Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 29 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Vous me permettrez de faire une remarque d'ordre général avant que je ne réponde à vos questions. Le code du travail est épais parce que nous avons tenté de nous adapter à la multiplicité des besoins qui émergeaient sur le terrain – les dérogations étaient d'ailleurs souvent demandées par la partie patronale. Je crois que ce système est aujourd'hui à bout de souffle.

Avoir confiance dans la négociation, en réaffirmant le rôle de la branche et celui de l'entreprise, ce n'est absolument pas donner un chèque en blanc aux entreprises. C'est avoir conscience qu'il faut trouver au plus près du terrain, avec les représentants légitimes des salariés que sont les syndicats, les moyens de s'adapter. L'acte de confiance se fait à la fois en direction des organisations syndicales, des salariés et des chefs d'entreprise.

Combien de fois entendons-nous dire qu'une entreprise n'a pas pu répondre à un pic d'activité ou à une grosse commande ? Aujourd'hui, il n'existe que des solutions de contournement. On contourne en faisant appel aux travailleurs détachés ou aux indépendants, en ayant recours à l'intérim de façon massive, en donnant la préférence à la signature d'un CDD, même si cela coûte beaucoup plus cher, plutôt qu'à un recrutement en CDI parce que l'on pourrait perdre un client ou un contrat dans les huit mois à venir. Voilà la réalité que je me suis attelée à traiter dans ce projet de loi !

Ma vision du dialogue social n'est ni naïve ni béate : je ne considère pas que le salarié se trouve à égalité face à son employeur. J'ai pleinement conscience que cette relation est déséquilibrée. Mais parce que j'ai confiance dans le dialogue social, je sais que les militants syndicaux sont accompagnés et formés par des structures, je sais qu'ils sont défendus par le collectif, tout comme les salariés. Cette cohérence est au coeur de ce projet de loi qui renforce la formation et la position des acteurs du dialogue social. Je le répète : ce texte n'est pas un chèque en blanc donné aux entreprises.

En France, seulement 18 % de la population fait confiance aux représentants syndicaux – cette proportion descend à 11 % s'agissant du personnel politique. Je ne veux pas dénigrer les corps intermédiaires : toute démocratie en a besoin. C'est pour cela que le projet de loi ne laisse en aucun cas le salarié seul à l'employeur. Il renforce les acteurs du dialogue social.

Notre droit est protecteur, et on ne peut que s'en réjouir. La santé et la sécurité au travail restent évidemment des piliers de notre droit. Mais nous perdons des postes dans l'industrie depuis le deuxième trimestre de 2001 : en quoi nos protections ont-elles évité des licenciements dans l'industrie ? Comment l'Allemagne a-t-elle surmonté la crise de 2008 ? Elle a d'abord eu recours à l'activité partielle. Nous pouvons être fiers d'avoir porté la réforme de l'activité partielle en 2013 : nous avons rejoint l'Allemagne sur ce plan. Elle a aussi été en mesure de moduler, d'introduire de la souplesse en matière de travail. Résultat : en Allemagne, les salariés travaillaient à temps partiel et bénéficiaient de formations, alors qu'en France on licenciait. La reprise économique venue, les Allemands disposaient d'une main-d'oeuvre qualifiée et toujours en poste ; ce n'était pas notre cas.

Je suis convaincue que la démarche que nous adoptons est la bonne. Je suis convaincue que, pour lever les blocages, nous devons trouver de nouvelles formes de régulation sociale qui passent par un dialogue social au plus près de l'entreprise. Dès lors que le droit actuel s'applique si aucun accord n'est signé, quel risque prend-on en essayant de conclure un accord ? C'est, en quelque sorte, un aveu de faiblesse de refuser que la négociation ait lieu au plus près de l'entreprise. Je crois aux organisations syndicales et en leur pouvoir en matière de négociation. C'est cela qui se joue aujourd'hui.

Certains syndicats considèrent que nous sommes à la croisée des chemins en matière de dialogue social. C'est vrai, et ce texte leur permet justement de redonner du sens au dialogue social et de renforcer leur légitimité. C'est pour cela qu'il s'agit à mes yeux d'un projet social-démocrate complètement assumé.

Je sais très bien ce qui se passe chez nos voisins européens. Je rencontre mes homologues. Nous ne proposons ni le contrat zéro heure ni les mini-jobs à l'allemande. Ce n'est pas cela, notre projet ! Nous proposons au contraire un renforcement du dialogue social pour mieux nous adapter à la demande. Bien sûr, l'embauche passe par un carnet de commandes rempli, mais il faut traiter la réticence à signer des CDI, qu'elle soit fondée sur des faits réels ou des éléments ressentis. En tant que ministre du travail et de l'emploi, je souhaite la traiter.

Monsieur le rapporteur, madame Le Callennec, les partenaires sociaux ne seront pas membres de la commission de refondation, dont le rôle sera de fournir une expertise au Gouvernement et non de négocier une réforme du droit du travail. Ils seront néanmoins très étroitement et concrètement associés à ses travaux. C'est à la fois une question de principe et une nécessité, puisque la réforme donnera une place sans précédent à la négociation, ce qui va dans le sens du rapport Combrexelle.

À ce sujet, sachez que j'ai non seulement lu l'article L. 1 du code du travail, mais que je l'ai appliqué ! Le 16 septembre dernier, j'ai demandé par courrier à l'ensemble des partenaires sociaux s'ils souhaitaient ouvrir une négociation sur les suites au rapport Combrexelle. Comme ils ne l'ont pas souhaité, nous avons mené des concertations bilatérales avec chacun d'entre eux.

Les partenaires sociaux ont toujours été associés à toutes les grandes réformes en matière de travail et d'emploi. J'ai mené une concertation avec eux sur l'intégralité du projet de loi. Certains arbitrages ayant été rendus tardivement, l'article relatif aux licenciements économiques n'était pas encore sur la table lors de cette première phase. Nous avons déjà reconnu qu'il avait manqué un temps d'explication, d'autant que des fuites avaient eu lieu dans la presse – je me souviens que M. Gérard Cherpion a été fort mécontent de découvrir le texte du projet de loi dans Le Parisien.

Les partenaires sociaux seront donc évidemment associés au travail de la commission de refondation. Je souhaite aussi qu'elle puisse accueillir en son sein des personnalités ayant un passé de syndicaliste, mais également des chefs d'entreprise. Sa composition n'aura rien à voir avec celle du comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail, présidé par M. Robert Badinter, dont les membres étaient des juristes.

Il est vrai que les soixante et un principes dégagés par le comité Badinter ont été établis à droit constant. À l'instar de M. Jean-Denis Combrexelle, plusieurs voix ont toutefois fait remarquer que leur insertion en tête du code du travail présentait un risque en termes de sécurité juridique au regard du nombre de textes en vigueur. Nous avons en conséquence souhaité ne pas en faire un préambule du code tout en nous assurant qu'ils guideraient le travail de la commission de refondation. Certains d'entre vous m'interrogent sur l'opportunité de les inscrire dans la loi. Il vous revient de prendre une décision en la matière, et il ne me revient pas de donner des injonctions au législateur.

Devrions-nous attendre les retours d'expérience pour généraliser les accords majoritaires ? Dès lors que nous élargissons l'objet des négociations, il est à mon sens essentiel d'affirmer le principe majoritaire qui garantit que les accords sont fondés sur un consensus large. Aujourd'hui, personne n'est dupe : tout le monde sait que l'on peut moduler le temps de travail sur la base d'un accord signé par des organisations syndicales représentant 30 % des salariés. Demain, ce ratio passera à 50 %. Les accords pourront ainsi être plus ambitieux en termes de contenu et plus efficaces dans leur mise en oeuvre. Je tiens en conséquence à ce que le principe majoritaire soit inscrit dans la loi. Il s'agit d'une garantie apportée aux salariés et d'une évolution majeure.

J'entends cependant ceux qui s'inquiètent qu'une telle disposition puisse bloquer le dialogue social. Nous avons déjà prévu qu'elle s'applique, dès l'entrée en vigueur de la loi, pour les accords collectifs qui portent, par exemple, sur la durée du travail, les repos et les congés, mais, seulement à partir du 1er septembre 2019 pour ceux qui concernent une série d'autres sujets.

Le Premier ministre s'est engagé à présenter le bilan d'étape que vous réclamez à juste titre. Il sera présenté avant la généralisation du dispositif, et je suis évidemment prête à ce que cette précision soit apportée dans la loi.

Quant à la portabilité des droits acquis par le salarié et inscrits sur son CPA, elle sera pleine et entière grâce à ce dispositif : qu'il change d'emploi ou même de statut, ils lui seront conservés tout au long de sa carrière professionnelle. Aujourd'hui, la portabilité ne concerne que le secteur privé. Elle sera étendue aux travailleurs indépendants et aux travailleurs des plateformes collaboratives pour lesquels le droit à la formation sera ainsi ouvert dès 2018. Le principe de la portabilité fera l'objet d'un article dans le code.

S'agissant de la fongibilité des droits ouverts sur un CPA, nous voulons surtout que la personne titulaire décide elle-même de les exercer ou non. Cette capacité de décision sera augmentée. Les droits acquis pourront être utilisés pour de la formation, mais aussi pour de la validation des acquis de l'expérience ou de l'appui à la création d'entreprise, grâce à un soutien en management, en comptabilité ou au financement d'un bilan de compétences. Le nouvel espace numérique qui sera mis en place facilitera la conversion des droits inscrits sur le compte pénibilité en droit à la formation.

Qu'en est-il des agents publics, pour que le CPA soit réellement universel ? Je suis naturellement cette question avec ma collègue Annick Girardin. Il s'agit d'une revendication des syndicats, et nous devons nous donner le temps de la concertation. En l'occurrence, la fonction publique ne part pas du même point que le privé : elle n'a pas de compte personnel de formation (CPF), la question des parcours professionnels ne se pose pas pour elle dans les mêmes termes, elle bénéficie de la garantie de l'emploi et le statut des fonctionnaires garantit déjà la portabilité de certains droits d'une fonction publique à l'autre. L'article d'habilitation contenu dans le projet de loi prend en compte le temps nécessaire de la concertation avec les syndicats, pour que, d'ici à la fin de la législature, la portabilité des droits des salariés soit également garantie, qu'ils passent du secteur privé au secteur public ou du secteur public au secteur privé.

En ce qui concerne les accords pour favoriser l'emploi prévus dans ce projet, ils sont très différents des accords de maintien dans l'emploi prévus par l'accord national interprofessionnel (ANI) de sécurisation de l'emploi ; il est normal qu'ils obéissent à d'autres règles. Les accords de maintien dans l'emploi s'adressent aux entreprises qui sont confrontées à des difficultés économiques importantes. Plutôt que de supprimer des emplois, elles peuvent, dans le cadre de ces accords, recourir à la flexibilité interne. Le licenciement du salarié qui refuse le contenu de l'accord est un licenciement économique, la loi prenant en compte l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi ou de l'obligation de mettre en place des mesures de reclassement.

Les accords pour développer l'emploi vont quant à eux s'appliquer à toutes les entreprises, qu'elles soient ou non en difficulté, hors du cadre des licenciements pour motif économique au sens juridique. Ces accords créent donc un licenciement sui generis qui ne sera analysé ni comme un licenciement pour faute ni comme une démission, comme en Allemagne. Nous ne voulons pas sanctionner un salarié, mais plutôt prendre acte d'un compromis collectif qui a été trouvé. Le dispositif est le même que celui qui avait été prévu par la loi Aubry sur l'aménagement du temps de travail. Dans le cadre de ce licenciement sui generis, le salarié conserve ses droits à indemnité de licenciement comme ses droits à l'indemnisation chômage.

Vous m'avez interrogée sur l'ampleur de la baisse minimale évoquée à l'article 30 relatif aux licenciements économiques. La définition de l'ampleur de cette baisse minimale est bien sûr assez délicate, monsieur le rapporteur. Quelle ampleur doit-on fixer dans la loi ? Nous avons pensé la qualifier simplement de « significative », mais une baisse, même peu importante, de chiffre d'affaires, ou une perte d'exploitation peut déjà être parfois le signe d'une détérioration de la situation économique de l'entreprise, l'incitant à réagir vite pour éviter d'être défaillante. Introduire le terme « significatif » ne ferait naître que de l'insécurité juridique, alors que la loi veut au contraire clarifier.

Je crois en revanche qu'il faut envisager une différenciation des critères économiques, selon qu'ils s'appliquent aux TPE et PME ou aux grandes entreprises. Car les employeurs des TPE et PME n'ont pas recours aujourd'hui au licenciement pour motif économique, pourtant plus protecteur du salarié, et n'utilisent pour ainsi dire que le licenciement pour motif personnel. C'est pourquoi cette précision est importante à apporter.

Vous m'avez interrogée aussi sur l'article 28 et les aides accordées aux TPE et PME, en particulier les services d'information dédiés. Je suis tout à fait favorable à votre approche opérationnelle de cette question. Des cellules d'information et d'appui aux TPE leur apporteront leur aide sur toute question relative au droit du travail et sur la manière d'accéder à un dispositif d'emploi. Elles ne connaissent en effet pas toujours les dispositifs existants, par exemple en matière de temps partiel. Après les attentats, grâce aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), d'intenses démarches ont été menées auprès d'entreprises des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, comme de l'événementiel et du secteur touristique ; au bout d'une semaine, les entreprises se sont emparées enfin de ces dispositifs, qu'elles connaissaient mal a priori.

Le coût de l'embauche fait l'objet d'une même méconnaissance, en témoigne celle de la nouvelle aide en faveur des TPE et PME. Dans le cadre du conseil de simplification, nous travaillons en ce moment à un simulateur du coût de l'embauche. C'est essentiel pour ces entreprises, qui ne disposent pas d'armées d'experts.

En tout état de cause, ces cellules ne se substitueraient pas aux DIRECCTE, mais compléteraient leur travail en s'appuyant sur les chambres consulaires, sur les branches et sur les commissions paritaires régionales. Naturellement, il reviendra aux travaux parlementaires d'apporter des améliorations ou des ajustements. Pour ma part, j'appelle de mes voeux un environnement plus simple et plus sûr pour les TPE et PME.

Vous m'avez interrogée, madame Iborra, sur la publicité des accords passés. Elle sera en effet prévue, sauf lorsque employeurs et salariés estiment qu'ils doivent rester confidentiels. Je suis, comme vous, favorable à une réelle transparence, dès lors qu'il est fait plus de place à la négociation collective.

S'agissant de la formation des acteurs du dialogue social, elle sera renforcée. Des formations conjointes aux représentants des salariés et aux représentants des employeurs auront lieu. Prévues par le projet de loi, de telles formations pourront être en outre financées sur le budget de fonctionnement du comité d'entreprise.

Quant au CPA, il n'est pas seulement destiné aux décrocheurs, mais à tous les jeunes, et même à tous les actifs en général, dès l'âge de seize ans. Vous avez eu raison de m'interroger en ce sens. Le compte engagement permettra aux jeunes diplômés qui s'engagent dans le service civique de bénéficier d'un abondement.

Je connais les difficultés des décrocheurs et je sais que la formation professionnelle ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin. Oui, je m'efforce d'abonder le CPA en direction des demandeurs d'emploi et des jeunes les moins qualifiés, qui connaissent des difficultés à entrer sur le marché du travail. Il faut faciliter le développement de l'emploi durable. Les économistes Jean Tirole et Philippe Aghion mettent l'accent sur la nécessité de lever les incertitudes liées aux contentieux nés de la rupture de CDI, pour ouvrir l'emploi aux catégories les plus précaires, comme les jeunes ou les femmes. Certes, d'autres économistes sont d'un autre avis ; il n'y a pas d'unanimité ici non plus. Cette incertitude à embaucher en CDI doit être traitée. Apporter de la clarté, ce n'est pas faciliter le licenciement, mais mieux définir ce que recouvre la notion de « difficultés économiques ».

L'apport des maîtres d'apprentissage sera reconnu à travers l'abondement des comptes engagement.

Messieurs Cherpion et Richard, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a toujours associé les partenaires sociaux aux grandes réformes. Le 16 septembre 2015, après la remise du rapport Combrexelle, j'ai adressé une lettre à tous les partenaires sociaux pour les inviter à négocier. Comme ils ne le faisaient pas, le Gouvernement a repris la main. Le Premier ministre a indiqué en novembre les grandes orientations du texte, sur la base desquelles mon ministère a travaillé pour élaborer le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui. Entre septembre et février, j'ai reçu à plusieurs reprises les numéros un des organisations tant patronales que syndicales ; ils pourront en témoigner. L'article L. 1 a donc été respecté, comme l'a souligné le Conseil d'État dans son avis, dont je vous invite à prendre connaissance.

Des négociations intenses ont eu lieu ces dernières semaines, tant à mon niveau qu'au niveau du Premier ministre et auprès d'Emmanuel Macron. Le projet de loi en est sorti amélioré et plus équilibré. Sans cette phase d'écoute, nous aurions été acculés à un retrait. En quinze jours, nous avons regagné de la confiance. Certes, ce texte de compromis ne recueille pas l'unanimité, mais les organisations syndicales majoritaires et des organisations de jeunesse ont salué son dépôt. Il est important de le souligner.

Monsieur Richard, vous avez évoqué la question du calendrier des travaux de la commission de refondation du code. Le Conseil d'État a souhaité enlever cette mention, estimant qu'il s'agirait d'une injonction que se donnerait le législateur à lui-même, ce qui serait inconstitutionnel. S'il n'y a pas de calendrier prévu dans le corps de la loi, son exposé des motifs contient cependant des indications très claires à ce sujet. Le Gouvernement s'y tiendra, soyez-en assuré.

Des mesures seront prises pour renforcer les syndicats. Les accords sur la flexibilité ne pourront être passés sans recours à la négociation ; les syndicats seront ainsi plus écoutés et auront plus de poids. De même, nous généralisons les accords majoritaires, ce qui rééquilibrera également les choses en leur faveur. Les délégués syndicaux bénéficieront d'une hausse de 20 % de leur décharge, tandis que la formation des négociateurs et des représentants du personnel sera renforcée ; de même, nous protégerons davantage les bourses du travail.

Cette démarche s'inscrit dans la lignée de lois déjà votées depuis 2012, telles que la loi d'août 2015 sur l'emploi et le dialogue, qui renforce les moyens des représentants du personnel dans les entreprises et a créé, notamment, une garantie de non-discrimination salariale pour les syndicalistes.

Quant au budget alloué à la garantie jeunes, la dernière loi de finances a prévu 256 millions d'euros en crédits de paiement supplémentaires, pour faire face à l'extension de cette garantie, 100 000 jeunes étant entrés dans ce dispositif d'ici à la fin 2016. Si 150 000 jeunes y entraient d'ici à la fin 2017, cela représenterait un coût de 600 millions d'euros. L'État et l'Union européenne continueront à le supporter, la garantie européenne à la jeunesse finançant une part de la garantie nationale.

Madame Attard, l'analyse d'Eurostat de 2013, reprise par la Cour des comptes dans son rapport de décembre 2015, évoque 750 000 jeunes NEET, qui ne sont ni étudiant, ni employé, ni stagiaire. Ces jeunes ne sont pourtant pas tous en grande précarité, ce qui limite le nombre de ceux qui entrent dans la garantie jeunes. En outre, tous ceux qui peuvent y entrer n'acceptent pas forcément un dispositif d'accompagnement intensif. Pour eux, nous prévoyons plusieurs niveaux dans la loi : le retour à la formation initiale, tout jeune ayant le droit de se voir payer l'accès à un premier niveau de qualification ; d'autres dispositifs sont également mis en oeuvre par la garantie jeunes, tels le contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) ou les emplois d'avenir. Le droit universel de la garantie jeunes vise à garantir que tout jeune en situation de précarité qui a le droit d'entrer dans ce dispositif puisse réellement le faire, s'il est volontaire et motivé, et qu'il appartient à la catégorie des NEET.

La garantie jeunes n'est pas une allocation, mais un contrat donnant-donnant qui prévoit l'accompagnement intensif de quinze jeunes, sous une forme collective, par deux intervenants des missions locales pendant six semaines. Il est l'occasion de faire un point sur ce qu'ils souhaitent faire, sur la voie dans laquelle ils voudraient s'engager, vers quelle orientation professionnelle. Ce dispositif, qui comporte une semaine de mise en situation professionnelle, est véritablement du cousu main. C'est ce qui promet des effets efficaces sur l'emploi. Dès le 1er janvier 2017, tout jeune qui remplit les critères de la garantie jeunes devra pouvoir bénéficier de ce dispositif.

S'agissant des fonds européens, nous travaillons avec la Caisse des dépôts et consignations pour étudier comment elle pourrait avancer des crédits, nous mettant à l'abri des fluctuations de paiement, notamment sur les écoles de la deuxième chance ou certaines missions locales en difficulté. Un comité scientifique travaille sur l'évaluation de la garantie jeunes sur tout le territoire ; il rendra ses conclusions d'ici au mois de juin. D'ici à la fin 2016, elle sera disponible dans 80 % des missions locales.

Chaque mission locale recevra 1 600 euros par jeune accompagné dans le cadre de ce dispositif. Rappelons qu'entre 100 000 et 200 000 jeunes, ou même davantage, pourront y accéder. Les moyens des missions locales seront donc renforcés, de façon qu'elles puissent recruter le personnel nécessaire à la mise en place de ce dispositif. Nous traitons d'ailleurs la question des locaux nécessaires à leur accueil, dans sa dimension collective. Tout sera prêt d'ici au 1er janvier 2017. L'Union nationale des missions locales (UNML) s'est déjà déclarée prête, si des moyens renforcés lui sont alloués, comme je m'y engage.

Monsieur Cavard, j'apprécie votre état d'esprit, certes sans concession, mais constructif. Le CPA doit assurer la continuité avec les lois déjà votées, notamment s'agissant du CPF. Tel est du moins le souci qui m'anime.

Mme Orliac, vous vous êtes inquiétée du renvoi à la norme supplétive. Que faut-il appliquer s'il n'y a pas d'accord ? Il paraît plus rassurant, y compris pour les salariés et pour les syndicats, de prévoir que ce sera le droit supplétif. Quant au départ opéré entre loi et règlement pour définir ce dernier, le projet de loi se calque sur l'équilibre actuel. Un droit supplétif sera de toute façon défini, que ce soit par la loi ou par le décret.

S'agissant de la laïcité, elle ne s'applique pas aujourd'hui au monde de l'entreprise. Je suis ouverte à une réécriture de l'article, mais je souligne que, loin de favoriser le communautarisme religieux, il reprend au contraire le droit constant. Nous sommes en train d'élaborer, avec les partenaires sociaux, un guide du fait religieux en entreprise, rédigé tant du point de vue des employeurs que du point de vue des salariés ; il faudra par exemple débattre de la question des règlements intérieurs. Rappelons toutefois à nos concitoyens que la laïcité en entreprise n'existe pas aujourd'hui, du moins en tant que principe.

Madame Fraysse, vous ne pouvez pas dire que le projet de loi vise à faciliter les licenciements. Ce serait d'ailleurs absurde, et assez paradoxal, pour une ministre de l'emploi, de proposer une telle mesure. Il s'agit seulement de donner une meilleure visibilité aux salariés et aux entreprises sur les cas dans lesquels, en raison de difficultés économiques, il peut être mis fin au contrat de travail. Nous précisons ce que peuvent être des difficultés économiques ; nous n'ajoutons pas de nouvelles formes de licenciement économique.

Certes, vous pouvez ne pas être d'accord, mais nous avons retenu le critère de quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d'affaires. Sur cette question, le droit, largement issu de la jurisprudence, n'est pas clair. Il est pourtant légitime que les chefs d'entreprise demandent des règles claires en ce domaine. À défaut, les TPE et PME préfèrent ne pas embaucher en CDI. Les premières victimes en sont les salariés en butte à la précarité, alternant périodes d'intérim, contrats courts et périodes de chômage. C'est pourquoi nous reprenons la jurisprudence de la Cour de cassation pour définir, dans la loi, ce qu'est la motivation d'un licenciement économique. Rappelons d'ailleurs que le licenciement économique ouvre au salarié plus de droits qu'un licenciement pour motif personnel ou une rupture conventionnelle.

Il est faux de dire que le projet de loi inverse la hiérarchie des normes. Cela signifierait que les accords, ou même le contrat de travail, seraient l'outil de la régulation du droit commun, sur lequel ils auraient prééminence. Il n'en est rien. Mon projet de loi ne laisse pas employeur et salariés seuls face à face. La loi continuera à protéger le salarié. Elle fixe ce qui relève d'elle-même ou de la négociation d'entreprise ; le champ des accords ne pourra être élargi que dans la mesure où la loi le permet. S'il n'y a pas d'accord, le droit actuel s'appliquera. Nous réaffirmons également le rôle des branches et des accords qu'elles passent. Ils sont essentiels sur des sujets comme la durée minimale du travail, notamment en temps partiel, les qualifications, les salaires, la protection sociale complémentaire, la lutte contre le dumping social… Les accords de branche continueront de l'emporter sur les accords d'entreprise en ces matières. D'ailleurs, ils pourront moduler le temps de travail sur une période plus longue qu'une année.

Nombre d'entre vous ont critiqué la consultation des salariés. Je souligne qu'elle ne peut avoir lieu qu'à la demande des syndicats. Il est donc impossible de les contourner ; c'est même un moyen de les renforcer. Le chef d'entreprise ne peut recourir de lui-même à cette consultation, qui doit être demandée par des organisations syndicales représentant 30 % des salariés. Elle peut offrir le moyen de surmonter un blocage. Le niveau de 30 % est celui qui est retenu pour la signature d'un accord. Même les modalités de la consultation font l'objet d'un accord avec les syndicats ; elle peut les relégitimer. Certains y sont d'ailleurs favorables – mais il n'y a pas unanimité, ni chez les syndicats ni chez les employeurs, sur l'ensemble du projet de loi.

J'en viens à la majoration des heures supplémentaires. Monsieur Sebaoun, un accord d'entreprise peut aujourd'hui fixer un taux de majoration de 10 % des heures supplémentaires, inférieur à celui que l'accord de branche a prévu, si celui-ci n'a pas entendu verrouiller lui-même ce taux. Concrètement, sur les cinquante branches les plus importantes – celles qui sont suivies dans le cadre du pacte de responsabilité –, il n'y en a que cinq où les accords d'entreprise peuvent réellement prévoir un taux de majoration inférieur à celui qui est prévu par l'accord de branche. Pourtant, un taux de majoration élevé peut être insoutenable pour des TPE, leur interdisant de recourir aux heures supplémentaires.

Le projet de loi vise à remédier à cette situation en prévoyant que les accords d'entreprise fixent, comme aujourd'hui, le taux de majoration des heures supplémentaires, tout en garantissant aux salariés une majoration minimale de 10 %. Quand un taux de 25 % est applicable, comme dans les grandes entreprises, il ne faut pas s'attendre à ce que les syndicats signent des accords au moins-disant. Mais, dans les TPE et PME, le projet de loi ouvrira des possibilités nouvelles de recourir aux heures supplémentaires, alors que, aujourd'hui, elles ne le peuvent pas.

En quoi cette loi créera-t-elle de l'emploi ? Elle s'inscrit dans la lignée de celles qui ont été adoptées depuis le début du quinquennat. Elle vise à renforcer la compétitivité de notre économie et sa capacité d'adaptation au plus près du terrain. En donnant plus de clarté aux entreprises, elle donnera de l'emploi durable. Vais-je m'engager sur des chiffres de création d'emplois à deux mois ou à trois mois ? Certes non. Il y a d'une part des mesures conjoncturelles, telles que le plan « 500 000 emplois », la baisse du coût du travail à travers le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) dans le cadre du pacte de responsabilité et l'aide à l'embauche dans les PME. Il y a d'autre part des mesures structurelles dont notre pays a besoin et qui produiront des effets à moyen terme. Je ne vais pas m'engager devant nous sur le nombre d'emplois qui seront créés. Mais, en tout état de cause, cette loi favorisera l'emploi, en permettant davantage de souplesse et une meilleure adaptation, par la négociation, à un contexte économique changeant. Elle pourra permettre d'éviter le recours au détachement des travailleurs, en offrant par exemple plus de modulation du temps de travail. Elle sera ainsi favorable tant à la compétitivité de notre économie qu'à l'emploi.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), qui fait partie du compte personnel d'activité, est pour moi une avancée sociale importante. Nous sommes en train de travailler avec l'Agence nationale d'amélioration des conditions de travail (ANACT) sur certains référentiels de branche, notamment dans l'agriculture, ainsi que sur les incidences de la transposition de la directive européenne relative à la valeur limite d'exposition professionnelle pour la filière bois.

Monsieur Vercamer, vous m'avez interrogée sur la flexisécurité. Toute la philosophie de ma loi consiste à concilier flexibilité et sécurité. Je crois qu'il est possible de renforcer la capacité d'adaptation de nos entreprises tout en garantissant des droits aux salariés. Poser le principe qu'en l'absence d'accord, le droit actuel s'applique, voici une des garanties que nous apportons. Donner au salarié la capacité d'être acteur de son parcours professionnel et d'activer ses droits tout au long de sa carrière à travers le CPA, voici un droit nouveau que nous instaurons, qui correspond à une réalité vécue. Nous savons bien en effet que notre pays n'est pas bon en matière de reconversion professionnelle ou de formation professionnelle, laquelle ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin. La convention de l'assurance chômage est un autre élément de sécurité pour les salariés. Une négociation est en cours : comme elle relève, par définition, des partenaires sociaux, je ne peux rien en dire, mais je reste vigilante. Les dispositions concernant le niveau d'indemnisation tout comme la durée d'indemnisation contribuent également à améliorer la sécurité.

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