Intervention de Christophe Léonard

Séance en hémicycle du 16 mars 2016 à 15h00
Déclaration du gouvernement et débat sur le rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées sur le territoire national pour protéger la population

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Léonard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, chers collègues, en application de l’article 7 de la loi du 28 juillet 2015 actualisant la loi de programmation militaire – LPM - pour les années 2015 à 2019, il appartient aux représentants du peuple que nous sommes de débattre sur les conditions d’emploi des forces armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population. Cette loi de programmation militaire actualisée, dois-je le rappeler ici, est la conséquence directe des attentats terroristes subis sur notre sol en 2015, même si l’article 6 de la LPM initiale, votée en décembre 2013, prévoyait expressément une adaptation possible ultérieure en fonction des menaces tant extérieures qu’intérieures.

À l’initiative du Président de la République, chef des armées, et après validation du Conseil de défense d’avril 2015, le Parlement a donc décidé une augmentation du budget de la défense de 3,8 milliards d’euros sur la période 2015-2019 – 2,8 milliards consacrés aux emplois, 500 millions à l’entretien programmé des matériels et 500 autres millions à des opérations d’armements –, le renforcement des effectifs dans le domaine du renseignement et de la cyberdéfense d’au moins 2 000 personnes et l’adoption d’un nouveau contrat « protection » permettant notamment le déploiement, dans la durée, de 7 000 hommes sur le territoire national, ce chiffre pouvant monter jusqu’à 10 000 hommes.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale d’avril 2013 avait à cet égard reconnu la fonction « protection » comme un élément fondamental d’un « triptyque dissuasion - intervention - protection » devant « structurer l’action de nos armées » et « conférant à la sécurité de la France la profondeur stratégique qui lui est indispensable ». Dès 2010, une instruction ministérielle précisait même les modalités de mise en oeuvre de ce contrat opérationnel de protection, en fixant sa procédure et en définissant quatre « scénarios génériques d’engagement » : « une attaque terroriste majeure », une pandémie massive, une catastrophe naturelle ou une « crise d’ordre public ».

Toutefois, force est de constater que ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est la parade à « des modes d’action terroristes de plus en plus militarisés et professionnalisés », sans oublier de possibles menaces toxiques, chimiques et cyber. À ce stade de mon propos, je souhaite souligner le professionnalisme de nos armées et de nos soldats, comme de toutes nos forces de sécurités civiles et militaires engagées dans la protection de notre pays, et saluer tout particulièrement – je vous prie de bien vouloir excuser ce prisme local – les femmes et les hommes du 3ème régiment du génie de Charleville-Mézières, régulièrement engagés non seulement en opération Sentinelle au fort de Vincennes, mais aussi au Mali, en Centrafrique et en Guyane, hier en Afghanistan, et aujourd’hui représentés dans les tribunes de notre hémicycle.

Chers collègues, l’utilisation de nos armées sur le territoire national n’est pas un élément nouveau. Elles ont toujours eu une mission de protection du territoire, tournée hier contre une invasion étrangère, aujourd’hui vers le continuum entre sécurité extérieure et sécurité intérieure.

Toutefois, l’offensive terroriste que nous connaissons aujourd’hui nous oblige à actualiser ce rôle que d’aucuns avaient jugé un peu théorique. Il ne s’agit plus, en effet, d’apporter un complément d’effectifs relativement modeste aux forces de sécurité intérieure sur le modèle du plan gouvernemental Vigipirate, mais de garantir, dans tous les milieux, la capacité de conduire le volet militaire des opérations de sécurité intérieure impliquant plusieurs milliers d’hommes à l’identique des interventions extérieures.

C’est pourquoi votre rapport annonce, en complément de la posture permanente de sauvegarde maritime et de la posture permanente de sûreté aérienne, la création de deux nouvelles postures – la posture de protection terrestre et la posture cyber –, ainsi que de deux dispositifs du même ordre, qui ne sont pas appelés « postures » mais « capacités permanentes », concernant le soutien sanitaire et le soutien pétrolier.

Cette nouvelle posture de protection terrestre est caractérisée par son adaptabilité : elle sera « continue dans le temps, mais discontinue en volume et dans l’espace ». Sa chaîne de commandement militaire sera, à tous les niveaux, mise « au service de l’autorité civile en charge de la sécurité intérieure ». Quant à son contenu militaire, il reposera sur « un ensemble de savoir-faire et de compétences détenus par l’armée de terre et utilisés pour les opérations extérieures comme pour les opérations intérieures ». Les forces armées répondront à des réquisitions préfectorales exprimées en « effets à obtenir », alors que, dans le cadre actuel de l’opération Sentinelle, l’énoncé des réquisitions porte trop souvent sur les « moyens à employer ».

Cette nouvelle posture de protection terrestre comprend notamment des missions de sécurité, conduites en autonomie ou conjointement avec les forces de sécurité intérieure. Ces missions consisteront notamment à surveiller ou contrôler une zone, à protéger des sites « en privilégiant au maximum une approche zonale », c’est-à-dire dynamique, à escorter des convois, à contribuer à la surveillance des objectifs ou activités susceptibles de constituer une menace, à collecter des informations d’ambiance sur le terrain, et à intervenir, en cas d’attaque terroriste, en appui des forces de sécurité intérieure.

Votre rapport définit précisément le périmètre des missions dévolues à nos armées sur le territoire national et décline à cet effet six types de missions de sécurité.

Premièrement, les missions de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Parmi ces missions figurent la présence dissuasive et rassurante pour la population, le contrôle et la surveillance de zones et d’axes de communication, la protection de grands événements, la protection des structures essentielles de l’État et de points d’importance vitale, et la « capacité à rétablir un rapport de forces favorable pour sauver des vies humaines », en complément des forces de sécurité intérieure spécialisées – le RAID, la BRI et le GIGN – en cas d’attentats majeurs ou de prises d’otages massives.

Les cinq autres types de missions de sécurité sont la contribution à la lutte contre le crime organisé dans deux secteurs – les opérations anti-drogue en mer et la lutte contre l’orpaillage illégal –, la défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques, la sauvegarde maritime, la sûreté aérienne et la sécurité civile en cas de sinistres et de catastrophes.

Votre rapport précise également les neuf principes généraux d’engagement des armées sur le territoire national : la demande de l’autorité civile ; la compétence du ministre de la défense pour prendre les dispositions nécessaires afin de répondre à ces demandes ; l’expression des réquisitions ou des demandes de concours en termes « d’effets à obtenir » et, autant que possible, bornées dans l’espace et dans le temps ; l’association préalable des autorités militaires dans le processus d’établissement des réquisitions ; le maintien d’une marge d’initiative et de manoeuvre pour les armées dans leurs modes d’action, pour réduire la prévisibilité des déploiements, diversifier la tactique et assurer le caractère dissuasif du déploiement ; l’information régulière de l’autorité civile et le contrôle par cette dernière de la mission ; l’emploi des armées visant « la plus grande cohérence possible avec leurs spécificités propres ».

Compte tenu de l’effet dissuasif de la forte visibilité des militaires, de leur capacité de planification, de leur autonomie, de leur mobilité territoriale, de leur réactivité, de leur capacité à mettre en oeuvre la force armée dans toutes ses composantes, de leur « capacité de cyberdéfense intégrée » et des moyens spécialisés rares dont ils disposent – équipements NRBC, moyens aériens –, l’emploi des militaires pour la protection intérieure de notre territoire n’est plus aujourd’hui, ou presque, un sujet de débats.

De fait, la clarté du cadre d’emploi de nos militaires concourt, autant que les moyens qui leur sont affectés, à l’efficacité de leur déploiement sur le territoire national. C’est pourquoi les règles d’engagement des armes à feu, quand cette décision relève de la seule responsabilité des forces de sécurité intérieure, sans déborder ni sur le domaine judiciaire ni sur le maintien de l’ordre, devaient être sécurisées juridiquement. C’est ce que nous avons fait dans le cadre de l’article 19 du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, voté en première lecture par notre assemblée le 8 mars dernier. Il s’agit là d’un élément notable.

Néanmoins, en tant que membre de la commission de la défense et des forces armées, je souhaite, monsieur le ministre, vous faire part de quelques remarques.

Votre rapport reste très prudent concernant le renseignement : même le terme est évité ! Si le rapport ouvre la voie à un meilleur partage des « informations à fins opérationnelles » avec les autorités civiles et à l’emploi de certaines capacités de renseignement des armées, le sujet est assez peu approfondi. Il devra l’être davantage dans un proche avenir.

Si les ministères de l’intérieur et de la défense ont pu s’accorder sur le texte du rapport, c’est peut-être au prix d’une coordination insuffisante de la planification et de la conduite des missions entre les armées et les forces de sécurité intérieure. Pourtant, les retours d’expérience des attentats du 13 novembre et de l’assaut de Saint-Denis montrent qu’il peut y avoir des marges de progrès. Ainsi, en Guyane, la coordination nettement plus poussée qu’en métropole entre la gendarmerie et l’opération Harpie, qui ont mis en place des centres d’opérations communs, donne entière satisfaction.

Par ailleurs, votre rapport reste silencieux quant au possible recours au commandement des opérations spéciales en cas de débordement ou de saturation des forces de sécurité intérieure spécialisées, dans l’hypothèse d’attaques multiples et coordonnées sur notre sol.

De même que l’on entraîne nos soldats aux interventions interarmées, il m’apparaît indispensable de nous entraîner dorénavant à l’interservice entre les armées, les forces de sécurité intérieure et les services d’incendie et de secours aux personnes. Par conséquent, des lieux spécifiques doivent être mis en place rapidement sur le territoire national pour permettre l’entraînement de nos hommes. Votre rapport n’aborde pas franchement cette perspective.

La nécessité de moyens et de matériels nouveaux est, somme toute, également regardée avec une focale relativement large. À cet égard, la multifonctionnalité des drones est dorénavant incontournable dans notre arsenal de protection : elle doit être approfondie.

De même que les infrastructures d’accueil de nos soldats doivent être redimensionnées dans une perspective de long terme, la recherche de capacités d’accueil des populations civiles doit être expertisée. Pensons à ce qui s’est passé hier en Belgique !

En outre, l’acceptabilité de la présence militaire au coin des rues de nos villes ne saurait être surestimée, en particulier dans l’hypothèse de dégâts civils collatéraux, malheureusement toujours possibles. C’est pourquoi la réversibilité des effectifs mobilisés à un moment donné, en fonction des besoins opérationnels réels, doit être aussi abordée.

Enfin, les conséquences de l’engagement de tous les instants de nos personnels, en termes de vie de famille et de vie personnelle, sont insuffisamment compensées financièrement par les régimes indemnitaires de sujétions en vigueur. En effet, ces éléments de rémunération compensatoire sont fiscalisés dans le cadre des opérations intérieures quand ils ne le sont pas pour les opérations extérieures, ce qui est loin d’être neutre pour les revenus des ménages concernés !

Pour conclure, monsieur le ministre, je dirai simplement que votre rapport constitue un élément d’approfondissement utile et indispensable concernant l’emploi de nos forces armées dans la protection de notre pays. Il s’inscrit dans la volonté du Gouvernement de préserver notre souveraineté nationale, mais aussi et surtout la force de la parole de la France dans le monde. Pour autant, au regard de nos exigences démocratiques et républicaines, votre rapport ne pourra que conduire notre assemblée à débattre prochainement d’une nouvelle actualisation de la loi de programmation militaire en cours d’exécution.

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