Intervention de Alexandre Saubot

Réunion du 30 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Alexandre Saubot, président du pôle social du Mouvement des entreprises de France, MEDEF :

L'évolution du droit social et du code du travail fait l'objet d'échanges réguliers avec le Gouvernement. Nous savions qu'un projet de loi El Khomri était en préparation, notamment pour transposer le rapport Combrexelle. Mais l'avant-projet de loi, avant sa parution dans la presse, n'a pas fait l'objet d'une concertation complète et détaillée sur l'ensemble de ses dispositions. Certains des éléments qui le composent – la déclinaison du rapport Combrexelle, l'évolution du droit du licenciement – ont toutefois donné lieu à des discussions récurrentes avec le Gouvernement. Comme tout le monde, nous avons découvert, avec la version finale du projet, les arbitrages par rapport à la première version dont l'ambition résidait non pas tant dans les mesures prises séparément que dans la cohérence de celles-ci.

Je ferai deux remarques préliminaires. D'abord, il faut être conscient de la gravité de la situation économique de notre pays. Depuis trois ou quatre ans, on observe une divergence assez nette entre la croissance économique française et celle de ses grands voisins européens. Ce constat vaut également pour l'évolution du taux de chômage. Face à l'urgence économique et sociale, le monde patronal – mes voisins ne me contrediront pas – considère que des mesures ambitieuses et courageuses sont nécessaires pour inverser la situation et proposer aux entreprises un cadre plus adapté à la prise de risques et à la création d'emplois.

Les chiffres sont éloquents. Depuis 2012, la croissance française est sensiblement inférieure à la croissance moyenne de la zone euro. Quant au nombre de chômeurs sur les quatre dernières années, tandis qu'il augmentait en France de 600 000, il a baissé en Allemagne de 400 000 et de 800 000 en Angleterre. Cette situation atypique justifie, à tout le moins, de prendre certaines mesures.

Seconde remarque visant à lever toute ambiguïté, la réforme du code du travail ne peut pas être l'alpha et l'oméga d'une politique de l'emploi. Elle n'est qu'une brique de l'édifice, à côté de la réforme de la compétitivité qui, avec le pacte de responsabilité et le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), vise à rapprocher la fiscalité française de la moyenne européenne, et du choc de simplification, dont les résultats sont malheureusement très limités sur le terrain. La construction normative et réglementaire, qui se poursuit, vient tous les jours compliquer la vie de nos entreprises, en particulier la « surtransposition » du droit européen que nous sommes les seuls à pratiquer. Certaines idées sont compréhensibles sur le plan philosophique mais nous sommes les seuls à vouloir les mettre en oeuvre. En instaurant de nouvelles obligations sans en mesurer les conséquences sur l'emploi et sur la capacité de nos entreprises à se développer, on maintient ces dernières dans un environnement difficile.

Je le redis, la première version du texte traitait de manière assez cohérente des situations classiques que peuvent rencontrer les entreprises et proposait, de façon assez simple, des règles en matière d'emploi et de licenciement, économique ou individuel. Nos grands voisins européens connaissent ces dispositifs dont les effets sont incontestablement positifs sur l'emploi et neutres en termes de précarisation ou d'aggravation de la situation du marché de l'emploi.

Le débat né de la première version nous a paru assez surréaliste : le plafonnement des dommages et intérêts aux prud'hommes, et un régime clair du licenciement économique existent en Allemagne et dans d'autres pays européens ; le périmètre national pour apprécier les difficultés économiques de l'entreprise a été retenu dans tous les pays européens. Nous sommes le seul pays dans lequel cette appréciation porte sur un autre périmètre. L'Europe est certes un grand marché, mais avec des cycles économiques différents et des règles fiscales et sociales variables d'un pays à l'autre. La santé d'une entreprise présente dans trois ou quatre pays d'Europe est très rarement liée à des arbitrages de localisation ou d'optimisation, mais, comme on l'a observé ces dernières années, à la situation économique plus ou moins favorable dans chacun des pays. En termes d'attractivité pour les investisseurs, les spécificités françaises sont dissuasives.

La première version apportait des réponses au besoin de conquête de nouveaux marchés, avec les accords de développement de l'emploi. Ces accords traduisent la capacité à trouver dans l'entreprise des solutions pour être plus réactif et plus compétitif. Ils sont actuellement réservés aux entreprises disposant d'une représentation syndicale. Or 4 % seulement des entreprises françaises sont dotées d'une telle représentation. Cela signifie que 96 % des entreprises ne peuvent pas profiter de ce dispositif. Les solutions proposées gagneraient beaucoup à être enrichies pour tenir compte de cette réalité et de l'incapacité structurelle des syndicats à offrir une réponse à ces situations. Il ne faut y voir aucune tentative de contourner qui que ce soit. La grande majorité des entreprises françaises travaille très bien avec leurs représentants syndicaux, mais elles sont peu nombreuses à disposer d'interlocuteurs pour le faire.

Le retrait des dispositions relatives au plafonnement de l'indemnité prononcée par le conseil de prud'hommes fait également partie de nos regrets. Dans la première version, un salarié ayant vingt ans d'ancienneté était susceptible de partir avec vingt-cinq mois de salaire si le licenciement était reconnu comme dépourvu de cause réelle et sérieuse. On peut considérer que ce n'est pas assez. Cependant, je ne connais aucun chef d'entreprise qui regarde ce montant avec détachement et qui le considère comme une incitation à licencier ou un blanc-seing pour faire ce qu'il veut, bien au contraire. Je ne connais aucun chef d'entreprise qui embauche en pensant à licencier. En revanche, nous le savons tous, le recrutement est une matière difficile : il arrive que le salarié se trompe d'entreprise ou que l'employeur se trompe dans le choix de son collaborateur. Lorsque cette incompatibilité est constatée, avoir de la visibilité évite à l'entreprise d'entrer dans une période d'aléa économique qui peut aboutir, en particulier pour les plus petites entreprises, à des situations compliquées. Les exemples sont nombreux d'entreprises mises en difficulté par des décisions du conseil des prud'hommes. A contrario, certaines décisions des conseils de prud'hommes sont peu généreuses. L'absence de barème crée une inégalité dans les conditions de départ, assez étonnante, qui doit nous faire réfléchir sur le fonctionnement de notre justice.

Autre pilier du projet de loi, la clarification des motifs de licenciement économique. La France a fait le choix, que certains regrettent, de s'inscrire dans une Europe ouverte et de jouer le jeu de la mondialisation. Dans ce monde ouvert, la croissance de l'activité n'est plus assurée, comme lors des Trente Glorieuses, pendant de nombreuses années. Dans les bonnes périodes, le chef d'entreprise doit penser sa capacité à réagir lorsque l'activité économique se contracte ou lorsque les commandes se tarissent. Dans ces circonstances, l'incertitude juridique et calendaire est un frein au développement des affaires ainsi qu'au recrutement.

La version initiale du projet de loi présentait une opportunité de réduire la dualité actuelle du marché du travail en offrant la perspective aux personnes qui sont au chômage ou dans des contrats précaires d'accéder plus facilement au Graal que peut être le CDI.

À notre grand dam, la faculté pour les PME de se saisir de certains outils – mesure unilatérale, temps de travail des apprentis, et autres – a également été supprimée.

La seconde version a fortement réduit l'ambition de rapprocher le droit social français des standards européens que portait la première version. Tout nouveau recul, à travers l'examen de ce texte, serait perçu comme une grave erreur et une occasion manquée de donner une chance à notre pays d'entrer de plain-pied dans un environnement concurrentiel. Les entrepreneurs français aspirent seulement à bénéficier des mêmes règles que nos voisins et à travailler dans un monde ouvert, avec ni plus ni moins de boulets attachés aux pieds que leurs concurrents.

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