Intervention de Michel Tubiana

Réunion du 15 mars 2016 à 18h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, LDH :

Je crois qu'il y en avait un peu moins de 400. Qu'est-ce qui justifie que l'on soit passé d'un peu moins de 400 à 70 en trois mois ? Est-ce que la dangerosité de ces personnes se serait évaporée dans l'intervalle ? Est-ce le temps qu'il a fallu au ministère de l'intérieur pour se rendre compte que ses fichiers étaient faux ou pas à jour ? Je ne peux que m'interroger sur un « rapport qualité-prix », si j'ose dire, des mesures prises en vertu de l'état d'urgence. Elles ont un effet d'intimidation mais à combien de procédures antiterroristes importantes ont-elles abouti ? À moins de compter très malhonnêtement les dossiers d'apologie du terrorisme, aucune procédure majeure, réellement importante ou même mineure n'est, à ma connaissance, issue des perquisitions ou des assignations à résidence liées à l'état d'urgence.

Que ces mesures aient aidé les services de police en matière de petits délits de droit commun, de trafics de stupéfiants, voire de détention d'armes, je n'en doute pas. Mais ce n'est pas l'objet initial de l'état d'urgence. J'observe, à cet égard, que cela a été rendu possible et encouragé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État qui ont, l'un et l'autre, considéré que les dispositions de l'état d'urgence pouvaient s'appliquer même en l'absence de lien entre les faits et les raisons qui ont motivé l'état d'urgence, ce qui a contribué à ouvrir encore davantage les vannes.

Nous paierons collectivement cher les conséquences de cette situation. Comment le dire pour rester mesuré dans le propos ? Nous avons perçu beaucoup de ressentiment de la part d'une partie de la population. Ce sont des gens qui ont souvent fait l'objet de très larges discriminations et qui, maintenant, se sentent collectivement suspects en raison de leur origine ou de leur pratique religieuse. Certains peuvent être poussés dans des dérives, non pas des dérives djihadiste mais de rejet du monde blanc. Ils en viennent à penser que la République est injuste à l'égard de citoyens français considérés comme suspects parce que d'une certaine origine et pratiquant une certaine religion.

La LDH accompagne bon nombre de plaignants dans des procédures qui sont toutes rejetées à l'exception d'un epsilon qui n'est pas négligeable malgré tout. Ce n'est pas suffisant. On aurait pu attendre des autorités politiques qu'elles accompagnent ces situations de discours nets, d'engagements nets, de propos fermes sur l'absence de discriminations, etc. Le silence abyssal du Premier ministre et du ministre de l'intérieur – pour ne pas revenir sur les propos pyromanes tenus par le Premier ministre lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) – pèse très lourd dans le mauvais plateau de la balance.

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