Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 23 mars 2016 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Tout cela est-il bien raisonnable ? Modifier les règles relatives à l'élection présidentielle – le scrutin principal de notre pays dont découlent l'essentiel des pouvoirs nationaux – exige un minimum de consensus. Les règles de la compétition doivent en garantir le caractère équitable. Nous aurions dû examiner ce texte bien avant, afin de tenter de parvenir à des positions communes, cette tâche n'incombant pas aux instances de contrôle.

La navette parlementaire souligne les difficultés posées par ces textes, puisque la version adoptée par le Sénat diverge fortement de celle votée par l'Assemblée nationale. Nous devrions refuser ces textes inutiles et sur lesquels aucun consensus ne se dégage.

La seule disposition logique consiste à fixer à 19 heures le moment de clôture des bureaux de vote dans l'ensemble du pays. Cette mesure suscite un débat, mais elle apparaît comme la moins déraisonnable du texte.

Sur le temps de parole des candidats, la majorité de l'Assemblée nationale souhaite passer en force. Limiter à vingt jours la période d'égalité revient à imposer un nouveau filtre à des candidats qui, je le rappelle, ont dû déjà rassembler 500 parrainages validés par le Conseil constitutionnel. Le remplacement de l'égalité par l'équité du temps de parole pendant la plus grande partie de la campagne représente un obstacle supplémentaire, alors que le parrainage d'élus devrait rester l'unique procédure de tri. En effet, si elle n'a pas empêché la candidature de quelques hurluberlus – mais cette considération renvoie à la responsabilité des élus –, cette règle n'a pas davantage entravé la révélation de forces politiques. Mme Arlette Laguiller et M. Olivier Besancenot, très éloignés de ma famille politique mais ayant totalisé ensemble 10 % des voix à l'élection présidentielle de 2002, ont élargi l'éventail du choix proposé aux citoyens grâce à l'égalité du temps de parole. Cette disposition est la plus grave du texte car elle donne l'impression, justifiée, de verrouillage de l'élection présidentielle.

Il y a deux façons d'envisager le décompte du temps de parole. Si l'on décide de supprimer la nécessité d'obtenir des parrainages pour se présenter à l'élection présidentielle, alors le temps de parole doit être encadré pour éviter – comme cela arrive aux élections européennes – les candidatures parfaitement fantaisistes. Je me souviens d'adeptes du vol yogique pour résoudre le problème du chômage… Mais si l'on confie aux élus locaux la responsabilité de présenter les candidats, alors il ne peut pas y avoir un second verrou en matière de temps de parole.

Quant à l'envoi des parrainages par les élus eux-mêmes, cette disposition est au mieux inutile, et peut-être dangereuse. Je ne crois pas un instant qu'un élu local puisse faire l'objet de pressions pour l'obliger à parrainer un candidat. L'envoi des formulaires par les élus rendra simplement plus difficile pour un candidat de savoir où il en est. Nous avions débattu de certaines mesures qui permettraient une information régulière sur le nombre de parrainages effectivement déposés et validés, mais je ne suis pas sûr que ce soit aussi facile, ni aussi rassurant, pour celui ou celle qui cherche à collecter des parrainages.

S'il y a pression sur les élus, elle ne viendra sans doute pas de candidats ou de leurs émissaires, d'ailleurs, mais plus probablement d'exécutifs locaux qui pourraient laisser entendre – disons-le comme cela – que tel ou tel n'est pas souhaitable ou que tel autre est indispensable pour conserver les bonnes grâces du conseil départemental ou régional. Si pressions il y a, c'est de là qu'elles viendront, et l'envoi direct des parrainages au Conseil constitutionnel n'en préservera personne.

Enfin, s'agissant des comptes de campagne, revenir à un an pour les élections législatives ne me semble ni raisonnable, ni simplement applicable en réalité : il est bien difficile pour chacune et chacun d'entre nous de répertorier, dans l'année qui vient, chaque dépense comme relevant de la campagne ou relevant de notre mandat. Certains d'entre nous – c'est mon cas – ne savent même pas s'ils seront candidats ! Un délai plus court de six mois, au moins pour l'élection législative, me paraîtrait nécessaire.

S'agissant de l'élection présidentielle, un délai d'un an pour les comptes de campagne ne me paraît en revanche pas choquant : il est rare de s'y improviser candidat, et j'observe plutôt que nombreux sont ceux qui y ont réfléchi et s'y préparent déjà…

Le vrai problème, sur lequel nous ne légiférons pas alors que c'est celui, entre tous, qui appelle un consensus, ce sont les comptes de campagne du Président de la République en exercice lorsqu'il se représente. Il y a là une urgence, car c'est une difficulté réelle. Un Président de la République n'est pas un homme comme un autre, et ses déplacements – même effectués comme candidat – n'ont pas les mêmes coûts que ceux des autres candidats. Le Conseil constitutionnel tente de construire une jurisprudence sur ce sujet, mais je considère que c'est à nous qu'il revient de fixer des règles et des critères.

Je ne vise nullement le Président de la République actuel. J'appelle votre attention sur la situation dans laquelle nous nous serions trouvés si Nicolas Sarkozy avait été réélu et que ses comptes de campagne avaient été rejetés – car, au départ, ceux-ci ont été invalidés en raison de la réintégration de frais dont on pouvait se demander s'ils relevaient de la campagne en cours ou de son mandat. Élu, aurait-il alors dû être destitué ? Voilà qui aurait été bien difficile à assumer devant les Français. C'est sans doute ce raisonnement qui avait d'ailleurs conduit le Conseil constitutionnel, en 2002, à valider des comptes de campagne dont on dit depuis longtemps qu'ils n'étaient peut-être pas très sécurisés juridiquement, ne serait-ce que parce que la jurisprudence se construit au fur et à mesure.

Vous laissez là un vide dangereux. Si un jour le Conseil constitutionnel devait invalider, sur ce fondement de la différence à établir entre les dépenses liées à la fonction et celles liées à la candidature, que se passerait-il ? Imagine-t-on un Président de la République élu avec plus de 80 % des voix mais invalidé par le Conseil constitutionnel ? Vous dites faire du droit, mais c'est un sujet que ces propositions de loi laissent complètement de côté !

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