Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 24 mars 2016 à 9h30
Proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, le texte dont nous débattons aujourd’hui porte notamment sur l’accès aux médias audiovisuels dont vient de parler Jean-Christophe Lagarde.

Son article 4 – qui avait été supprimé par le Sénat – substitue au principe existant d’égalité des temps de parole un principe d’équité qui se caractérise par un grand flou, ce concept manquant totalement de précision, nous le savons.

Pendant la période intermédiaire qui court depuis la publication des candidatures par le Conseil constitutionnel jusqu’à la campagne officielle, le traitement médiatique des candidats ne serait plus égal mais équitable.

Selon l’exposé des motifs, « La situation actuelle est source de complications pour les chaînes de radio et de télévision… De surcroît, le nombre important de candidats rend difficile l’application d’une stricte égalité. » Bref, ce serait à l’élection présidentielle de s’adapter aux impératifs des médias et non plus l’inverse !

Pourtant, cette soumission du législateur aux codes de l’État spectacle paraît particulièrement regrettable. Selon les règles actuellement en vigueur, on le sait, l’élection présidentielle doit se dérouler à armes égales sur les médias audiovisuels, aussi bien pendant la période intermédiaire que durant la campagne officielle elle-même.

Ces médias doivent traiter les divers candidats sur un pied d’égalité sans privilégier ou, à l’inverse, sans défavoriser certains. Cette égalité de traitement est une garantie de cette valeur fondamentale qu’est le pluralisme démocratique.

En temps ordinaire, les grandes chaînes de télévision ne respectent guère ce pluralisme bien que les chaînes de service public soient théoriquement obligées de le faire, notamment par le décret du 16 septembre 1994 portant approbation des cahiers des charges des sociétés France 2 et France 3 dont l’article 2 dispose : « Dans le respect du principe d’égalité de traitement et des recommandations du CSA, la société – France 2 ou France 3, donc – assure l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme des courants de pensée et d’opinion. »

Mais en fait, en temps ordinaire, les grands médias accueillent surtout les représentants des principaux partis et très peu ceux des autres formations. En revanche, pendant l’élection présidentielle, la réglementation actuelle permet de surmonter cet obstacle ou ce barrage et à des candidats représentant des partis non dominants ou incarnant de nouveaux courants politiques d’être effectivement présents dans les grands médias.

Ainsi, en 2002, cette règle de l’égalité de traitement médiatique pendant l’élection présidentielle a permis à des candidats n’appartenant pas aux grands partis comme Christiane Taubira pour les Radicaux de gauche ou Olivier Besancenot pour la LCR, la Ligue communiste révolutionnaire, d’accéder véritablement aux médias audiovisuels et de pouvoir communiquer réellement avec le public.

Cela contraste très utilement avec le star-system télévisé qui prévaut habituellement sur les grandes chaînes. En pratique, les professionnels de l’audiovisuel exercent en effet une fonction latente de sélection des dirigeants politiques. Ils choisissent ceux que l’on pourrait appeler les « apparents », ceux qui sont invités aux journaux télévisés de 20 heures ou aux émissions de grande écoute.

Le critère des principaux médias audiovisuels, nous le savons, c’est l’audimat. Leur objectif prioritaire, c’est de faire de l’audience, c’est d’obtenir de forts taux d’écoute. Dans ce but, les grandes émissions accueillent des leaders confirmés, appartenant aux principaux partis et disposant d’une forte notoriété, non les représentants d’autres formations, notamment des formations nouvelles ou émergentes. Bref, avec ce système très conservateur de l’ordre politique et télévisé établi, la notoriété va à la notoriété.

Ce qui est en fait proposé, avec ce texte, c’est d’appliquer ces pratiques non pluralistes même pendant la période intermédiaire qui précède la campagne officielle. On voit bien, très bien même, ce qu’y gagneraient les candidats des grands partis. On voit bien aussi, à l’inverse, ce qu’y perdraient les candidats des autres formations.

Selon cette proposition de loi organique, l’application du concept d’équité devrait se fonder sur deux critères.

Premier critère, je cite : « la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus récentes élections par les candidats ou les formations politiques qui les soutiennent et en fonction des indications d’enquêtes d’opinion. »

Ce critère de la représentativité mesurée par les précédents résultats électoraux des formations politiques soutenant le candidat handicaperait voire interdirait toute candidature intervenant en dehors des partis – ce qui ne semble pas très conforme à l’esprit initial de la Ve République. On nous a en effet assez répété, à l’envi, que l’élection présidentielle est une rencontre entre une personne et le peuple pour que l’on puisse parfois envisager que des candidats se présentent en dehors des partis et sans leur soutien. Dans ce cas-là, ils seraient déclarés peu représentatifs voire non-représentatifs.

Quant aux « indications d’enquêtes d’opinion », elles peuvent parfois être douteuses, certains sondages étant réalisés selon des méthodes sommaires ou approximatives voire sous l’influence directe de ceux qui les ont commandés.

Second critère : « la contribution de chaque candidat à l’animation du débat électoral » c’est-à-dire, surtout, la présence du candidat dans les médias avant cette période intermédiaire. Bref, pour accéder réellement aux débats audiovisuels pendant la période intermédiaire, il faudrait déjà y avoir accédé avant celle-ci !

Dès lors, au lieu de corriger l’inégalité médiatique, ce critère la conforterait. Seuls ceux bénéficiant déjà d’une forte audience médiatique avant la période intermédiaire pourraient la conserver pendant cette période.

Comme le précédent, ce critère, très conservateur des situations acquises, ne peut être selon nous retenu. On ne peut accepter cette atteinte au pluralisme politique, cette rupture d’égalité de traitement des candidats devant le suffrage – qui est un principe essentiel en démocratie – surtout s’agissant du scrutin le plus important de notre vie publique.

Il ne peut y avoir deux sortes de candidats : ceux qui ont satisfait aux exigences requises pour être candidat – les 500 parrainages – doivent pouvoir présenter leur programme dans les mêmes conditions sans devoir subir une seconde sélection organisée par le système médiatique.

Il ne peut y avoir d’un côté les candidats du système politico-médiatique, de l’establishment et, de l’autre, les représentants des formations moins installées, notamment des formations nouvelles ou émergentes.

Le débat présidentiel ne peut devenir un débat tronqué, altéré, accordant une capacité d’expression réduite à certains candidats et privilégiant les autres. On ne peut figer le système politique établi et transformer l’élection présidentielle en reproduction automatique de l’existant.

Le Sénat a eu raison de supprimer cette disposition, très inopportune. Il appartient à notre Assemblée de le faire à son tour.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion