Intervention de Yann Delabrière

Réunion du 16 mars 2016 à 11h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Yann Delabrière, président-directeur général de Faurecia :

Le groupe Faurecia a réalisé l'an dernier environ 21 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie un peu plus de 100 000 personnes dans le monde.

L'entreprise est spécialisée dans quatre segments d'activité. Le premier, que nous appelons en interne Emissions Control Technologies, couvre effectivement le traitement acoustique et environnemental des émissions des voitures et des camions. Cette activité représente 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires, mais on cite souvent plutôt le chiffre de 3,5 milliards d'euros, car il y a une part importante de métaux précieux dans les systèmes d'échappement, métaux dont nous ne sommes pas producteurs. Notre deuxième activité, qui représente à peu près 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, consiste à fabriquer des sièges d'automobile. Nous fabriquons également tout le reste de l'habitacle de la voiture – cockpits, panneaux de porte, revêtement acoustique, habillage du sol –, pour un total de quelque 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Nous avons aussi une activité consacrée à toutes les pièces en plastique de l'extérieur de la voiture – principalement des pare-chocs et des hayons arrière – pour environ 2 milliards d'euros.

Nous sommes le sixième équipementier mondial : se trouvent devant nous deux équipementiers allemands bien connus, Continental et Bosch ; deux japonais, Denso et Aisin ; enfin, l'entreprise nord-américaine Magna.

Nous opérons à l'échelle mondiale : nous réalisons environ 50 % de notre chiffre d'affaires en Europe, 30 % en Amérique du Nord et un peu moins de 20 % en Asie – le solde se répartissant entre l'Amérique du Sud et l'Afrique du Sud. Du fait de cette expansion mondiale, notre base de clients est également mondiale. Notre premier client est le groupe Volkswagen qui représente autour de 20 % de notre activité, nos trois clients allemands – BMW, Daimler et Volkswagen – constituant entre 35 % et 40 % de celle-ci. Notre deuxième client est le groupe Ford qui occupe entre 16 % et 17 % de notre activité, nos trois clients Américains – Chrysler, Ford et General Motors – totalisant à peu près 30 % de celle-ci. Renault-Nissan est notre troisième client, avec environ 14 % de notre activité, et PSA, le quatrième, avec 13 %. Du fait de la répartition de notre clientèle, notre entreprise est à cheval entre la France et l'Allemagne, nos effectifs ayant un poids comparable dans chacun de ces deux pays : nous employons environ 14 000 personnes en France et de l'ordre de 12 000 en Allemagne. Mais, depuis peu, notre premier pays d'implantation est la Chine où nous employons environ 15 000 personnes. Naturellement, nous sommes très implantés aussi dans des pays à forte composante industrielle tels que la Pologne, l'Espagne, le Portugal, la République Tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et le Mexique.

L'entreprise s'est développée très rapidement après la grande crise de 2008-2009 : notre chiffre d'affaires a doublé entre 2009 et 2013, passant de 9 à 18 milliards d'euros. Depuis, notre croissance est plus modérée. Cette croissance a été de 12 % l'an dernier, aidée en cela par la légère dépréciation de l'euro ; abstraction faite de cette évolution monétaire, elle a été de 6 %. Cette dynamique, qui devrait se poursuivre dans les années à venir, est soutenue par nos clients, d'une part, et par nos technologies, d'autre part.

Je conclurai cette présentation des principales caractéristiques de l'entreprise en indiquant que compte tenu de notre taille et des segments que nous couvrons, nous sommes parmi les premiers fournisseurs de la plupart de nos clients : le premier de PSA, et parmi les trois premiers de Volkswagen comme de Renault-Nissan. Nous avons donc avec ces clients des relations très étroites.

S'agissant de l'avenir, le monde automobile bénéficie depuis plusieurs années d'une dynamique de croissance relativement forte, de 3 à 4 % par an, qui va probablement se poursuivre dans les années à venir, même si les équilibres entre régions se modifient. En outre, ce secteur s'est engagé depuis plusieurs années dans des évolutions technologiques majeures, accélérées par rapport à celles des décennies précédentes. Ces évolutions sont marquées par deux grandes directions : la performance environnementale, d'une part, l'objectif étant de réduire les émissions de dioxyde de carbone et de polluants – dioxyde d'azote et particules – et la transformation de l'usage de la voiture, d'autre part, avec la voiture connectée et la voiture autonome.

Ces évolutions nécessitent des investissements très rapides et importants en recherche et développement et tendent à transférer une part significative de la valeur ajoutée aux équipementiers automobiles, car la plupart des solutions techniques des années récentes et à venir sont conçues et développées par ces derniers, même si les constructeurs restent maîtres de l'architecture et de la conception de leurs voitures et continueront à jouer un rôle déterminant dans les choix techniques, architecturaux et de produits des véhicules. Les constructeurs restent les concepteurs de l'ensemble du système tandis que les équipementiers sont les « proposeurs » des solutions qu'ils développent. On peut donc parler d'un jeu coopératif et d'interactions fortes entre ces deux types d'acteurs. Si la taille de ceux-ci n'est pas nécessairement identique, elle est néanmoins « adjacente » : PSA réalise un chiffre d'affaires d'une quarantaine de milliards d'euros dans le secteur automobile, nos collègues de Continental 45 milliards, et nous 21 milliards.

Vous avez évoqué la crise de 2008-2009 : elle a effectivement constitué un formidable accélérateur et transformateur de l'industrie des équipementiers – plus que de celle des constructeurs automobiles. Elle a en effet ravagé l'industrie de l'équipement automobile en Amérique du Nord, quand les constructeurs ont été très fortement soutenus par les pouvoirs publics américains. Nous avons donc quadruplé notre chiffre d'affaires outre-Atlantique entre 2009 et 2013. Autre raison qui explique cette évolution, entre 1995 et l'entrée en crise, les constructeurs automobiles ont en grande partie fondé leurs stratégies d'achats et de coûts sur un éparpillement des fournisseurs, de manière à les mettre en concurrence directe et, ainsi, à faire baisser les prix – un peu comme dans la distribution.

Pareille stratégie leur a coûté beaucoup d'argent pendant la crise, car ils ont dû faire face aux difficultés des petits équipementiers. Ils font donc désormais confiance à de grands équipementiers, capables de supporter leurs nouvelles stratégies de coûts et de fournir des plateformes mondiales en étant présents sur l'ensemble de la planète. Par ailleurs, ils ont besoin que les équipementiers puissent investir dans des moyens humains et financiers importants pour la recherche et le développement de nouvelles technologies. Tout cela a sensiblement changé le paradigme des relations entre les constructeurs et les équipementiers au tournant de la crise de 2008-2009. Aujourd'hui, tous les grands équipementiers automobiles mondiaux se développent rapidement. Nous en sommes un parfait exemple, mais nos collègues sont dans des situations relativement comparables, car les constructeurs ont besoin de partenaires à qui se fier pour gérer les plateformes mondiales et développer les technologies nécessaires. Ce phénomène a encore été renforcé par des problèmes techniques, tels que les airbags défectueux de Takata, qui ont montré que les équipementiers de petite taille ou trop spécialisés posaient problème aux constructeurs.

Quant à la recherche et développement, elle est aujourd'hui au coeur de l'évolution de l'industrie. L'ensemble du secteur est confronté à des enjeux technologiques importants qui, certes, dépendent en partie des normes choisies par les autorités des grandes régions automobiles mais dont nous connaissons les grandes orientations. Notre force de frappe en matière de recherche et développement est supérieure à un milliard d'euros par an et comprend 6 000 ingénieurs et techniciens : 3 000 en Europe, 1 500 en Amérique du Nord et plus de 1 500 en Asie dont 1 000 en Chine, 600 en Inde et une centaine en Corée. En Europe, nos forces sont réparties de manière à peu près identique entre la France et l'Allemagne, à hauteur de 1 500 ingénieurs et techniciens dans chaque pays.

La R&D est essentielle : notre métier ne peut survivre aujourd'hui sans investissements importants dans ce secteur, si nous voulons faire face aux deux grands enjeux dont j'ai parlé tout à l'heure. En ce domaine, il est donc essentiel pour nous d'être, partout dans le monde, en lien direct et étroit avec nos clients, les constructeurs automobiles qui, in fine, font les grands choix d'architecture technique et technologique pour leurs voitures. Nous sommes aujourd'hui signataires d'un peu plus de soixante-dix contrats de recherche et développement avec l'ensemble de nos clients mondiaux. Parmi eux, Volkswagen vient de lancer un programme interne, FAST – acronyme de Future Automotive Supply Tracks –, qui consiste à désigner des équipementiers en mettant un fort accent sur la capacité technologique. Une cinquantaine de fournisseurs sont dans cette catégorie, et nous y sommes trois fois, notamment du fait d'Audi qui représente environ la moitié de notre chiffre d'affaires chez Volkswagen. Ce qui vaut pour Volkswagen vaut aussi pour Ford, Renault-Nissan, PSA et Hyundai. Faisant de la dépollution de camions, nous avons noué un partenariat très étroit avec Cummins, le premier fournisseur mondial de moteurs pour camions. Il est donc encore une fois important que Faurecia ne soit pas seulement en France, mais partout où sont nos clients, et que ces derniers nous perçoivent ainsi : nous sommes un fournisseur allemand en Allemagne, américain en Amérique du Nord, coréen en Corée, et ce sont effectivement des équipes de chacune de ces nationalités que nos clients ont face à eux.

D'autre part, il est particulièrement important pour nous de nous adosser de plus en plus à des partenariats académiques, c'est-à-dire à la partie amont de la recherche. Partout dans le monde, nous avons conclu des partenariats avec des universités, des laboratoires de recherche publique ou semi-publique. La progression de cette capacité de l'industrie à travailler avec ces laboratoires est à la fois l'un des aspects les plus remarquables de l'évolution française des dix ou quinze dernières années, et un élément déterminant qui change la donne de l'économie industrielle du pays. De ce point de vue, nous ne sommes pas loin de rattraper ce que font les Allemands depuis un certain temps par le biais des instituts Fraunhofer, qui sont à l'interface entre la recherche et les applications technologiques de l'industrie. En France, nous travaillons avec l'institut Jules-Verne de Nantes et avons une construction très spécifique – et très réussie – à Flers, dans l'Orne, combinant un énorme centre industriel et un centre de recherche et développement. Nous sommes également en train de nous associer à des laboratoires de recherche dans la région de Bordeaux. Les régions sont selon moi les points de contact privilégiés en ce domaine, car elles ont une bonne compréhension d'objectifs précis et une capacité de décision rapide. Compte tenu de leur rôle déterminant, la meilleure décision que l'on puisse prendre consisterait à renforcer encore leur rôle en la matière.

Les pôles de compétitivité, que vous avez évoqués, souffrent de ce point de vue d'une ambiguïté fondamentale. La manière dont ils interviennent n'est pas claire. Sont-ils des entités thématiques ou des entités régionales ? Qui décide exactement, et comment ? Nous travaillons donc peu avec eux et n'avons, à vrai dire, guère envie de le faire. La capacité à faire l'interface avec les organismes régionaux et à construire de véritables partenariats avec les milieux académiques et de recherche et développement au niveau régional est un élément essentiel.

Je vous ai déjà en partie répondu concernant la notion d'écosystème français : nous ne pouvons, dans nos relations avec les constructeurs, raisonner en ces termes. Nous devons travailler avec tout le monde. Je ne puis être plus proche de PSA que de Volkswagen, de Hyundai ou de Ford. Je dois traiter tous les constructeurs sur un pied d'égalité. En revanche, en amont, les capacités de notre arrière-cour jouent un rôle déterminant dans la production d'idées et la conception de produits et de technologies.

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