Intervention de Pascal Perrochon

Réunion du 23 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires économiques

Pascal Perrochon, responsable des affaires internationales de l'UIC :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de donner la possibilité à notre secteur industriel de vous présenter son point de vue sur les négociations transatlantiques et d'échanger avec vous sur ce sujet.

Je devais avoir à mes côtés M. Yves Lenain, qui est le responsable énergie et changement climatique de l'UIC. Mais, étant hier à Bruxelles, il n'a pu, en raison des événements tragiques qui s'y sont déroulés, rentrer à Paris. J'essaierai de répondre au mieux sur le volet concernant l'énergie et les matières premières, qui nous tient à coeur dans le cadre des négociations transatlantiques.

L'UIC est une union de syndicats, qui fédère un certain nombre de producteurs industriels de la chimie en France. Notre organisation compte environ 1 300 membres, dont 94 % sont des PME et des ETI. Le tissu industriel de la chimie en France est fait principalement de PME et d'ETI.

C'est un secteur fortement exportateur. Le chiffre d'affaires de notre secteur pour 2015 est de l'ordre de 75 milliards d'euros, dont 74 % – 55,6 milliards d'euros – réalisés à l'exportation. Certes, il faut relativiser, les deux tiers de notre chiffre d'affaires à l'export étant réalisés avec des pays voisins, membres de l'Union européenne, le dernier tiers seulement étant hors UE. Cela étant, la chimie est le deuxième secteur manufacturier exportateur en France, après l'aéronautique. Nous avons dégagé, en 2015, un excédent commercial de 7,3 milliards d'euros.

Par contre, la France représente seulement 2,4 % de la production de la chimie mondiale – le premier producteur étant la Chine. Nous sommes le sixième producteur mondial et le deuxième européen, après l'Allemagne, dont le chiffre d'affaires est le double du nôtre, l'Allemagne étant le premier client et le premier fournisseur de la chimie en France.

En ce qui concerne les emplois, la branche chimie, en France, représente 200 000 emplois directs et 600 000 emplois indirects.

J'en viens au TTIP et aux négociations transatlantiques.

Les États-Unis sont le premier pays client de la chimie française hors Union européenne. En 2015, nous avons exporté aux États-Unis 3,3 milliards d'euros de produits chimiques. Le premier secteur de la chimie exportateur vers les États-Unis est celui des savons, parfums et produits d'entretien, qui représente à peu près un tiers de nos exportations aux États-Unis. De notre côté, nous importons 4,7 milliards d'euros de produits américains. Ce déficit de 1,4 milliard d'euros est dû, notamment, à l'importation massive de produits pharmaceutiques de base venant des États-Unis. Si l'on ne tient pas compte de cette importation, les échanges sont à peu près équilibrés.

On observe, déjà en 2015, hors contexte TTIP, sans accord commercial avec les États-Unis, une augmentation forte de nos exportations vers ce pays, soit 12 % de plus en valeur qu'en 2014. Ces chiffres favorables sont dus notamment à la dépréciation de l'euro, ainsi qu'à une conjoncture économique américaine mieux orientée ; s'y ajoute l'effet, non négligeable, de la baisse du coût du pétrole. Reste que le coût de l'énergie est nettement moins élevé aux États-Unis qu'en France, ou plus généralement en Europe.

En ce qui concerne les différents volets de la négociation transatlantique, si je devais résumer en deux mots la position de l'industrie chimique française, ce serait par un « Oui, mais… ». Oui, nous sommes favorables à ces négociations, car nous avons des opportunités aux États-Unis : le marché américain est déjà très présent pour nous puisque c'est notre premier marché hors UE. Mais il y a un certain nombre de lignes rouges, autrement dit de points dont nous ne souhaitons pas qu'ils soient négociés dans le cadre du TTIP ou sur lesquels nous émettons des réserves.

Je vais commencer par l'offre tarifaire et tout ce qui est problématique au niveau des droits de douane.

L'Union européenne et les États-Unis ont signé, dans le domaine de la chimie, un accord sectoriel dit CTHA (Chemical Tariff Harmonization Agreement), qui plafonne à 6,5 % les droits de douane pour les échanges de produits chimiques. Aujourd'hui, 80 % des échanges mondiaux de produits chimiques sont concernés par cet accord sectoriel, ce qui veut dire qu'il y a déjà, dans la chimie, non pas des pics tarifaires, mais des plafonds, au niveau des droits de douane.

Il n'empêche que la moyenne des droits de douane est de l'ordre de 3 % de part et d'autre en ce qui concerne les échanges entre les États-Unis et l'Europe. Sans aller jusqu'à dire qu'ils s'annulent, puisqu'il y a des variations selon les secteurs, cela engendre un certain nombre de contraintes pour les entreprises exportatrices, les gains n'étant pas forcément intéressants, tant pour l'Union européenne que pour les États-Unis.

Oui, nous sommes favorables à un démantèlement tarifaire des échanges dès lors que l'accord entrera en vigueur, avec une réserve sur une quarantaine de produits chimiques de base, qui sont directement concurrencés par les produits américains fabriqués à partir d'une énergie à bas coût aux États-Unis. Nous ne voulons pas maintenir à tout prix leurs droits de douane ; nous souhaitons seulement une période transitoire de sept ans, jusqu'à ce que ces droits tombent à zéro, le temps de trouver des parades pour maintenir en Europe notre tissu industriel et nos productions – polyéthylène, PVC, bref, tout ce qui est fabriqué à partir d'une matière première ou d'une énergie comme le gaz, notamment, qui représente un coût de revient très lourd – et d'organiser en Europe une Union de l'énergie et de diversifier nos sources d'approvisionnement en énergie : il y a le gaz russe, le gaz de l'Algérie, et l'Iran revient sur le marché. L'idée, pour nous, chimistes, est d'obtenir une énergie la moins chère possible et de diversifier nos sources d'approvisionnement. Si nous voulons maintenir nos usines et nos emplois en Europe, il faut que nous puissions exporter sereinement vers des marchés tiers sans être concurrencés par des produits américains qui bénéficient de coûts de production nettement plus faibles. C'est dire l'importance pour nous de convaincre la Commission européenne et les négociateurs, puis d'obtenir l'accord des Américains sur cette période transitoire qui pourrait être de sept ans.

En ce qui concerne la coopération réglementaire, il y a des passerelles très importantes dans différents domaines dans lesquels nous pouvons travailler avec les Américains, pour parvenir à une convergence réglementaire, notamment le classement et l'étiquetage des produits.

Dans de nombreux cas, lorsqu'on exporte des produits chimiques aux États-Unis, on est obligé de refaire un étiquetage particulier pour le marché américain. Or il existe une norme internationale, définie par les Nations Unies, le Globally Harmonized System of Classification and Labelling of Chemicals (GHS), qui permet d'avoir un fonds commun de données obligatoires qui doivent figurer sur les produits étiquetés. Il nous faut travailler avec les Américains pour harmoniser nos classements et l'étiquetage des produits chimiques. Cela peut être envisagé dans le cadre du TTIP.

Il y a un autre domaine dans lequel nous pourrions avancer conjointement avec les Américains. Il conviendrait, en effet, de hiérarchiser les produits qui posent problème et de réfléchir à la façon dont nous pourrions travailler en commun pour trouver des solutions soit en leur substituant d'autres produits, soit en les améliorant.

Il faudrait également harmoniser les fiches de données de sécurité entre les États-Unis et l'Europe. C'est un autre point sur lequel nous pourrions trouver des convergences, ceci étant lié à ce que j'évoquais à propos de l'étiquetage des produits chimiques.

Cela étant, il y a des points sur lesquels nous ne souhaitons pas négocier avec les Américains, à commencer par ce qui touche au règlement REACH.

Il y a trop de différences entre le système américain et le système européen en ce qui concerne l'évaluation des produits chimiques et tout ce qui est lié à la santé et à l'environnement.

Le règlement REACH, en Europe, repose sur le principe de précaution, fondé sur la responsabilité à 100 % des industriels. L'équivalent aux États-Unis, le Toxic Substances Control Act (TSCA), s'appuie sur un principe différent, celui de la sécurité, lequel repose, pour prouver la nocivité d'un produit, sur l'obligation de mener des études scientifiques et une certaine forme d'ingérence de l'État américain. Ces deux approches fondamentalement différentes interdisent toute convergence entre le règlement REACH européen et le TSCA américain, malgré ce que l'on peut lire parfois dans la presse.

Nous avons toujours dit qu'il ne fallait pas intégrer ce sujet dans les négociations, et nous l'avons indiqué aux négociateurs européens : c'est pour nous la première ligne rouge. Il ne peut être question de permettre à des entreprises américaines de bénéficier des avantages du règlement REACH sans en subir les inconvénients. Les industriels européens ont beaucoup investi pour se mettre en conformité avec cette réglementation ; il ne s'agit pas de la brader à des acteurs extérieurs. Les entreprises américaines devront toujours se conformer au règlement REACH lorsqu'elles importeront leurs produits en Europe. Le TTIP n'a pas vocation à se substituer aux réglementations en vigueur de chaque côté de l'Atlantique : nous devons maintenir nos réglementations, mais réfléchir aux domaines dans lesquels nous avons soit des doublons, soit des points de convergence, mais qui n'appellent pas de modifications de la réglementation.

L'énergie est un point très important, car c'est aussi, pour nous, une matière première : 50 % du gaz ou du pétrole que nous importons est utilisé en tant qu'énergie et 50 % en tant que matière première. Dans certains secteurs de la chimie, l'énergie matière première représente entre 30 et 80 % du coût de revient d'un produit. Selon que l'on fait bouger le curseur dans un sens ou dans l'autre, cela aura un impact positif ou négatif sur tout un pan de la chimie – la production d'engrais, par exemple.

Du point de vue de l'énergie, nous attendons beaucoup de l'Union européenne pour réagir vis-à-vis de ce qu'il se passe aux États-Unis, où le boom de la chimie américaine est lié au fait qu'ils ont accès à une énergie nettement moins chère. Nous sommes favorables à l'idée de pouvoir importer des États-Unis une énergie moins chère, notamment du gaz naturel liquéfié (GNL) – il n'y a pas que du gaz de schiste aux États-Unis… Ce qui nous importe, c'est de savoir comment diversifier nos sources d'approvisionnement et comment les ports maritimes français peuvent jouer un rôle dans le cadre de ces importations de GNL américain.

Quelques bateaux commencent à quitter les États-Unis depuis la levée progressive des restrictions à l'exportation dans le domaine de l'énergie, ce qui est positif pour nous si nous souhaitons maintenir nos usines sur notre territoire. Les ports maritimes français comme Dunkerque ou Fos ont également un rôle important à jouer en servant de porte d'entrée pour importer cette énergie à bas coût, sachant que leurs capacités sont loin d'être utilisées à 100 %.

Concernant le volet environnemental de l'énergie, il faudrait que nous puissions, dans le cadre du TTIP, amorcer un dialogue euro-américain sur l'extraction vertueuse de certaines énergies, et essayer de trouver en commun des solutions techniques pour éviter la fracturation hydraulique. Ce pourrait être une passerelle permettant aux Américains, qui s'interrogent eux aussi sur ce sujet, de travailler avec les Européens à trouver d'autres solutions.

D'autres domaines pourraient aussi être l'occasion de passerelles entre les Américains et nous, comme la recherche ou les tests de produits chimiques. Il faudrait réfléchir à la façon dont nous pourrions mettre en commun les informations émanant de nos centres de recherche, sans pour autant divulguer des secrets professionnels. L'idée est d'éviter de refaire les mêmes tests des deux côtés de l'Atlantique et de faire en sorte que les mêmes informations circulent de chaque côté. Une mise en commun permettrait d'éviter les doublons et de faire des économies pour tout le monde.

J'appelle également votre attention sur le volet douanier et les règles d'origine.

Le protocole « règles d'origine » a naturellement une très grande importance dans un accord bilatéral. La chimie européenne a travaillé conjointement avec la chimie américaine, autrement dit avec l'American Chemistry Council (ACC), pour élaborer des propositions communes en matière de règles d'origine.

Ces propositions sont basées sur le changement de position tarifaire des produits et la valeur ajoutée des produits. Nous avons réussi à rédiger, avec l'ACC, un document commun à la chimie américaine et à la chimie européenne, que nous avons adressé aux négociateurs européens et américains. Nous avons trouvé une convergence au niveau des industriels, que nous souhaiterions trouver également au niveau des négociateurs, afin de parvenir à des règles qui soient les plus simples et les plus pratiques possible pour les industriels de chaque côté de l'Atlantique.

Le volet investissement n'est pas celui sur lequel nous avons travaillé le plus. Cela étant, nous avons tout de même un avis sur les propositions présentées par la Commission européenne en octobre dernier.

D'abord, il faut un accord d'investissement dans le cadre du TTIP, comme c'est toujours le cas dans le cadre d'une négociation bilatérale. La France a déjà passé une centaine d'accords d'investissement avec divers partenaires. Un tel accord doit évidemment être juste et équilibré, et prendre en compte l'investissement au sens large.

Sur le sujet qui posait problème, à savoir l'instrument de défense qui pourrait être mis en place en en cas de litige entre les investisseurs et l'État, nous sommes favorables à la proposition de la Commission européenne de créer une instance internationale. Je crois qu'il s'agit d'une proposition initiale franco-allemande, reprise par la Commission européenne. Nous sommes d'accord sur le principe de nommer quinze juges, qui seraient, en première instance, totalement indépendants. Il faudra, bien sûr, regarder de qui il s'agit, mais nous devons avoir la garantie que cette instance fonctionne bien.

Le fait d'avoir la possibilité de faire appel dans le cadre de cette instance nous va tout à fait. En outre, l'ajout d'une disposition particulière sur les PME, sachant qu'elles représentent 95 % de nos membres, va dans le sens de ce que nous voulions, c'est-à-dire que les PME puissent aussi avoir la possibilité de faire un recours en cas de problème.

Pour ce qui est des modalités, la mise en place d'une instance internationale de ce type prendra du temps. Cela rejoint l'idée que nous avons, à savoir qu'il ne faut pas aller trop vite dans ces négociations sur le TTIP. Nous ne sommes pas favorables, en tant que secteur industriel, à la signature d'un accord avant la fin de l'année, pour des raisons purement politiques, liées notamment aux élections aux États-Unis. Nous estimons qu'il faut prendre le temps nécessaire pour débattre de tous les sujets et parvenir à un accord global. L'idée de conclure un accord politique immédiat et de créer ensuite des instances, notamment pour la coopération réglementaire, qui seraient en dehors de l'accord et chargées d'aller plus loin dans les dispositions, n'est pas pour nous l'idéal. Nous préférons un accord complet, juste, équilibré, dès le départ, et qui soit l'occasion de trouver des points de convergence avec les Américains avant signature. Et si cela doit prendre plusieurs années, il faut prendre le temps qu'il faut, sans être bousculés par des échéances politiques.

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