Intervention de Gwénaëlle Calvès

Réunion du 15 mars 2016 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gwénaëlle Calvès, membre de la CHCDH :

Mon propos portera sur les divers contrôles de l'état d'urgence qui ont été réalisés, et qui sont de trois ordres : institutionnel, juridictionnel et « citoyen » – j'entends par là : émanant de la société civile.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et le Défenseur des droits sont à l'origine du contrôle institutionnel. Toutefois, la partie de notre avis concernant la CNIL est caduque, car elle porte sur l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, qui prévoit la saisie et la conservation de données informatiques à l'occasion d'une perquisition administrative. Or, dans sa réponse à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) nº 536 du 19février dernier, soit le lendemain de l'adoption de notre avis, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition législative. Dans la mesure où il s'agit d'une abrogation à effet immédiat, nos propositions tendant à améliorer le contrôle de la CNIL sur la conservation de ces données sont tombées.

En revanche, nos préconisations relatives à l'importance des avis et recommandations du Défenseur des droits conservent toutes leur pertinence. Au titre de sa mission de contrôle de l'activité des forces de police, le Défenseur des droits a appelé l'attention sur le déroulement des perquisitions administratives à de nombreuses reprises. Ses délégués territoriaux conduisent un travail d'analyse très précieux, fondé sur les réclamations des administrés, complémentaire du nôtre, et qui nous a menés à faire des rappels à la déontologie policière, souvent malmenée comme l'a montré Christine Lazerges.

Le contrôle juridictionnel des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence, exercé par le juge administratif, tient une place cruciale dans la défense des droits individuels et collectifs au sujet de laquelle nous avons formulé sept recommandations. Nous avons en outre mentionné les contentieux que nous considérons comme « latéraux », concernant par exemple des retraits d'habilitation d'accès à des zones aéroportuaires ou des contrôles d'identité, indûment exercés au titre de l'état d'urgence et annulés par le juge des libertés et de la détention (JLD). De fait, les risques d'abus, l'effet « pente glissante » ou « doigt dans l'engrenage », auxquels un régime tel que celui de l'état d'urgence peut donner lieu, ne doivent pas être sous-estimés. Le Défenseur des droits a d'ailleurs fait de même en prenant en compte toutes les réclamations reçues, relatives à des mesures directement justifiées ou non par l'état d'urgence.

Très générale, notre première proposition porte sur la mauvaise connaissance des voies d'accès à la justice administrative – réalité qui excède largement notre sujet –, comme le montre le taux quasi nul de recours contentieux exercés à l'encontre des perquisitions. Il est d'un sur quatre pour les assignations à résidence, et plus difficile à évaluer pour les autres mesures, car les données fournies par le ministère de l'intérieur sont assez incomplètes, singulièrement dans le domaine des restrictions à la liberté de culte. En tout état de cause, la justice administrative est sous-investie par le public.

La deuxième proposition à trait aux contestations contentieuses des perquisitions administratives : on en comptait une seule à la date de l'adoption de l'avis, contre trois aujourd'hui, alors même que ces opérations constituent le premier motif de saisine du Défenseur des droits. La question de l'accès au juge est bel et bien posée, puisque les intéressés se plaignent auprès du Défenseur des droits au lieu de saisir le juge, démarche pourtant normale lorsque quelqu'un a subi un préjudice dû à une illégalité.

Nous avons fortement insisté sur la nécessité de mettre les personnes perquisitionnées en mesure d'exercer leur droit au recours contentieux en rendant systématique la remise d'un récépissé récapitulant le déroulement de l'opération et indiquant les voies de recours ouvertes au justiciable. Je rappelle qu'un très grand nombre d'actes administratifs bien plus bénins, lorsqu'ils sont exécutés, mentionnent les voies et délais de recours.

Nous proposons encore de rendre obligatoire le contrôle a priori de l'autorité judiciaire de la décision même de perquisitionner un domicile. Le Conseil constitutionnel a considéré qu'un tel contrôle n'était pas exigé par la Constitution ; il nous semble pourtant qu'il serait de nature à conforter l'état de droit, et il nous paraît praticable. Le mécanisme d'information sans délai des procureurs compétents fonctionne bien, aux dires mêmes de ces derniers. Il n'y aurait donc pas d'obstacle technique à ce que cette obligation d'information soit transformée en demande d'autorisation. Dans la décision rendue le lendemain de l'adoption de notre avis sur les deux QPC qui lui ont été adressées, le Conseil constitutionnel a semblé désireux de favoriser l'exercice des voies de recours après le déroulement d'une perquisition, en invitant le juge administratif à vérifier la légalité de la mesure à l'occasion d'un recours indemnitaire formé devant lui – ce qui ne va pas de soi. Il a particulièrement insisté sur le contrôle à opérer sur les perquisitions de nuit – la moitié de ces opérations étant nocturnes – et a invité le juge administratif à s'assurer que celles-ci sont justifiées par l'urgence ou l'impossibilité de les effectuer le jour.

Nous nous félicitons du contrôle exercé par les juridictions administratives dans le cadre du contentieux le plus volumineux, celui de l'assignation à résidence, et nous proposons même de l'inscrire dans la loi. Nous suggérons une procédure de référé spécifique à l'état d'urgence – car, actuellement, c'est au référé-suspension et au référé-liberté qu'il est le plus souvent recouru –, et ce en précisant le mode de contrôle applicable, ce qui éviterait le flottement constaté au début de l'entrée en vigueur de l'état d'urgence. En effet, comme l'a reconnu la semaine dernière la doctrine autorisée dans l'AJDA (Actualité juridique, Droit administratif), le juge administratif partage certaines émotions avec l'opinion et peut être tenté, par exemple, de considérer qu'il n'y a pas de condition d'urgence, comme l'avaient fait les tribunaux administratifs au début de ce contentieux. Si la loi déterminait le type de contrôle applicable, de telles tentations seraient évitées.

Concernant l'effectivité du contrôle, le recours aux « notes blanches » des services de renseignement a suscité de nombreuses interrogations à l'occasion des auditions auxquelles nous avons procédé. La question est apparue déterminante quant à l'exercice effectif des droits de la défense ; le juge exige désormais que ces notes soient circonstanciées et précises afin d'acquérir la qualité d'élément probant. Cela met par ailleurs l'avocat du plaignant en mesure de réfuter les arguments avancés par l'administration. Au cours de la période récente, un assez grand nombre d'assignations à résidence jugées en référé ont été considérées comme manifestement illégales, faute pour l'administration de pouvoir étayer son action sur des éléments concrets.

De manière générale, le juge administratif vérifie aujourd'hui, comme le Conseil constitutionnel l'y a invité, que les motifs retenus pour décider d'une assignation à résidence, d'une perquisition ou de la fermeture d'un lieu de culte soient étroitement proportionnés au péril imminent ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Nous proposons que l'administration s'approprie ce mode de contrôle, et, de façon explicite et systématique, établisse ce lien entre la restriction de liberté qu'elle décide et les raisons qui ont motivé l'état d'urgence. En clair, cela éviterait l'assignation à résidence de militants écologistes et permettrait également d'individualiser les conditions de l'assignation, car, comme le rappelait Christine Lazerges, les obligations de pointage, selon leur fréquence et le lieu où elles doivent être effectuées, peuvent être très lourdes pour les intéressés.

Enfin, dans le cadre du contrôle « citoyen », nous présentons de façon non exhaustive l'action des associations, de la presse et des syndicats pour souligner le rôle fondamental de vigie tenu par la société civile. Cette mobilisation ne doit toutefois pas faire oublier que des phénomènes plus inquiétants ont été observés : des dénonciations malveillantes par exemple, des mises à l'index par le voisinage de personnes ayant été perquisitionnées. La LDH, dont Christine Lazerges a souligné l'éminence de la participation à nos travaux, a indiqué que son action d'assistance aux personnes était entravée par les intéressés eux-mêmes, la peur du regard de leurs voisins leur interdisant de dire qu'ils ont fait l'objet d'une perquisition ou d'une assignation et leur imposant, dans les faits, de faire le silence sur leur situation.

En conclusion, l'état d'urgence crée une ambiance générale susceptible de corroder le lien social, alors même que notre pays a plus que jamais besoin d'unité face à la menace terroriste. Nous appelons par conséquent à une sortie de l'état d'urgence et à un retour rapide à la normalité.

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