîner une lourdeur administrative pour les préfets si les nouvelles régions étaient substituées telles quelles aux anciennes, sans aménagement particulier. Cependant, cette imperfection ne fait aucunement obstacle à une mise en oeuvre efficace du dispositif de protection des forêts prévu par le code forestier. En outre, et surtout, il aurait été à mon sens irresponsable d’allonger la navette et de compromettre l’entrée en vigueur rapide d’un texte nécessaire et attendu pour un motif formel, sans conséquence dommageable réelle. C’est donc à une adoption conforme que je vous invite, et si j’ai mentionné cette imperfection rédactionnelle du code forestier, c’est pour appeler l’attention sur cette scorie, afin qu’elle puisse être corrigée au moment propice.

Monsieur le président, avec votre bienveillance, je me permettrai de clore cette intervention par un regret, que j’avais déjà évoqué en commission. Déposée en octobre et adoptée en novembre au Sénat, cette proposition aura dû attendre mars pour que nous l’examinions, alors que le Gouvernement, comme je l’ai rappelé, avait connaissance du problème dès la deuxième lecture du projet de loi NOTRe. Ne vous méprenez pas, je ne regrette pas que ce texte n’ait pas eu pour véhicule un projet de loi. Je me réjouis au contraire qu’il soit dû à l’initiative de radicaux – de républicains radicaux, devrais-je préciser, pour éviter toute équivoque dans le contexte actuel (Sourires) –,…

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