Intervention de Dominique Potier

Réunion du 16 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Je n'oublie pas que la présente proposition de loi est le fruit du travail accompli dans le cadre d'un cercle de réflexion organisé par Mme Danielle Auroi, M. Philippe Noguès et moi-même, où des parlementaires de toutes sensibilités se sont interrogés ensemble sur les réponses pouvant être apportées à cette question de la responsabilité sociétale des multinationales. Je remercie tout particulièrement Mme Danielle Auroi de continuer à livrer le combat à l'échelle européenne, tandis que nous le menons en France.

Nous sommes très sollicités hors de nos frontières. Cette proposition de loi éveille un grand intérêt en Afrique et en Amérique latine et, si nous ne pouvons répondre à toutes les invitations que nous recevons, je serai prochainement en Suède après m'être rendu à Vienne il y a quelques jours. Avec cette initiative et le débat qu'elle suscite, la France renoue avec la tradition universaliste et humaniste qui la caractérise et constitue l'une de ses forces, y compris sur le plan économique. En effet, ce n'est pas en pratiquant le low cost et l'alignement sur les normes culturelles anglo-saxonnes ou asiatiques que la France gagnera, mais en arborant fièrement ses couleurs, celles des droits de l'homme et de la République des Lumières.

Je veux dire à M. Patrick Hetzel que la France n'est pas seule à mener le combat que je soutiens : il n'est que de voir ce que d'autres pays ont fait en la matière pour s'en convaincre. Ainsi, nous avons pris à l'égard du Royaume-Uni une longueur de retard qui ne nous honore pas : il est impossible à une entreprise britannique de travailler avec des sous-traitants qui font travailler des enfants – cela lui coûterait extrêmement cher. L'Espagne et l'Italie se sont, elles, dotées de mécanismes de responsabilité afin de lutter contre la corruption, et je pourrais citer bien d'autres exemples.

À l'heure actuelle, la France est plutôt en retard : elle tient de beaux discours, mais elle n'aura pas véritablement progressé tant qu'elle n'aura pas adopté cette loi à large spectre, qui lui permettra de traiter à la fois les questions de corruption – c'était une suggestion du ministre de l'Économie, qui a insisté sur la nécessité de mettre en place des plans de prévention plutôt que d'avoir à régler des pénalités très élevées infligées dans le cadre d'arbitrages anglo-saxons qui sanctionnent lourdement nos entreprises – et celles relatives aux droits de l'homme et aux atteintes à l'environnement.

Par ailleurs, vous nous dites que les entreprises françaises, déjà championnes du monde de la RSE dans les faits, vont subir un handicap de compétitivité si elles inscrivent leur engagement dans un plan de vigilance. Pour en avoir parlé avec nombre de responsables de grandes entreprises françaises, je suis convaincu que nos entreprises appliquent la RSE par souci d'éthique, et non pour des préoccupations touchant à la réputation : c'est bien par conviction qu'elles sont exemplaires, et le pas consistant à faire figurer leurs convictions dans un plan de vigilance sera facile à faire. De plus, toutes les personnes que j'ai rencontrées m'ont confié que l'adoption d'un plan de vigilance serait de nature à protéger leurs entreprises de leurs concurrents moins scrupuleux, que ce soit à l'échelle nationale ou internationale.

Vous affirmez qu'il serait impossible aux PME et TPE de mettre en oeuvre l'obligation de vigilance sur toute leur chaîne de sous-traitants et de fournisseurs en raison de la charge administrative et financière que cela ferait peser sur elles. Cet argument a été réfuté par le sénateur Didier Marie : ce sont bien l'inspection du travail et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) qui vérifient l'application des normes dans nos entreprises, et il n'est pas nécessaire, dans une société de droit comme la nôtre, que la société mère vienne s'assurer que les apprentis de ses sous-traitants travaillent dans des conditions de sécurité satisfaisantes. L'obligation de vigilance n'aura donc aucun impact négatif en termes de compétitivité pour les entreprises européennes.

Enfin, vous évoquez une loi coercitive. Certes, dans sa rédaction initiale, le texte prévoyait que le responsable présumé devait indemniser les dommages causés ; cependant, à la suite d'une discussion avec le Gouvernement, nous sommes parvenus à un texte de compromis aux termes duquel c'est le principe de prévention qui prévaut, seule l'absence de prévention faisant l'objet d'une sanction.

On a beaucoup évoqué le combat pour l'abolition de l'esclavage et la prévention des accidents du travail au XXIe siècle. Le juriste Charley Hannoun a développé un autre parallèle qui me semble particulièrement intéressant : il y a exactement un siècle, on adoptait le principe de la comptabilité moderne, avec la mise en place d'un commissaire aux comptes. À l'époque, on a entendu les mêmes arguments que ceux invoqués aujourd'hui pour repousser l'obligation de vigilance : la comptabilité moderne allait porter atteinte à la compétitivité des entreprises, elle revenait à mettre en doute leur honnêteté et se traduirait par une charge bureaucratique supplémentaire. Aujourd'hui, qui pourrait nier que la comptabilité moderne soit la condition nécessaire à des relations de commerce dominées par la confiance, ce qui est la base d'une saine économie ? En rendant les relations commerciales plus transparentes et plus loyales, la comptabilité moderne a musclé l'économie et permis aux bons acteurs économiques de s'épanouir. Je suis persuadé qu'aujourd'hui, avec la loi novatrice qui vous est proposée, nous nous apprêtons à mettre en oeuvre une comptabilité saine des droits humains et du respect de l'environnement, qui est une condition essentielle pour que prospère une économie juste et humaine.

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