Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 16 mars 2016 à 15h00
Déclaration du gouvernement et débat sur le rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées sur le territoire national pour protéger la population

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mesdames et messieurs les députés, j’ai l’honneur de vous présenter, comme le Gouvernement s’y était engagé au titre de l’article 7 de la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, un rapport sur les conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.

Aujourd’hui, la première opération de nos armées, en nombre de militaires engagés, se déroule sur le territoire national : il y a là un fait majeur qui marque une inflexion forte dans leur positionnement. En raison de la nature de la menace, cette inflexion a, malheureusement, vocation à s’inscrire dans la durée.

L’histoire peut nous aider à penser la singularité du moment que nous vivons : telle est la première démarche de ce rapport. Il faut du reste constater que c’est la première fois, dans l’histoire de la Ve République, qu’un tel débat, portant sur l’intervention des armées sur notre propre territoire, se tient au Parlement.

Depuis la Révolution française, exception faite des missions de sécurité civile, dont l’accomplissement implique régulièrement les armées sur le territoire national, les armées ont été employées sur ce même territoire par les gouvernements successifs dans deux types de missions : d’une part, le maintien de l’ordre, au XIXe siècle en particulier, et d’autre part la défense du territoire au sens strict.

Si la défense du territoire a toujours relevé des armées dans son principe, il n’en a pas été de même pour le maintien de l’ordre : en la matière, l’implication des armées est allée en s’amenuisant, avec l’apparition et le développement de forces spécialisées à cette fin, au fur et à mesure qu’était consolidée la responsabilité spécifique de ces forces.

S’agissant de la défense du territoire, cette fonction des armées a toujours existé, y compris depuis la Seconde guerre mondiale, même si la fin de la Guerre froide, en particulier, a conduit à la disparition du risque d’invasion de notre pays, faisant du même coup tomber en désuétude le concept de défense opérationnelle du territoire qui avait cours lorsque la menace était organisée par les plans militaires de l’ex-Pacte de Varsovie.

Pour autant, tous les Livres blancs sur la défense – depuis le premier en 1972 – ont souligné avec netteté le rôle des armées, leur mission première dans la défense et dans la protection de notre territoire et de sa population.

Jusqu’au début de l’année 2015, cette fonction de protection s’est traduite, au premier chef, par les missions permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime qui relèvent du Premier ministre ainsi que par une contribution, d’ailleurs relativement modeste en termes d’effectifs, au plan gouvernemental Vigipirate.

C’est cette répartition des missions que l’année 2015 est venue ébranler. L’offensive terroriste sans précédent dont la France a fait l’objet, avec deux séries d’attentats majeurs, a en effet changé la donne.

Les objectifs des terroristes, leurs modes d’entraînement et d’action, comme les niveaux de violence qu’ils sont atteints, ont remis en question les catégories de pensée qui prévalaient jusque-là : devant une menace d’un genre nouveau et d’une virulence inédite pour nos armées, il ne s’agit pas simplement d’apporter un concours supplémentaire, ponctuel, marginal et épisodique aux forces de sécurité intérieure.

Nous sommes bel et bien entrés dans une ère nouvelle, qu’il nous appartient de caractériser. Anticipant des dangers de ce type, les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et de 2013 avaient déjà décrit une continuité possible entre menace extérieure et danger à l’intérieur du territoire, et donc entre défense et sécurité nationale.

Les scénarios les plus exigeants en termes d’organisation des forces, tant en 2008 qu’en 2013, étaient ceux qui sollicitaient nos forces à la fois à l’extérieur et sur le territoire : c’est pourquoi ces documents, approuvés en Conseil de défense, puis traduits en lois de programmation, et enfin en contrats opérationnels assignés aux forces, ont prévu, outre nos dispositions permanentes sur mer et dans les airs, un contrat opérationnel d’engagement de 10 000 soldats.

Il s’agissait de concrétiser, pour les armées, l’éventualité d’une contribution majeure à la sécurité sur le territoire, et cela pour une durée qui n’avait été précisée ni en 2008 ni en 2013. Il était alors envisagé une crise majeure, mais ponctuelle, combinée avec une crise extérieure.

L’enjeu était bien, devant l’affirmation de risques susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nos frontières, d’envisager une réponse cohérente.

En janvier 2015, ce contrat de protection a été activé par le Président de la République, avec la mobilisation et le déploiement, en quelques jours, de 10 000 militaires dans le cadre de l’opération Sentinelle.

Après analyse des premiers retours d’expérience, le Président de la République a décidé, lors d’un Conseil de défense et de sécurité nationale, la rénovation de ce contrat de protection : celle-ci a été actée par la représentation nationale au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015.

Cette loi décrit ce nouveau contrat des armées sur le territoire national, avec une capacité permanente de mobilisation de 7 000 hommes dans la durée, capacité pouvant être portée à 10 000 hommes pour un mois. Ce niveau maximal a été de nouveau atteint après la nuit du 13 au 14 novembre 2015, avec une efficacité remarquable. Depuis lors, nos soldats sont déployés à ce haut niveau aux côtés des forces de sécurité intérieure, elles-mêmes très sollicitées.

S’agissant de l’emploi des armées sur le territoire national, il convient de noter que la France réagit selon des principes et dans des proportions comparables à celles des pays occidentaux confrontés à des situations analogues. Par exemple, le Royaume-Uni envisage un emploi de militaires en appui des forces de sécurité intérieure pour protéger des sites sensibles contre une menace terroriste dans le cadre du plan Temperer, conçu à la suite des attentats de Paris de janvier 2015, et cela à hauteur de 10 000 hommes. Ce dispositif est similaire à celui mis en place en France, même si le point de départ est différent.

Par ailleurs, l’Italie mobilise plus de 6 000 militaires dans des missions de contrôle du territoire national. La Belgique et l’Allemagne ne sont pas en reste, puisqu’elles ont décidé de mobiliser leurs armées, soit pour des opérations de contrôle du territoire, soit pour des opérations de prévention du terrorisme.

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