Intervention de Général Philippe Boutinaud

Réunion du 16 mars 2016 à 16h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Général Philippe Boutinaud, commandant la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris :

Tout à fait. Nous étions tous les trois devant le poste médical avancé. Nous avons donc décidé d'évacuer les blessés vers l'arrière car les faire partir vers l'avant eût été les faire passer dans l'axe de tir des terroristes.

Nous utilisons le système d'information numérique standardisé (SINUS), qui consiste en un code-barres imprimé sur un bracelet qu'on met autour du poignet des victimes pour les identifier et pour assurer leur suivi tout au long de la chaîne de prise en charge. Tous les services de l'État n'utilisent pas encore ce système mais une réflexion est actuellement conduite au ministère de l'intérieur pour sa généralisation au plan national. Si je puis assurer au préfet de police, à 4 heures 30, que j'ai 381 victimes, c'est parce que chacune a un bracelet SINUS. Ceux qui sont allés spontanément dans les hôpitaux sans passer par les mains des pompiers sont aussi des victimes, mais je n'ai pas à les comptabiliser. Les améliorations à apporter en la matière ne sont pas de mon ressort.

Ensuite, j'y ai fait allusion, nous avons renforcé la coordination avec les associations agréées de sécurité civile. Reste, et je le leur ai dit, à juguler l'enthousiasme : il faut envoyer ce qui est nécessaire là où c'est nécessaire, afin de garder de la réserve. Nous continuerons à organiser des exercices en ce sens.

Pour ce qui est de nos rapports avec la police, sur la liste de garde, tous les jours, des éléments de liaison sont identifiables et partent dès qu'on les sonne pour aller à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), à la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), au centre opérationnel de zone etc. Autrement dit, ces directions de la préfecture de police reçoivent un pompier qui est le correspondant du centre opérationnel – il est important pour la police de savoir ce que font les pompiers.

Je reviens sur le cas d'un journaliste du Monde qui s'est réfugié dans une cage d'escalier, puis dans un appartement au quatrième étage qui se situait précisément dans l'axe de tir de la sortie de secours du Bataclan. Nous l'avons eu sept fois au téléphone, et sept fois nous lui avons expliqué – et à la dame qui se trouvait avec lui – que nous ne pouvions pas l'atteindre parce qu'il se trouvait dans la zone d'exclusion. Nous n'avons pas tout dit à ce journaliste parce qu'il était blessé par balle, ce qui est certes douloureux, mais dès lors que quelqu'un tient deux heures avec un pansement compressif, nous considérons qu'il s'agit d'une urgence relative ; sa peine ni son angoisse ne s'en trouvent diminuées et cela ne minimise pas le respect que je lui dois. Mais, je le répète, il était dans la zone d'exclusion et il était très difficile d'aller le chercher. J'ai été mis personnellement au courant de la présence de ce journaliste à cet endroit car le préfet de police lui-même me l'a signalée – nous pensions d'ailleurs au départ, comme il y avait deux personnes, qu'il s'agissait de deux journalistes du Monde. J'ai essayé, personnellement, de m'engager dans le passage, mais les forces de l'ordre m'ont signifié que ce n'était pas possible. Je pense qu'il y a moins de vingt mètres entre la sortie de secours du Bataclan et le porche d'entrée de l'immeuble où se trouvait ce monsieur. Je reconnais que ce cas fait partie de ceux qui sont difficiles à traiter, mais il y en aura toujours de ce type. J'ignore si cet exemple est bien choisi, mais il ressemble à celui d'un soldat blessé entre deux tranchées en 1916 : vous savez qu'il est là, qu'il a de la peine, qu'il va mal, mais, pour autant – je reviens au cas du journaliste –, peut-on se permettre le luxe de risquer la vie de deux ou trois personnes pour essayer d'entrer dans le hall ? C'est compliqué. Et, de toute façon, la police est intransigeante sur le non-franchissement de la zone d'exclusion. On peut en discuter mais je pense que la décision prise ce soir-là était la bonne.

J'ai évoqué la difficulté de protéger les pompiers et que reconnaissent les policiers, et je ne leur en fais pas du tout grief ; mais nous avons eu la chance de disposer de plusieurs soldats du dispositif « Sentinelle », notamment sur le site de Charonne et sur celui du Bataclan, soldats qui se sont révélés assez utiles.

Qu'avons-nous fait depuis ? Nous avons procédé à la prise en charge médico-psychologique de tous les pompiers de Paris qui sont intervenus ce soir-là. Il y a les victimes, bien sûr, mais il y a aussi les hommes et les femmes que je commande et tous – moi y compris – sont passés entre les mains d'un psychologue ou d'un psychiatre et tous seront suivis sur le long terme. À ma connaissance, une telle prise en charge n'a jamais été organisée à cette échelle.

Par ailleurs, vous savez peut-être que nous avons manqué de brancards. Un véhicule de secours et d'assistance aux victimes est équipé d'un brancard car il est censé ne transporter qu'une seule personne. Or il convient avant tout de transporter les victimes à l'horizontale. Nous les avons donc mises sur ce que nous avions sous la main, c'est-à-dire des barrières de foule. À première vue, cela peut choquer et laisser croire qu'il n'y a pas assez de moyens. Non : il est difficile de concentrer autant de moyens nécessaires en un seul instant. Pour l'heure, ce qui comptait, j'y insiste, c'était que les blessés soient transportés à l'horizontale. Nous avons distribué des trousses de damage control dans lesquelles on trouve des garrots tourniquets, des pansements hémostatiques, trousses qui se trouvaient déjà dans toutes les ambulances de réanimation. Désormais, tous les engins de la BSPP en sont pourvus.

Nous avons par ailleurs procédé, au niveau national, au regroupement du centre d'appel de la police et de celui des pompiers en un lieu unique. Aussi, pour l'Euro 2016, une plateforme d'appel unique sera opérationnelle.

Il convient d'y ajouter, avec le soutien de la mairie de Paris, de Mme Hidalgo, la création d'un module de formation au secourisme pour les Parisiens. Dans ce genre de circonstances, en effet, l'appui des personnes qui se trouvent sur les lieux est fondamental, ne serait-ce que pour accomplir les premiers gestes qui sauvent. Ainsi, depuis la mi-janvier, dans douze casernes de la BSPP, les Franciliens sont invités à se présenter et à apprendre pendant deux heures comment on fait pour sauver quelqu'un entre le moment où l'on a appelé les secours et celui où ils arrivent.

J'ai invité personnellement, la semaine dernière, mes homologues de Londres, Madrid, Berlin et Bruxelles, avec lesquels nous avons commencé à réaliser un retour d'expérience.

Je vais m'arrêter là. Je dirai simplement, en mon âme et conscience, que j'estime qu'il était difficile de faire mieux. Il ne faudrait pas croire que les pompiers ne sont que des acteurs indifférents. Un sapeur-pompier de Paris était spectateur au Bataclan : il a été victime de deux arrêts cardiaques et a dû être amputé d'une jambe. Nous le maintiendrons dans nos rangs car nous sommes solidaires : nous relevons nos blessés et nous les gardons. J'ai personnellement écrit onze lettres de soutien ou de condoléances à des sapeurs-pompiers de Paris qui ont perdu quelqu'un au cours de ces tragiques événements. Cela pour vous dire que ce qui est arrivé à ces gens nous a touchés profondément. Le professeur Tourtier et moi-même étions dans le Bataclan : nous n'oublierons jamais tous les téléphones qui vibraient sur les victimes laissant apparaître des messages commençant par : « Papa, maman… ». Je conclus sur ce point pour vous dire que c'est la plus grosse opération que j'ai commandée de ma vie – et j'ai participé à de nombreuses opérations dans mon existence ; j'ai trente-trois ans à mon actif au sein de l'armée française ; je suis très fier des hommes et des femmes que je commande et je vous le redis très sincèrement, dans les yeux : il était difficile de faire mieux.

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