Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 31 mars 2016 à 15h00
Débat sur l'accueil des réfugiés en europe

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

Il ne serait officiellement applicable qu’au 1er juin. Pourtant, le renvoi des réfugiés arrivant dans les îles grecques est effectif depuis le 20 mars, et la Turquie n’est pas à ce jour officiellement reconnue comme un pays tiers sûr. De fait, elle a accordé une protection temporaire à plus de 2 millions de Syriens, mais elle continue à refuser de fournir une véritable protection à des non-Européens qui en font la demande, notamment les Afghans et les Irakiens. Cela contrevient à la Convention de Genève qui régit le droit d’asile.

Par ailleurs, rien n’a été précisé sur la manière dont seront hébergés des réfugiés forcés à quitter la Grèce pour la Turquie. Le Haut commissariat aux réfugiés – le HCR – sera-t-il associé à ces procédures, lui qui vient de marquer sa désapprobation quant à l’évolution des hot spots en Grèce, devenus des centres de rétention fermés ? Ce constat n’est pas le fait des seules ONG.

Le mécanisme du « un pour un », cet échange de réfugiés entre la Turquie et l’Union, pose lui aussi de nombreuses questions. Pour le dire autrement, un réfugié syrien ne pourra être accueilli en Europe que si un autre réfugié syrien risque sa vie en mer. Quelle honteuse arithmétique ! Que deviendront les personnes arrivées en Grèce début 2016 et qui sont aujourd’hui bloquées à la frontière avec la Macédoine, parquées de manière inacceptable à Idoméni, par exemple ? Quel organisme indépendant contrôlera l’utilisation des fonds octroyés à la Turquie ? Par cet accord, les personnes qui ne parviennent pas à démontrer la légitimité de leur demande d’asile à l’issue d’une procédure équitable peuvent faire l’objet d’un retour, mais sur quelle base réelle ? Et comment accepter des expulsions collectives accélérées ou la création de camps de rétention à durée indéterminée ? La Grèce ne peut pas être un grand camp à ciel ouvert.

Ouvrons les yeux : faute de voies d’accès légales et sûres, les passeurs auront beau jeu de trouver de nouvelles routes, toujours plus lucratives pour eux, toujours plus dangereuses pour les réfugiés. Et les États qui se sentent aujourd’hui menacés – je pense à l’Albanie ou au Monténégro, où nous nous sommes rendus récemment – se disent qu’ils ne sauront pas faire face et que l’Europe ne les y aide pas.

Dans ce débat douloureux, la liste des interrogations est longue, y compris sur l’attitude de la France qui, je le rappelle ici, s’est engagée à accueillir 28 000 réfugiés réinstallés et qui, en six mois, n’a ouvert ses portes qu’à 300 personnes. La France ferme les yeux sur le sort des mineurs isolés, exposés aux trafics et aux violences, à Calais notamment, alors qu’on pourrait espérer qu’un accord digne soit trouvé avec l’Angleterre pour que ces enfants rejoignent leurs familles.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos vous paraîtra peut-être dur, mais il est celui d’une personne indignée. Il est de notre devoir de ne pas laisser l’indifférence ou la démagogie l’emporter. Avec la gestion de cette crise, nous engageons l’Europe de demain et ses relations avec le reste du monde. Or, nous risquons de trahir l’idéal européen si nous ne prenons pas mieux en compte le droit d’asile et notre devoir humanitaire.

Faute d’une mobilisation commune, coordonnée et solidaire, l’Europe s’affaiblit et l’espace de paix qu’elle avait construit patiemment se trouve hérissé de frontières internes et de barbelés. Pourtant, nos valeurs constituent le meilleur rempart contre l’obscurantisme et la démagogie, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Union. Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous pouvoir convaincre vos collègues d’envisager enfin l’ouverture de voies légales et sûres d’accès à l’Union ? La France n’est-elle pas en mesure d’accueillir dignement des réfugiés à la hauteur de ses engagements ? Permettez-moi de conclure par ces mots que Jean Cayrol écrivit pour le film Nuit et brouillard : « Il y a nous […] qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous et qui n’entendons pas qu’on crie sans fin. »

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