Intervention de Olivier Audibert Troin

Séance en hémicycle du 16 mars 2016 à 15h00
Déclaration du gouvernement et débat sur le rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées sur le territoire national pour protéger la population

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Audibert Troin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les attentats qui ont frappé la France en 2015 représentent une véritable rupture modifiant le contexte sécuritaire dans notre pays.

L’affirmation de cette menace terroriste nous oblige à repenser la fonction stratégique de protection et à actualiser le contrat opérationnel correspondant, ainsi que les modalités de l’engagement des armées sur le territoire national, devenu le premier théâtre d’opération.

Dans le Livre blancde 2013, le déploiement de 10 000 hommes sur le territoire national n’avait été envisagé que pour une période courte, dans une optique d’aide et de secours à la population, essentiellement d’ailleurs en cas de catastrophe naturelle, et non de protection contre le terrorisme.

Face à la modification substantielle de la menace pesant sur notre sol, le groupe Les Républicains, au nom duquel je m’exprime aujourd’hui, a plusieurs fois appelé de ses voeux un vrai débat devant la représentation nationale sur l’emploi de nos forces armées sur le territoire national. Ce débat se limite aujourd’hui à la simple présentation d’un rapport au Parlement, sans vote et en l’absence du ministre de l’intérieur : nous le regrettons vivement.

D’autant, monsieur le ministre, que ce qui saute aux yeux à la lecture de ce rapport, c’est ce goût très prononcé que semble éprouver le rédacteur à éviter toute aspérité, tout ce qui aurait pu apparaître comme un coin entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la défense.

Il faut lire la première version du rapport, qui comptait des développements plus longs sur l’histoire des armées sur le territoire national, notamment en matière de maintien de l’ordre ; puis la seconde version, qui renvoyait ces développements en annexe ; et enfin, la version définitive, qui les a carrément oubliés.

Et ce qui devait arriver arriva : un rapport certes circonstancié, mais au bout du compte bien mièvre en matière de propositions, dont bon nombre restent classifiées.

Disons-le tout de go, face à la radicalité des nouvelles menaces, nous attendions du Gouvernement un dispositif beaucoup plus offensif, sécurisé tant juridiquement que budgétairement et surtout, laissant apparaître la valeur ajoutée de nos armées pour la protection de nos populations, dès lors que le rôle d’acteur majeur lui a été reconnu en la matière.

Quelle valeur ajoutée les forces armées apportent-elles dans ce dispositif de protection des Français ?

Complémentaires des forces de sécurité intérieure, entièrement professionnalisées depuis vingt ans, les armées présentent des spécificités et qualités intrinsèques, acquises sur différents théâtres extérieurs, qu’elles peuvent employer au service de la protection de nos concitoyens sur le territoire national.

Le continuum annoncé de la menace, de l’extérieur vers l’intérieur, nous impose un continuum de la réponse, qui doit être apportée par le même soldat, ayant capitalisé une expérience opérationnelle en opération extérieure – ou OPEX – et la restituant, en l’adaptant, sur le territoire national.

Et c’est certainement ici le point le plus sensible du débat, car en parlant de continuum, en parlant d’état de guerre, l’on importe bien à l’intérieur de nos frontières le concept de conflit armé, mais dépouillé de l’outil juridique qui fait la force et qui protège individuellement le soldat en OPEX.

Par le régime de la légitime défense qui s’applique à lui, malgré l’extension prévue à l’article 19 du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le cadre d’emploi de la force est donc différent en OPEX et en opération intérieure ou OPINT.

En plaçant nos forces armées sous le régime de la réquisition sur le territoire national, en affirmant que nos forces armées n’interviennent « qu’en relais et en appui » des forces de sécurité intérieure, peut-on vraiment parler de continuum ?

En limitant le renseignement à « la surveillance d’objectifs ou d’activités susceptibles de constituer une menace » ou à la collecte « d’informations d’ambiance sur le terrain », peut-on vraiment parler de continuum, quand on sait l’importance du renseignement et la maîtrise de celui-ci par nos militaires en OPEX ?

Quand on évoque l’intervention des forces armées en cas d’attaque terroriste « en appui des forces de sécurité intérieure », peut-on là encore parler de continuum ?

Vous nous direz, monsieur le ministre : « Tout cela, ce sont des mots. » Mais les mots, les qualifications juridiques ont leur importance. En écartant toute hypothèse de création d’une force nationale spécifique, vous créez dans la durée un système hybride et par la rédaction même de ce rapport, vous entretenez le doute d’une force supplétive aux forces de sécurité intérieure.

Je sais pertinemment que vous ne souhaitez pas cela et que des marges de progression existent encore afin de mieux intégrer forces de sécurité intérieure et forces armées sur le territoire national.

Ainsi, l’expression des réquisitions ou demandes de concours s’effectue en termes « d’effets à obtenir » et non en « désignation de moyens spécifiques ».

De la même façon, l’association préalable des autorités militaires dans le processus d’établissement des réquisitions est une avancée. Mais l’approche concernant la coordination de la planification et la conduite des missions entre les armées et les forces de sécurité intérieure reste très insuffisante.

Il est très surprenant que la coordination entre l’armée et la gendarmerie soit nettement plus efficiente en Guyane, dans le cadre de l’opération Harpie, qu’elle ne l’est en métropole après les attaques terroristes que nous avons subies. Pourquoi ne pas avoir recours, comme en Guyane, à un centre d’opération commun ?

Un tel centre d’opération pourrait a minima travailler à la planification à froid de la réponse aux crises, et a maxima devenir un véritable centre de crise interministériel, à l’image de la cellule Cobra au Royaume-Uni.

En n’abordant pas de front ce vaste chantier préservant à la fois libertés publiques et sécurité de nos concitoyens, vous prêtez le flanc à la critique d’un professionnalisme de nos armées trop peu exploité, et donc d’une valeur ajoutée apportée par nos soldats bien en deçà de leurs capacités réelles et intrinsèques.

Par la création de ce système hybride dans la durée, vous qui souhaitiez ne pas faire de distinguo entre soldats d’OPEX et soldats d’OPINT, vous laissez, comme l’a dit Jean-Pierre Raffarin hier, « nos militaires […] guettés par le piège d’être des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure ».

Nos armées disposent d’une identité et d’un savoir-faire spécifiques. Il serait réducteur et contre-productif de les considérer comme une force de l’ordre supplémentaire qui viendrait simplement s’ajouter à la police et à la gendarmerie.

Il faut donc laisser, monsieur le ministre, à la force opérationnelle terrestre, une bonne marge d’initiative pour conserver sa liberté d’action, réduire la prévisibilité de ses déploiements, diversifier ses modes d’action et préserver son caractère dissuasif.

Bien sûr, l’intérêt majeur du recours au contrat de protection des armées tient à la capacité de réaction immédiate que constitue ce réservoir de forces à la disposition de l’État, à sa souplesse d’emploi et à sa modularité.

Le soldat en armes bénéficie en outre d’une image capable de rassurer la population : une forte visibilité confère aux soldats une vertu dissuasive complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure. C’est tout cela qui nous engage auprès de nos soldats tant en matière d’effectifs, d’équipements, de conditions d’exercice de la mission que de protection personnelle.

S’agissant des effectifs, l’actualisation de la loi de programmation militaire, en ouvrant 11 000 postes supplémentaires dans la Force opérationnelle terrestre – ou FOT – d’ici décembre 2016, est cohérente avec l’engagement de 7 000 à 10 000 hommes sur le territoire national.

Mais l’engagement des armées sur le territoire national atteint un niveau d’ores et déjà supérieur à ce qui est prévu par leur contrat opérationnel.

En 2015, certaines unités ont fait jusqu’à six rotations en mission Sentinelle au détriment de la préparation opérationnelle, dont le niveau n’atteindra que 60 % de celui observé avant le 13 novembre. Cette situation nous place en situation de risque de rupture capacitaire et de risque de rupture morale pour nos soldats. Projetés dans l’urgence, dans des conditions de rusticité inacceptables, notamment en termes de logement, nos soldats ont été aux deux tiers affectés à des missions de garde statique.

J’ajoute qu’avec les ventes envisagées de l’îlot Saint-Germain et du Val-de-Grâce, la problématique de l’hébergement se pose avec acuité. De ce point de vue, il est surprenant que le rapport reste silencieux sur ce point.

De la même façon, avec la mobilisation de 6 500 hommes en région parisienne, ce rapport reste tout aussi silencieux sur la protection de l’ensemble du territoire national, et particulièrement de la ruralité, qui apparaît désormais comme le maillon faible du dispositif.

Lors de notre déplacement au fort de Vincennes, nous avons pu constater l’acceptation de la mission par les militaires qui l’effectuent, mais aussi un phénomène de lassitude dû à la fréquence des engagements, à leur absence prolongée de leur zone de garnison, à la réduction du temps consacré à la préparation opérationnelle.

Par ailleurs, sur les 28 100 réservistes de nos armées, 10 000 ont vocation à participer à la fonction de protection. Ils en représentent un pilier fondamental. Nous pensons qu’un appui plus sensible de la réserve de la gendarmerie nationale est nécessaire.

Nous soutenons le passage à 40 000 du nombre de nos réservistes. Mais tout cela doit bien évidemment être inscrit dans le marbre de la loi. Comme je l’ai fait dans cet hémicycle il y a quelques mois lors des questions au Gouvernement, nous vous demandons à nouveau, monsieur le ministre, l’actualisation de la loi de programmation militaire intégrant les 700 millions du coût de la non-déflation, les 170 millions du coût de Sentinelle et le coût de la réserve supplémentaire.

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