Intervention de Pascal Bobillier-Monnot

Réunion du 23 mars 2016 à 11h00
Commission des affaires économiques

Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlées, CNAOC :

Je m'exprimerai ici au nom de l'ensemble des producteurs de vins et eaux-de-vie sous appellations d'origine contrôlées, y compris le cognac, ainsi qu'au titre de la Fédération européenne qui représente l'ensemble des vins d'appellation d'origine puisqu'il s'agit d'un sujet international. Nous avons construit et défendons une position commune européenne.

Le marché américain est devenu, pour le secteur viticole, un marché stratégique, notre premier marché d'exportation. Pour la France, cela représente 1,31 milliard d'euros en 2015, pour un total d'exportations de vins à travers le monde de 7,9 milliards d'euros. Pour les vins et spiritueux, on atteint 2,5 milliards d'euros, le cognac représentant 70 % des volumes.

La consommation de vin aux États-Unis a connu une progression très importante durant la dernière décennie. Les États-Unis sont devenus le plus grand pays consommateur de vin au monde, avec 30,7 millions d'hectolitres consommés en 2014. Il s'agit donc d'un marché très porteur et en pleine croissance.

Le secteur viticole a négocié, au travers de l'Union européenne, un accord vin en 2005 avec les États-Unis. La première phase portait essentiellement sur les questions relatives à l'étiquetage, à la certification et aux pratiques oenologiques. Les Américains s'étaient engagés à modifier leur législation sur les semi-génériques dans la deuxième phase de l'accord – les semi-génériques sont des vins américains qui portent des noms d'IG. La deuxième phase de l'accord devait débuter quatre-vingt-dix jours après la signature de l'accord. Malheureusement, cette deuxième phase n'a jamais été lancée et les Américains n'ont pris aucune initiative pour modifier leur législation et changer le statut des semi-génériques.

On recense 17 noms de semi-génériques aux États-Unis. Citons entre autres Champagne, Burgundy, Sauternes, Claret, Haut-Sauternes et Chablis pour la France, et Chianti, Porto et Tokay pour l'Europe. Ces noms sont utilisés par des producteurs américains avec un localisant. Autrement dit, les Américains peuvent donc toujours continuer à commercialiser du California Champagne en toute liberté…

Rappelons que 53 % des volumes commercialisés aux États-Unis sont des vins américains, dont 75 % sont des vins mousseux présentés avec la dénomination Champagne et commercialisés à des prix inférieurs à 10 dollars… Par contre, le « vrai » Champagne représente 10 % des volumes de vins mousseux commercialisés aux États-Unis mais dans une tranche de prix beaucoup plus élevés : plus de 30 dollars.

Les autres indications géographiques, qui ne sont pas considérées par les autorités américaines comme des semi-génériques, sont protégées par un système d'étiquetage géré par le United States Alcohol and Tobacco Tax and Trade Bureau qui examine les étiquettes des vins qui entrent sur le territoire américain. Il s'agit donc d'un système de protection contre la tromperie du consommateur et non, à proprement parler, d'un droit de la propriété intellectuelle. Évidemment, on est mieux protégé au travers de la propriété intellectuelle que de la lutte contre la tromperie du consommateur. Je parle notamment de la protection pour empêcher l'utilisation du nom par d'autres produits. Les opérateurs français et européens essaient le plus souvent de protéger leur nom au travers de la marque commerciale ; mais c'est une démarche onéreuse et pas toujours très efficace.

Le TTIP est donc une véritable opportunité pour remettre les pendules à l'heure avec les autorités américaines. Notre objectif est très clair : obtenir une protection totale et définitive à l'issue d'une période de transition. C'est le point principal sur lequel nous souhaitons que l'Union européenne soit offensive dans ses négociations. Pour autant, nous sommes vigilants sur d'autres points, notamment sur les mentions dites traditionnelles.

Dans l'accord conclu en 2005 entre les États-Unis et l'Europe a été négocié un protocole relatif à l'étiquetage, qui reconnaissait aux opérateurs américains la possibilité d'utiliser des mentions traditionnelles comme « château », « clos », « domaine », etc. pour l'exportation de vin américain sur le marché intérieur de l'Union européenne pendant une période de trois ans reconductible. Cet accord a été dénoncé en septembre 2008 car, ainsi que je l'ai dit plus haut, les Américains n'ont pas respecté les engagements prévus au titre de la deuxième phase et n'ont entamé aucune discussion au Congrès pour modifier le statut des semi-génériques.

Le secteur viticole a connu plusieurs tentatives de la Commission européenne ces dernières années pour modifier de manière unilatérale ce statut des mentions traditionnelles. Des négociations officieuses se sont tenues entre l'Union européenne et les États-Unis sur la question des mentions traditionnelles. La Commission a proposé à deux reprises, et notamment au mois de septembre 2012, d'autoriser à nouveau l'utilisation par les opérateurs américains des noms de mentions traditionnelles. Le secteur viticole français s'est très fortement mobilisé pour dénoncer cette tentative de la Commission de négocier avec les autorités américaines. Nous avons déployé notamment une grande campagne dans la presse généraliste et la Commission a préféré faire marche arrière.

Nous relevons maintenant que la Commission européenne, au moment où elle entreprend un grand chantier de simplification de la législation viticole, reste silencieuse sur le thème des mentions traditionnelles alors qu'elles devraient y être traitées. Tout porte à craindre que, dans le cadre des négociations en cours, l'Union européenne ait quelques velléités de négocier à nouveau avec les Américains la possibilité pour eux d'utiliser les noms des mentions traditionnelles.

Entre autres mentions traditionnelles, le nom « château », né à Bordeaux au XIXe siècle, rencontre aujourd'hui un grand succès commercial puisque plus de 525 millions de bouteilles sont commercialisées sous cette dénomination. Sur le plan juridique, la mention « château » répond à une définition précise dans la réglementation communautaire : 100 % des raisins doivent être récoltés et vinifiés sur l'exploitation. En revanche, aux États-Unis la mention « château » correspond à une simple marque commerciale : autrement dit, la totalité des raisins peut parfaitement provenir d'un autre endroit.

J'en viens au douzième round des négociations qui s'est déroulé au mois de février à Bruxelles et qui portait sur la thématique des indications géographiques. Nous avons senti que les négociateurs américains étaient plus que jamais crispés sur cette question, y compris dans le secteur du vin. Un accord a déjà été conclu dans le passé avec les États-Unis, nous espérions qu'ils feraient preuve d'un peu d'ouverture sur la question des IG viticoles – nous les savons très crispés sur la question des IG agroalimentaires. Grande a été la surprise des négociateurs européens en découvrant que les négociateurs américains étaient également très fermés sur la question des IG viticoles et appelaient désormais à un règlement entre opérateurs ! En résumé, ils appellent les opérateurs américains à négocier avec les opérateurs européens – c'est ce qu'ils appellent le all about money –, autrement dit les opérateurs français devraient dédommager leurs homologues américains pour qu'ils renoncent à utiliser les noms des semi-génériques !

Nous attendons de l'Union européenne qu'elle soit très offensive dans ces négociations. Nous notons bien un empressement de la part de certains politiques pour que cet accord aboutisse si possible à court terme. Mais pour ce qui concerne le secteur viticole européen, nous sommes clairement contre un accord a minima à court terme et nous appelons à un accord ambitieux à moyen terme.

Nous nous félicitons de la détermination des négociateurs français, mais aussi du Gouvernement français sur la question de l'accord TTIP. Nous apprécions les propos très forts qu'a tenus M. Matthias Fekl sur ce sujet et nous avons relevé avec satisfaction qu'au-delà de la question très importante des semi-génériques, les autorités françaises avaient bien souligné, contrairement aux autorités européennes, l'impérieuse nécessité de rester vigilant sur celle des mentions traditionnelles.

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