Intervention de Chantal Berthelot

Séance en hémicycle du 24 mars 2016 à 9h30
Action extérieure des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Berthelot :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, cher Serge, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative de notre rapporteur, Serge Letchimy, car ses propositions sont extrêmement pertinentes. Tout le monde sait combien Serge est sensible à ces sujets et nous retrouvons au travers de ce texte sa parole politique.

Le sujet des actions extérieures et de leur intégration dans l’environnement régional est décisif pour nos collectivités et les territoires ultramarins.

Compte tenu du droit commun actuel et des restrictions dictées par certains articles de notre Constitution, ce texte marque une nouvelle étape pour permettre à nos collectivités territoriales de développer une stratégie ambitieuse de partenariats avec leurs voisins, en élaborant des programmes-cadres de coopération régionale dans les domaines de compétences qui leur sont propres.

Il s’agit là d’un défi pour nos collectivités, qui devront faire preuve de leur expertise pour asseoir leurs nouvelles prérogatives et réaffirmer leur dimension internationale.

Je centrerai mon propos sur la Guyane, et tout particulièrement la région de l’ouest guyanais, qui m’est chère.

La Guyane, qui est l’unique territoire continental des départements d’outre-mer français et des régions ultrapériphériques européennes, est prête à relever ce défi.

Son intégration régionale sur le plateau des Guyanes, avant d’être une nécessité diplomatique et économique, est surtout une réalité historique, géographique, sociale et culturelle.

Ses frontières fluviales que constituent l’Oyapock à l’est avec le Brésil, comme l’a dit Gabriel Serville, et le Maroni à l’ouest avec le Suriname, sont avant tout des bassins de vie. Ceux qui connaissent la Guyane le savent bien mais il est important de le répéter pour ceux qui la connaissent moins ou pour les petites têtes qui nous écoutent aujourd’hui, depuis les tribunes du public.

Les populations qui y vivent transcendent leurs identités administratives respectives et se considèrent avant tout comme des frères et des soeurs. C’est une réalité que nous devons comprendre.

Dans l’Ouest guyanais, la réalité géographique et administrative du fleuve Maroni renvoie inéluctablement à la réalité historique qui est celle de nos compatriotes bushinengués : les Noirs marrons. Leur histoire est celle du marronnage, qui fut présent à peu près partout où, en Amérique, l’esclavage fut le système économique et social dominant. À partir du milieu du XVIIe siècle et plus encore au XVIIIe siècle, c’est au Suriname que le marronnage connut son apogée et fut constitutif, au prix d’une liberté chèrement acquise, de sociétés et d’identités à part entière qui perdurent encore aujourd’hui sur les deux rives du fleuve Maroni avec une remarquable vigueur, continuant de cultiver une différence fièrement affirmée. Depuis la loi de départementalisation de 1946, puis la création des communes en 1969, les Noirs marrons de Guyane sont devenus citoyens français à part entière.

Mes chers collègues, vous l’aurez aisément compris : la coopération et l’intégration régionales de nos territoires dont il est question aujourd’hui, c’est au premier chef la réalité de femmes et d’hommes qui vivent sur les deux rives du Maroni. Et si nous sommes ici, c’est justement pour parler de ces hommes et de ces femmes, de fratries partagées entre deux rives, de personnes qui viennent se faire soigner de l’autre côté, qui se rendent visite, qui parfois constatent que leur téléphone capte le réseau d’un côté alors qu’ils ont un abonnement de l’autre. Des Surinamais viennent au centre hospitalier de Saint-Laurent, mais des Guyanais se rendent également de l’autre côté. Je rappelle que Saint-Laurent-du-Maroni est à 130 km de Paramaribo, la capitale du Suriname, alors que la distance qui le sépare de Cayenne, la capitale de la Guyane, est de 250 km.

Bref, le regard des habitants de l’Ouest guyanais est tourné vers le Suriname, et le mien aussi. Cette intégration dont nous parlons, c’est leur quotidien. C’est le quotidien de Saint-Laurent-du-Maroni, 50 000 habitants, qui sera bientôt la ville la plus peuplée de notre région. Et cette coopération qu’elle pratique au quotidien permet d’atténuer en partie les effets d’une situation sociale et économique difficile. Saint-Laurent doit pouvoir tirer pleinement profit de sa position stratégique au coeur des échanges transfrontaliers et devenir la pierre angulaire de la coopération dans l’Ouest guyanais.

Depuis 2009, cette coopération s’est institutionnalisée avec la mise en place du Conseil du fleuve, qui voit les différents représentants administratifs et politiques surinamais et guyanais se réunir deux fois par an pour échanger et avancer conjointement sur des sujets d’intérêt commun. Cet outil pertinent doit trouver sa place dans la mise en oeuvre et le suivi des actions et des programmes-cadres de coopération régionale. Le fleuve Maroni n’est pas une barrière, mais un lien qui unit nos destins. Sur sa rive française, nous pouvons ressentir quotidiennement la moindre secousse sociale, économique ou institutionnelle qui frappe notre voisin surinamais, comme cela est le cas depuis quelques mois.

L’expérience de l’Histoire, partout dans le monde, prouve l’interdépendance, pour le meilleur comme pour le pire, des sociétés et pays voisins. L’avenir de la Guyane n’échappe pas à cette réalité et doit nécessairement passer par un renforcement et une extension des outils actuels de coopération en matières sociale, sanitaire, économique, culturelle et scientifique entre le Suriname et la collectivité territoriale de Guyane. Votre proposition de loi, cher Serge Letchimy, favorisera cette ambition.

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