Intervention de Patrick Hetzel

Réunion du 16 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel :

Le drame du Rana Plaza, survenu il y a deux ans et qui a fait plus d'un millier de victimes, a suscité une vive émotion. Chacun s'accorde à dire que les pratiques de production ayant conduit à cette catastrophe doivent changer. Cela dit, si noble l'intention du texte soit-elle, il est évident qu'il n'aurait rien changé au drame en question. Nous sommes d'accord pour dire que les règles de sécurité et de santé des salariés au travail dans les pays en développement sont largement insuffisantes, mais il ne relève pas de la responsabilité du législateur français de les modifier de manière isolée. Cet argument évoqué par le rapporteur est important : seule une action internationale et européenne concertée peut faire bouger les lignes, et tenter de le faire de manière isolée comporte des risques.

Certains principes directeurs de l'OCDE, relayés par les points de contact nationaux (PCN), aident les entreprises et leurs parties prenantes à adopter une conduite responsable dans leur chaîne d'approvisionnement. Le drame du Rana Plaza avait d'ailleurs donné lieu à la saisine du point de contact national français. Celui-ci avait rendu dès décembre 2013 un rapport contenant des recommandations et des propositions pour faire évoluer les pratiques des entreprises, élaborées sur la base d'un dialogue et d'un consensus entre les différentes parties prenantes, c'est-à-dire entre l'administration, les entreprises concernées et les organisations représentatives des salariés.

Les entreprises françaises obtiennent aujourd'hui d'excellents résultats en matière de responsabilité sociale et environnementale. Une étude de mars 2015, menée par EcoVadis et la plateforme Médiation Inter-Entreprises, montre que la France fait figure de leader mondial en matière de RSE : près de 47 % des entreprises françaises ont un système de management de la RSE considéré comme performant ou exemplaire, alors que ce pourcentage n'est que de 40 % dans les pays de l'OCDE, et à peine 15 % dans les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Comme on le voit, une réponse à l'échelle de la France n'est pas adaptée. Les risques pour la réputation et les sanctions qui peuvent être prises par le marché ont opéré un changement de mentalité et constituent déjà une incitation au progrès : c'est dans cette direction qu'il faut continuer à avancer.

En outre, ce texte aurait un effet pervers pour les entreprises françaises – qu'il s'agisse des multinationales ou des PME – en ce qu'il créerait un désavantage compétitif supplémentaire pour elles avec, à terme, le risque de détruire des emplois en France. Or c'est un point sur lequel vous n'avez apporté aucune réponse, monsieur le rapporteur : quid des emplois en France et de l'impact sur la compétitivité des entreprises françaises ?

Il sera par ailleurs très difficile, voire impossible, de mettre en oeuvre l'obligation de vigilance sur toute la chaîne de sous-traitants et de fournisseurs, a fortiori pour les PME et les TPE françaises, auxquelles les grandes entreprises concernées demanderont des garanties et imposeront des plans de vigilance en cascade, créant ainsi un poids administratif et financier supplémentaire, ce qui entraînera une fragilité juridique source d'un grand nombre de contentieux.

Nous regrettons l'approche coercitive et punitive que vous privilégiez, car vous donnez une vision très négative des compagnies françaises, en décalage avec ce que montrent les études. Alors que nos entreprises sont plutôt exemplaires en comparaison des entreprises étrangères, ce texte laisse penser l'inverse. Une telle approche est préjudiciable, et je ne suis pas sûr que vous ayez mesuré l'impact que cela peut avoir en termes d'attractivité de la France pour des investisseurs potentiels : une telle législation a de quoi en décourager plus d'un. Ainsi, au lieu d'avoir un effet vertueux, votre texte risque fort d'être à l'origine d'une spirale infernale, alors que l'un des principaux problèmes se posant aujourd'hui à notre pays est celui de l'emploi.

Pour l'ensemble de ces raisons, notre groupe partage la position du Sénat, et s'opposera aux amendements présentés par le rapporteur.

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