Intervention de Jean Jacques Vlody

Réunion du 16 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Jacques Vlody :

Cette proposition de loi vise à resituer la République – qui, en raison de son histoire, fonctionne de manière centralisée – dans toute sa dimension ultramarine, et rappelle que, si nos territoires cumulent des difficultés sociales bien connues, ils possèdent aussi des atouts et des richesses, que des perspectives économiques s'ouvrent à eux, mais qu'il faut leur donner les moyens nécessaires.

On peut trouver surprenant que la République entretienne des relations bilatérales avec l'ensemble des pays voisins de nos territoires sans que ceux-ci y soient associés. Ainsi, les relations bilatérales avec Maurice, les Seychelles, Madagascar sont traitées directement au ministère des Affaires étrangères sans que le territoire de La Réunion – qui est la France dans l'espace géographique concerné – y soit un seul instant associé. Or il est assez frustrant, pour les Français que nous sommes, de voir passer au-dessus de nos têtes des budgets consacrés par l'Agence française de développement à la construction d'un port à Maurice. Quand nous demandons des fonds pour construire le même port à La Réunion, on nous répond que ce n'est pas possible, qu'il n'y a pas de ligne budgétaire pour cela ! On aboutit ainsi à cette contradiction : on se contente d'accompagner nos difficultés sociales, tout en accompagnant le développement économique de pays voisins au détriment de nos propres territoires, de notre propre pays.

Je songe aux accords ACP (pour Afrique, Caraïbes, Pacifique), qui permettent à des pays voisins – Maurice, Madagascar et les Seychelles, en ce qui concerne La Réunion – de mettre leur production agricole sur le marché européen sans se plier aux normes européennes auxquelles la production des territoires ultramarins, appartenant à l'Union européenne, est soumise. C'est un fonctionnement assez extraordinaire ! À Maurice, à 200 kilomètres de distance de La Réunion, la production de l'ananas ne respecte aucune des normes européennes – environnementales, phytosanitaires, etc. – qui s'appliquent à La Réunion, île qui connaît pourtant les mêmes difficultés.

Cette proposition de loi vise à permettre à nos territoires d'avoir une discussion d'égal à égal avec les pays de la zone. Depuis quelques semaines, je suis chargé par le Premier ministre d'une mission visant à mieux insérer les départements et les régions dans leur espace géographique. Deux exemples montreront l'intérêt et la portée du texte.

Aujourd'hui, l'île Maurice développe, à l'échelle internationale, un pôle universitaire qui devient peu à peu ce que l'université de La Réunion a été pendant des décennies dans l'océan Indien. Ceux de ma génération qui sont aujourd'hui ministres à Maurice, à Madagascar ou aux Seychelles ont été formés par l'université de La Réunion. Hélas, depuis vingt ans, celle-ci a perdu cette aura, ce rôle, cette fonction : c'est que la priorité de l'État n'est pas de développer l'université de l'océan Indien. De même, le CHU de La Réunion est la référence dans la zone, mais, pour le concurrencer, Maurice a entrepris de faire venir sur son territoire de grands professeurs du monde entier. Or il est techniquement impossible que l'île Maurice discute avec la région Réunion : Maurice ne peut discuter qu'avec l'État français. C'est donc à l'État de se mettre à la table des discussions, et La Réunion passe à la trappe ! Il lui faut appeler l'État, et vous imaginez bien que, avant de réveiller l'État à propos d'un problème qui concerne l'université ou le CHU de La Réunion, nous aurons perdu dix ans !

Mieux, la SAPMER, société de pêche réunionnaise, financée par la fiscalité française et les dispositifs français de défiscalisation, est désormais établie à Maurice parce que La Réunion n'a pas eu en temps et en heure les moyens et la politique nécessaires pour développer un port de pêche de transformation. À Maurice, quand le ministre décide, c'est appliqué dans la minute ou les heures qui suivent. Ainsi, des entreprises qui fonctionnent grâce à l'aide de l'État français contribuent aujourd'hui à la richesse de Maurice plutôt qu'à celle de notre territoire !

Cette proposition de loi permettra aux collectivités de discuter d'égal à égal, avec l'aval de l'État, et de signer ces accords-cadres, ces accords de partenariat, avec ou à la place de l'État, selon les situations. Ainsi nos territoires seront-ils plus impliqués, mieux associés et pleinement acteurs de leur développement dans leur espace géographique.

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