Intervention de Jean-François Merle

Réunion du 3 mars 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jean-François Merle, président du Conseil supérieur de la prud'homie, membre du Conseil d'état :

Il est une question dont je n'ai pas encore fait le tour depuis bientôt huit années que je préside le Conseil supérieur de la prud'homie. Comment expliquer le décalage entre l'image des juridictions prud'homales auprès des employeurs – je me souviens d'une présidente du MEDEF qui affirmait que les procédures devant les prud'hommes aboutissaient systématiquement à la condamnation de l'employeur, et que, dans 80 % des cas, les conseillers prud'hommes donnaient raison aux salariés –, et l'attachement extrêmement fort à cette juridiction que manifestent les représentants des employeurs qui siègent au Conseil supérieur et dans les conseils de prud'hommes ? N'est-il pas un peu paradoxal de véhiculer des clichés prêtant de multiples tares à une institution à laquelle on marque un réel attachement ? Cet attachement général au paritarisme, qui est même viscéral, tient sans doute à l'histoire complexe de l'institution des prud'hommes autant qu'à celle des relations sociales dans notre pays.

Les représentants des organisations syndicales de salariés considèrent souvent les conseils de prud'hommes comme une conquête sociale du monde du travail, mais, à l'origine, il s'agissait plutôt d'un outil de collaboration entre les classes sociales et d'un instrument de résolution amiable des litiges, par opposition à la lutte des classes.

Au-delà de ses fonctions de conciliation et de jugement, l'institution est devenue une forme de substitut collectif à la relation singulière entre l'employeur et le salarié. C'est probablement ce qui explique l'intérêt que lui portent tous ceux qui sont amenés à exercer les fonctions de juges prud'homaux. Cette relation singulière est, quoi qu'on en dise, profondément inégalitaire – la libre négociation du contrat de travail en période de chômage aigu est évidemment une notion un peu fictive. L'institution prud'homale permet que la résolution des litiges entre employeurs et salariés se déroule non pas en face-à-face, mais dans une représentation collective de leur relation, grâce au paritarisme et à des juges qui sont extérieurs au litige, mais pas étrangers à l'entreprise. Cela explique probablement que les uns ou les autres refusent tout système d'échevinage qui reviendrait à confier la résolution des conflits à un juge professionnel, à la fois extérieur mais aussi étranger à l'entreprise.

On parle souvent de la lourdeur, de la complexité, et de l'instabilité du code du travail. Nous pourrions en débattre, mais, en tout état de cause, nous ne pouvons que reconnaître que le livre des procédures fiscales du code général des impôts n'a rien à lui envier. Pourtant, alors qu'aucun employeur, même dans une TPE, n'aurait l'idée de gérer lui-même sa comptabilité sans faire appel à des experts, ils sont nombreux à considérer qu'il leur revient de gérer eux-mêmes l'embauche ou les relations de travail. Cela montre à quel point ces derniers sujets sont liés aux relations humaines dans l'entreprise, qui échappent à toute logique d'extériorisation.

J'en viens aux critiques exprimées à l'encontre du paritarisme.

Il s'agit d'une exception française, entends-je. Ce n'est pas faux, mais l'argument ne suffit pas à disqualifier le paritarisme qui constitue un héritage de l'histoire sociale singulière de notre pays. Après tout, la Commune de Paris est aussi une exception française qui fait bel et bien partie de l'histoire tourmentée de nos relations sociales. Et puis il existe un lien historique entre les valeurs qu'a voulu promouvoir le Conseil national de la Résistance, et la modernisation de la législation relative aux prud'hommes défendue par certains des ministres des affaires sociales du général de Gaulle comme Robert Boulin ou Jean-Marcel Jeanneney.

Le délai de traitement des affaires pose un problème bien plus concret. Une approche objective devrait amener à consulter les statistiques en tenant compte de la taille des conseils de prud'hommes. Lors de la révision de la carte judiciaire de 2008, on a voulu supprimer les conseils de petites tailles au motif que le faible nombre d'affaires traitées annuellement donnait aux conseillers une moindre expertise juridique, et que leurs décisions risquaient d'être invalidées. Pourtant, c'est dans les plus petits conseils de prud'hommes que les taux d'appel et de réformation sont les plus faibles. Si leurs décisions ne sont pas les plus sûres ou les plus élaborées sur le plan juridique, ils jouent leur rôle historique de juge de paix sociale. En 1790, les prud'hommes ne furent-ils pas les assesseurs des juges de paix en matière de droit du travail ? Les conseils les plus engorgés sont les plus importants : on fait peut-être une erreur d'optique en ne considérant pas cet élément.

En matière de délais, il faut aussi compter avec ceux dus à la mobilisation des juges départiteurs. Ils sont extrêmement variables d'une juridiction à l'autre – du simple au triple. En l'espèce, le paritarisme n'est pas en cause. Il s'agit plutôt d'un problème de fonctionnement de l'institution judiciaire.

On met souvent en avant le nombre d'affaires évoquées en appel. J'ai été frappé par le fait que leur proportion n'était pas différente en Alsace-Moselle, territoire qui a conservé un système d'échevinage, et dans le reste du pays. Cela tend à montrer que la présence permanente d'un juge professionnel dans la juridiction ne limite pas le nombre d'appels. L'échevinage joue moins que la taille du conseil que j'évoquais, car le traitement rapide des affaires permet souvent de faire baisser le taux d'appel.

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