Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 29 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Mesures structurelles et mesures conjoncturelles sont liées et participent à l'élaboration d'une flexisécurité à la française – je dis « à la française », car mon but n'est pas de copier des modèles étrangers. Le taux de syndicalisation n'est pas aussi important qu'ailleurs dans notre pays. Nous ne connaissons pas de syndicalisme de services. Faut-il pour autant se contenter d'un taux de confiance dans les syndicats de 18 % ? Je ne le crois pas. En ouvrant le champ de la négociation, nous renforcerons la légitimité des acteurs.

Monsieur Lurton, je vais vous dire en quoi nous aidons les TPE et les PME. Tout d'abord, j'insisterai sur les accords types de branche, qui sont négociés au niveau de la branche et applicables directement. Comme il existe 700 branches, je conçois fort bien qu'il soit difficile de se figurer leurs résultats. Je suis toutefois persuadée qu'ils seront essentiels pour les TPE et les PME.

Par ailleurs, le projet de loi permet d'élargir le champ de la négociation avec les salariés mandatés. Je sais la crainte que soulève chez certains ce salarié mandaté : ils ont peur d'une incompatibilité culturelle. Que les choses soient claires : ce n'est pas un militant syndical qui va débarquer dans une entreprise qu'il ne connaît pas ! Ce mandat est donné par une organisation syndicale à un salarié de l'entreprise. Le regard des organisations patronales sur le mandatement sera sans doute appelé à changer.

Autre mesure : nous donnons concrètement la possibilité de moduler le temps de travail non plus sur vingt-huit jours, mais sur neuf semaines. Cela correspond à un besoin exprimé sur le terrain.

Enfin, nous voulons permettre aux entreprises appartenant à des groupements d'employeurs de bénéficier d'aides auxquelles elles seraient éligibles si le nombre de leurs salariés était seul pris en compte. C'est le cas, par exemple, des aides à l'embauche destinées aux PME.

Madame Khirouni, s'agissant du temps partiel, je dois vous dire que le projet de loi ne revient absolument pas sur l'avancée introduite par la loi relative à la sécurisation de l'emploi qu'a été l'instauration d'une durée minimale hebdomadaire de travail de vingt-quatre heures. Il n'y a pas de changement : à défaut d'accord de branche étendu, c'est la règle des vingt-quatre heures qui s'applique. De la même manière, le projet de loi ne modifie pas la rémunération des heures complémentaires.

Vous évoquez les droits des femmes. Sachez que je suis, comme vous, déterminée à mener le combat pour l'égalité entre hommes et femmes. Demain, devant la délégation aux droits des femmes, je présenterai les modifications apportées à la première mouture du projet de loi qui touchent à cet aspect, notamment la meilleure prise en compte de la formation des femmes dans le compte personnel d'activité. Nous avons également pris en compte les observations qui ont été faites à propos des négociations annuelles et les recommandations formulées par certaines instances, tel le CSEP. Je me montrerai ouverte aux amendements proposés.

Mme Carrey-Conte m'interrogeait sur les durées maximales, mais, comme elle n'est plus là, je passe à la question suivante.

Monsieur Viala, vous me demandez de citer une avancée du projet de loi en faveur des salariés : le compte personnel d'activité, vous dirai-je. Le droit à la formation pour les moins qualifiés est un vrai progrès social. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de courriers que je reçois de la part de demandeurs d'emploi qui ne trouvent pas de financement pour leur formation ou qui trouvent la bonne personne mais pas le cadre de formation. Vous me demandez encore de citer une avancée pour les TPE : l'accord type de branche, salué par l'Union professionnelle artisanale (UPA), qui favorisera l'emploi.

Monsieur Gille, vous émettez l'idée d'intégrer le compte épargne-temps dans le compte personnel d'activité, idée très intéressante qui soulève de nombreuses questions en termes d'opérationnalité. Nous avons besoin de davantage de temps pour y travailler avec les partenaires sociaux. Pour éviter que, au 1er janvier 2017, le CPA ne soit une usine à gaz, nous avons préféré n'y faire figurer que les éléments en mesure d'être mis en oeuvre à cette date, comme le compte engagement citoyen, beaucoup plus simple à intégrer.

M. Delatte n'est plus là, lui non plus.

En matière de validation des acquis de l'expérience, monsieur Costes, il est clair que nous pouvons mieux faire. Depuis la mise en place du dispositif en 2002, 230 000 personnes ont été certifiées par la voie de la VAE. Depuis 2010, on enregistre une baisse du nombre de candidats s'étant présentés devant les jurys ainsi qu'une baisse du nombre des candidats ayant obtenu des certifications complètes. On constate un accès plutôt bon des publics de premier niveau, mais notre objectif est de renforcer par la loi l'accès au dispositif pour les moins qualifiés. Je me suis fondée sur le rapport qui m'a été remis par le Conseil national du numérique sur la validation des acquis de l'expérience.

La durée d'expérience en relation avec la certification visée passe certes de trois ans à un an, mais nous avons voulu élargir les conditions d'éligibilité. Les périodes de formation initiale ou continue en milieu professionnel sont prises en compte. Nous nous adaptons aux enjeux de mobilité professionnelle en reconnaissant les pistes de certification et nous rapprochons la VAE des salariés en introduisant une information à son sujet dans l'entretien professionnel. Enfin, nous supprimons les conditions d'ancienneté d'activité pour l'ouverture du droit au congé VAE en ce qui concerne les contrats à durée déterminée.

Monsieur Issindou, votre rapport sur la médecine du travail a été unanimement salué. Aujourd'hui, sur 20 millions d'embauches, seules 3 millions font l'objet d'une visite médicale préalable. Autrement dit, des personnes occupant des emplois à risques ne bénéficient pas de visite médicale. La conclusion qui s'impose est qu'il faut massivement recruter des médecins du travail, d'autant que la pénurie va aller croissant : d'ici à 2020, nous passerons de 5 000 à 2 500 médecins du travail. Le problème est qu'il n'y a pas assez de candidatures aux concours. Nous inspirant de vos recommandations, nous pensons qu'il importe de s'assurer que les personnes les plus exposées professionnellement bénéficient de la visite de médecins du travail et que les autres salariés reçoivent la visite d'infirmiers pour les former aux gestes de prévention. Vous le voyez, je m'attache à traiter les problèmes non pas en théorie, mais dans les faits.

S'agissant de l'éligibilité à la garantie jeunes, il y avait certes, en 2013, 900 000 jeunes relevant de la catégorie NEET, 750 000 selon le rapport de la Cour des comptes fondé sur les données Eurostat 2014. Toutefois, d'après les analyses de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), les dispositifs relatifs à la précarité concerneraient 300 000 jeunes. Comme le taux de recours n'atteindra sans doute pas 100 %, notre fourchette située entre 100 000 et 200 000 jeunes paraît pertinente. Toujours est-il que nous nous engageons à ce que tout jeune éligible à la garantie jeunes puisse en bénéficier.

Le droit de timbre que nous instituons dans le projet de loi ne fait que prolonger notre arsenal législatif, qui est l'un des plus stricts d'Europe grâce à la loi Savary et à la loi pour la croissance et à l'activité de l'été dernier. Le Conseil d'État, dans son avis, indique clairement que la mesure ne crée pas de « restriction à la libre prestation de services au sein de l'Union et ne présente pas de caractère discriminatoire », car son montant reste modeste et proportionné à l'objectif recherché. Cette contribution vise à couvrir le coût de la mise en place du traitement informatique des données relatives au détachement dans un contexte d'augmentation continue du recours à cette pratique.

J'en viens au principe selon lequel les règles du pays d'accueil s'appliquent aux intérimaires. Je suis d'accord avec vous, monsieur Savary. Dans le cadre de l'élaboration du paquet pour la mobilité des travailleurs dont a la charge la commissaire européenne à l'emploi, Mme Thyssen, la France avait formulé six demandes, notamment l'interdiction du travail intérimaire, du double détachement, de la pratique des entreprises boîtes aux lettres, qui ne se créent que pour détacher des travailleurs, la prise en compte d'une durée minimale contractuelle et la nécessité pour une entreprise ayant recours à des travailleurs détachés d'avoir une activité substantielle dans le pays. Les propositions présentées par Mme Thyssen devront s'appliquer aux intérimaires détachés. Même si je considère que le droit national le prévoit déjà, je conçois que certains députés souhaitent faire de ce projet de loi un instrument de lobbying auprès des institutions européennes. Je suis d'accord pour que nous intégrions dans ce texte l'interdiction des détachements en cascade de salariés intérimaires.

Concernant les travailleurs saisonniers, nous avons eu une approche pragmatique. Il s'est d'abord agi pour nous de définir le travail saisonnier. Les branches concernées devront engager des négociations sur les modalités de reconduction d'année en année pour donner plus de visibilité aux salariés. À défaut, une ordonnance fixera les règles supplétives. Nous donnons la priorité à l'accord de branche. J'entends, monsieur Perrut, madame Laclais, que vous appeliez de vos voeux des améliorations. Je suis tout à fait prête à ce que mes équipes travaillent avec vous autour d'amendements.

Nous avons également intégré une mesure sur les groupements d'employeurs et les aides à l'emploi. Lors de ma rencontre la semaine dernière avec la Fédération nationale des groupements d'employeurs agricoles et ruraux (FNGEAR), j'ai eu l'occasion de parler de ces questions, notamment des enjeux pour l'agriculture. Je suis également prête à travailler avec vous sur ce point.

La question de l'accompagnement des salariés dans l'appropriation du compte personnel d'activité est essentielle, monsieur Cordery. Et le projet de loi pourrait davantage affirmer cet impératif, si cela vous paraît souhaitable.

Je serai aussi très attentive à la question de la mobilité européenne des travailleurs. Il faut que nous sécurisions ces parcours, notamment dans le cas des retours d'expatriation. Là encore, nous pourrons travailler le texte en ce sens.

Venons-en aux travailleurs handicapés. L'article L. 4612-11 du code du travail prévoit déjà que le CHSCT est consulté sur les mesures mises en oeuvre en faveur des travailleurs handicapés. Par ailleurs, la loi sur le dialogue social fait de l'emploi des travailleurs handicapés l'un des objets de la consultation du comité d'entreprise sur les politiques sociales et prévoit l'appui d'un expert. C'est, en outre, un sujet de négociation obligatoire sur la qualité de vie au travail et sur l'égalité professionnelle. Je propose d'évaluer l'impact de la loi en ce domaine, comme nous le faisons en matière d'égalité professionnelle, avant de légiférer sur cette question.

Depuis 2012, nous avons accru de 20 % les moyens de la politique de l'emploi en faveur des travailleurs handicapés : augmentation des aides au poste, élargissement de l'accès aux contrats aidés, amélioration de la formation. J'ai moi-même tenu avec Ségolène Neuville une conférence sociale avec les partenaires sociaux qui m'a permis de constater qu'il serait bon de redynamiser le dialogue social sur la question du handicap.

Se pose une question en particulier : l'accès des travailleurs handicapés à la formation. Cela renvoie à deux problèmes : d'une part, l'autocensure, car les travailleurs handicapés ou leur famille estiment que certains métiers sont hors d'atteinte ; d'autre part, l'attitude des entreprises. À cet égard, l'organisation des Abilympics, olympiades des métiers pour les personnes handicapées auxquelles je me suis rendue la semaine dernière à Bordeaux, revêt une grande importance pour faire changer le regard non seulement des intéressés mais aussi des entreprises. En outre, nous devons trouver le moyen de donner la priorité aux personnes en situation de handicap par le biais du financement de la formation professionnelle. Nous savons que ces personnes sont parmi les moins qualifiées, et c'est pourquoi leur taux d'emploi est particulièrement bas.

Je suis prête à ce que mes équipes travaillent avec vous en ce sens. Nous pouvons améliorer les choses ensemble.

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