Intervention de Christine Balagué

Réunion du 8 mars 2016 à 17h00
Commission des affaires économiques

Christine Balagué, vice-présidente du groupe de travail du Conseil national du numérique ayant remis le rapport Travail, emploi, numérique :

C'est vrai, et j'espère que le nombre de parlementaires intéressés continuera de croître dans les années qui viennent, car l'économie numérique est un sujet très important pour la société.

Mme Corinne Erhel a évoqué les questions relatives au travail et à la formation. Dans le cadre du rapport du Conseil national du numérique (CNNum), nous avons beaucoup réfléchi à ces questions, en nous demandant notamment en quoi le numérique pouvait induire de nouvelles formes de travail. Nous sommes arrivés à la conclusion selon laquelle le contrat de travail tel qu'il est actuellement conçu va devoir évoluer pour tenir compte de la possibilité de produire via l'économie collaborative : les gens pourront tout à la fois avoir une activité salariée et tirer d'autres revenus d'une activité exercée dans le cadre d'Uber ou d'Airbnb. Certains affirment même que nous sommes tous appelés à devenir des intermittents qui, par exemple, seront salariés le matin et travailleront selon d'autres modalités l'après-midi.

Pour ce qui est de la formation, il est évident que 50 % de l'enseignement dispensé aux étudiants du supérieur n'existera plus dans quelques années : tout le monde sera obligé de suivre une formation tout au long de sa vie, quel que soit son métier. Dans le cadre de ses travaux, le CNNum a constaté que l'offre de formation relative au digital était actuellement très pauvre : un gros effort de régulation doit être accompli en termes de qualité et de labellisation des formations disponibles. Nous avons également travaillé sur la question de la valorisation des acquis de l'expérience dans le cadre du compte personnel d'activité (CPA). L'évolution des métiers va rendre nécessaire la formation tout au long de la vie, selon diverses modalités – au sein d'organismes de formation, mais aussi au moyen de massive open online courses (MOOC, en français « cours en ligne ouvert et massif »). Toutes ces formations doivent être intégrées aux acquis contenus dans le CPA afin de nous suivre tout au long de notre vie.

Il est un autre point qui me tient beaucoup à coeur, et sur lequel j'aimerais que nous avancions, celui de la régulation des plateformes au sens large : non seulement les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, mais aussi l'économie collaborative et les avis des consommateurs. Au sein du CNNum, j'ai beaucoup plaidé pour l'idée consistant à instaurer une ou plusieurs agences de notation ayant vocation à noter divers éléments, notamment la loyauté des plateformes et celle des algorithmes. Lorsqu'on est sur internet, on se voit sans cesse soumettre des recommandations basées sur des algorithmes : or, ces algorithmes sont alimentés par des données issues du big data, obtenues de manière illégale et permettant à certaines entreprises d'obtenir un meilleur référencement. L'agence de notation qui pourrait être créée, d'abord au niveau français puis, très vite, au niveau européen, serait sans nul doute très efficace puisque l'économie numérique repose en grande partie sur des phénomènes de réputation. De mon point de vue – qui, je le précise, n'était pas celui de tous les membres du CNNum –, cette agence de notation ne devrait pas être de nature étatique, mais s'appuyer sur la multitude des internautes. Elle ferait de la rétro-ingénierie d'algorithmes, afin de vérifier que les entreprises fournissent bien le service qu'elles proposent.

Mme Laure de La Raudière a demandé ce qui pouvait être fait pour favoriser le développement des grands acteurs du numérique – un sujet sur lequel nous sommes nombreux à travailler depuis des années. Des réflexions ont déjà été menées à ce sujet à l'échelle européenne, notamment avec l'Allemagne, et nous avons fait en sorte d'encourager la création de l'équivalent du Conseil national du numérique dans d'autres pays, afin qu'une réflexion globale puisse être menée.

Quoi qu'en disent certains, la première phase du numérique est dominée par les acteurs américains. Cela dit, nous sommes entrés dans une deuxième phase, celle du big data et des objets connectés, qui constitue un marché au sein duquel la France et l'Europe ont toute leur place. Le CNNum fait valoir l'idée, que je soutiens, selon laquelle les acteurs européens qui sortiront vainqueurs de la prochaine révolution numérique seront des acteurs plus éthiques, qui défendront davantage la protection des données personnelles, par exemple. Il me semble donc intéressant que des sociétés françaises tentent d'ores et déjà de se positionner sur le marché en recourant à des modèles basés sur les valeurs que je viens d'évoquer. Seb, une société française très innovante et aujourd'hui leader sur le marché mondial, mène actuellement une réflexion approfondie portant sur la rénovation complète du domaine de la cuisine en association avec les concepts de révolution numérique et d'objets connectés. Open Food System, un gros projet financé par le programme d'investissements d'avenir (PIA), et regroupant autour de Seb vingt-cinq partenaires comprenant des laboratoires, des startups et des grands groupes, vise à créer un écosystème de référence basé sur le concept de « cuisine numérique ». C'est ainsi qu'il faut procéder : non pas individuellement, mais en faisant en sorte de mobiliser un grand nombre d'acteurs du secteur concerné sur des projets d'envergure.

Le secteur de la santé, qui a également été évoqué, est très propice à l'innovation : l'économie numérique peut jouer un rôle majeur dans la médecine du futur, notamment en France. Cependant, l'évolution de ce secteur est actuellement bloquée par un élément légal, l'interdiction faite aux startups de procéder à des tests préalables à la mise en oeuvre d'une innovation dans le domaine de la santé : avant de pouvoir développer une application, il faut être en mesure de prouver qu'elle fonctionnera correctement. D'un point de vue législatif, il serait donc souhaitable d'évoluer en permettant aux startups de mener des expérimentations ex ante auprès de patients.

M. Jean-Pierre Le Roch a évoqué la question des applications dédiées à la santé et au bien-être. Travaillant beaucoup sur ce sujet du fait de mon intérêt pour l'internet des objets, je suis intervenue très récemment auprès du Conseil national de l'ordre des médecins sur la question de la gouvernance en matière d'e-santé. Cette question étant aujourd'hui ignorée par les institutions, d'autres acteurs vont s'en emparer et cela commence déjà à être le cas, avec la constitution d'importantes communautés de patients. Cependant, il y a un danger à laisser le secteur se réguler seul, celui de voir se produire des évolutions qui ne sont pas forcément celles que l'on souhaite, c'est pourquoi nous devons impérativement nous emparer de la gouvernance de l'e-santé.

Enfin, sur la question de l'enseignement supérieur, il convient de souligner que s'il existe en France des modules consacrés aux nouveaux métiers du digital, ils sont encore en nombre insuffisant. Il convient donc de les développer, ce qui est en train de se faire dans le cadre d'une très large transformation de l'enseignement supérieur effectuée autour de ces nouveaux enseignements : dans toutes les grandes écoles et les universités, des réflexions sont actuellement menées en ce sens.

Je conclurai en rappelant que le CNNum a été saisi par M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur, sur la transformation numérique de l'enseignement supérieur. J'ai travaillé sur cette question lors des derniers mois de mon mandat, et le rapport rédigé par le CNNum sera rendu dans les prochaines semaines.

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