Intervention de Alain Lacabarats

Réunion du 3 mars 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Alain Lacabarats, membre du Conseil supérieur de la magistrature et ancien président de chambre à la Cour de Cassation :

Vous m'interrogez sur le paritarisme en matière judiciaire et je dois préciser que le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal paritaire des baux ruraux reposent sur un système échevinal. La mixité de composition est un principe très intéressant : le juge professionnel est là pour sécuriser, par sa connaissance des règles de procédure, de déontologie, de rédaction du jugement, par sa connaissance aussi du fond du droit, qu'il peut nourrir de l'expérience des professionnels du domaine concerné, par exemple le droit des affaires en matière prud'homale. Le tribunal pour enfants est un très bon exemple de juridiction fonctionnant avec une composition mixte. Et l'on pourrait imaginer voir ce principe étendu à d'autres domaines. La réforme de 2000 des tribunaux de commerce reposait ainsi sur cette idée. Il a même été proposé d'introduire cette mixité au niveau des cours d'appel en matière commerciale, ce qui aurait été une bonne réforme. Pour la Cour de cassation, le problème est différent car nous jugeons des questions de droit. Mais nous pourrions toujours y réfléchir. Pierre Laroque, par exemple, y était favorable.

En ce qui concerne les cours d'appel, il faut impérativement qu'il y ait des magistrats spécialisés en droit du travail, ce qui n'est pas le cas actuellement. Un magistrat nommé dans une cour d'appel peut tout à fait être amené à y découvrir le droit du travail. Que la loi d'août 2015 ait prévu qu'un vivier de juges dotés de compétences dans cette matière soit mobilisé dès la première instance me paraît absolument indispensable, notamment pour asseoir leur légitimité vis-à-vis des conseils de prud'hommes, qui peuvent toujours opposer aux juges qu'ils ne connaissent pas le droit du travail plus qu'eux-mêmes. Beaucoup de cours d'appel sont confrontées à des barreaux spécialisés en droit du travail et l'on ne peut laisser des juges généralistes « amateurs » face à des cabinets d'avocats professionnalisés.

La procédure écrite constitue une avancée importante pour améliorer les délais du fait des contraintes qu'elle implique, même si elle ne va pas régler tout de suite le problème de l'encombrement des cours d'appel. Il faut commencer par la juridiction de première instance si l'on veut limiter le taux d'appel. En réalité, l'instauration d'une procédure écrite s'inscrit dans une évolution plus générale que connaissent les cours d'appel, qui n'ont pratiquement plus à juger d'affaires sans qu'une partie soit représentée ou assistée par un avocat ou un défenseur syndical.

À la Cour de cassation, il importe de poursuivre les travaux entrepris depuis près d'un an dans les groupes de réflexion mis en place par le premier président. Nous pensons qu'il est possible d'améliorer sensiblement notre manière de travailler. Cela repose en partie sur un meilleur filtrage des affaires : il faut impérativement juger rapidement celles qui ne posent que des questions que nous qualifions dans notre jargon de « disciplinaires » – défaut de motif de la décision, non-respect du principe de la contradiction, par exemple. Et je suis conduit à penser qu'il n'y a pas la moitié des pourvois en cassation qui posent de réelles questions de droit : on essaie simplement de nous faire juger pour la troisième fois une affaire, avec un simple habillage juridique. Ce temps ainsi dégagé nous permettra de consacrer utilement nos énergies aux affaires qui le méritent en sélectionnant dans chaque type de contentieux les grandes questions qui appellent un travail approfondi de notre part. Nous nous orientons, pour certaines affaires, vers une motivation de nos arrêts beaucoup plus développée, où seront expliquées plus clairement les raisons pour lesquelles nous parvenons à cette solution sur le plan juridique. Je préside le groupe de travail consacré aux motivations et les expérimentations que nous avons menées ont abouti à de bons résultats. Reste à faire en sorte que l'ensemble des magistrats des chambres de la Cour s'approprient ce travail.

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