Intervention de Pierre Burban

Réunion du 30 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale, UPA :

La première version du projet de loi comportait un certain nombre de dispositions qui concernaient directement les TPE et les PME. L'UPA regrette vivement qu'elles aient été retirées dans le projet de loi qui a été déposé.

Nous sommes particulièrement critiques sur la philosophie du texte. Nous sommes d'accord pour assouplir et simplifier un code du travail très complexe et sédimenté. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup travaillé dans le cadre de la mission Badinter et de la mission Combrexelle. Mais, dans le texte tel qu'il vous est présenté, la mise en oeuvre des quelques dispositions qui demeurent apportant des assouplissements dans l'entreprise est conditionnée à la signature d'un accord d'entreprise.

Je conteste l'idée, ancienne et qui dépasse les clivages politiques, selon laquelle on peut régler tous les problèmes sans s'attaquer au coeur du sujet qu'est le code du travail, et contourner certaines dispositions par des accords d'entreprise. Je préfère vous le dire tout de suite, cela ne marchera pas.

Pourquoi ? Ce n'est pas moi qui le dis mais la Commission nationale de la négociation collective. La France compte, hors agriculture, 1 160 000 entreprises dont 98 % sont des entreprises de moins de cinquante salariés ; ces dernières emploient 53 % des salariés français. Les grands groupes de plus de 500 salariés ne représentent que 10 % du salariat. On semble parfois croire que la France n'est composée que de grands groupes, mais ce n'est pas la réalité. Chaque année, 40 000 accords d'entreprise sont signés – cela ne signifie pas 40 000 entreprises signataires puisqu'une même entreprise peut signer plusieurs accords. Admettons cependant que 40 000 entreprises négocient de tels accords, il n'en reste pas moins que 1 120 000 entreprises ne le font jamais et le chiffre est certainement plus élevé.

La solution du mandatement est une illusion. Les entreprises de moins de cinquante salariés n'ont pas envie d'y recourir et ne sont pas outillées pour le faire. Les accords demandent à être négociés par des spécialistes dont la quasi-totalité de ces entreprises sont dépourvues.

Nous ne sommes pas favorables au verrouillage des accords d'entreprise, tout en reconnaissant l'existence de besoins spécifiques selon la taille de l'entreprise. L'UPA n'a jamais milité pour le renversement de la hiérarchie des normes. Nous considérons que l'ordre public social doit continuer à relever de la loi. En revanche, certaines dispositions devraient relever de la branche, voire de l'entreprise. Pour les règles sur le temps d'habillage et de déshabillage, par exemple, la branche semble le niveau approprié. La branche doit définir ce que j'appelle l'ordre public de branche, c'est-à-dire déterminer les dispositions auxquelles il est possible ou pas de déroger. Autour de la table d'une branche, les acteurs sont responsables. Ce système pouvait apporter une respiration aux entreprises.

Le déverrouillage total – lorsque tous les sujets sont renvoyés à l'accord d'entreprise qui peut déroger à l'accord de branche – risque de poser des problèmes dans certains secteurs d'activité, en particulier le bâtiment. Dans ce secteur, les problématiques ne sont pas les mêmes pour l'artisanat, qui réalise 50 % de l'activité, et pour les « majors », qui représentent 30 % de celle-ci. Dans certains cas, il est nécessaire de fixer des règles de solidarité entre toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Nous restons attachés à ce principe.

Je caricature volontairement un peu. D'après un sondage que nous avons réalisé localement, les TPE et les PME considèrent que le texte ne les concerne pas. Non seulement le projet de loi n'est pas fait pour ces entreprises, mais l'article 19, dont il n'a pas été fait état devant la ministre lors de son audition hier, me semble-t-il, vise à revoir la représentativité patronale telle qu'elle a été modifiée par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale.

J'en profite pour répondre à votre question, madame la présidente. Le ministère du travail est traditionnellement un ministère qui discute avec les partenaires sociaux – c'est toujours vrai. Toutefois, la rédaction de ce projet de loi n'a pas donné lieu à une concertation spécifique. Tous les points qu'elle aborde ont été discutés de manière informelle. L'avant-projet nous a été présenté – et non remis – quelques jours avant sa publication dans Le Parisien.

L'article 19 revient sur la représentativité patronale alors que de nouvelles règles ont été fixées, voici quelques mois seulement, par la loi précitée, qui, elle, avait fait l'objet d'une concertation approfondie. Les organisations patronales n'avaient pas réussi à s'entendre sur un élément de pondération, mais elles avaient retenu le critère du nombre d'entreprises adhérentes pour mesurer la représentativité. Considérant que nous n'étions pas allés assez loin, le Gouvernement avait confié à Jean-Denis Combrexelle une mission. Les propositions législatives de son rapport sur la réforme de la représentativité patronale, qui était le fruit d'une large concertation, ont été reprises dans la loi.

Depuis 2015, le MEDEF ainsi que certaines fédérations représentant des grands groupes contestent les règles qui ont été arrêtées. Le décret d'application de la loi de 2014 a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État, fondé sur l'inégalité de traitement, qui a donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 3 février 2016, que les dispositions concernant la représentativité étaient conformes à la Constitution. À l'époque, le Premier ministre défendait la réforme au motif que de nombreuses organisations représentant des TPE et des PME risquaient d'être écartées.

Les dispositions de l'article 19 ne feront pas disparaître l'UPA mais elles en limiteront assurément le poids. Plus grave, elles priveront de représentativité de très nombreuses fédérations dans toutes les branches professionnelles qui représentent les TPE et PME. L'histoire des organisations patronales depuis 1945 est ainsi faite que certaines fédérations représentent plutôt des grands groupes, et d'autres plutôt des petites ou moyennes entreprises, quelques organisations de branche représentant tout le monde.

On ne peut pas, d'un côté, vouloir redynamiser la négociation sociale et, de l'autre, faire en sorte que les TPE-PME ne puissent plus avoir voix au chapitre dans les négociations au niveau des branches. Le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, souligne que ces dispositions n'ont fait l'objet d'aucune évaluation.

Le MEDEF et la CGPME ont signé un accord, que j'appelle occulte, car nous n'avons jamais pu en prendre connaissance. Pour justifier l'article 19, le Gouvernement prétend intégrer cet accord dans la loi. La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi prévoyait une concertation, qui devait prendre fin au plus tard le 15 novembre sur les évolutions possibles des règles de répartition des crédits et de gouvernance du fonds paritaire. La concertation a lieu le 16 novembre. Le président Crouzet n'a jamais dit que l'UPA ne voulait pas discuter.

Il nous semble que ce serait une erreur de changer le critère du nombre d'entreprises adhérentes servant à définir qui est autour de la table dans les négociations de branche ou interprofessionnelles. Puisque problème d'argent ou de répartition de sièges il y a, semble-t-il, l'UPA est tout à fait ouverte à la discussion sur ces sujets. Nous sommes prêts à examiner, par exemple, l'idée d'une répartition des crédits qui ne repose pas sur le nombre d'entreprises.

Il serait très grave que certaines fédérations ne soient plus représentatives et qu'elles ne s'assoient plus autour de la table de négociation. Cela posera un problème évident à de nombreuses branches professionnelles.

S'agissant des dispositions sur la modulation du temps de travail, nous notons qu'elles portent aujourd'hui sur neuf semaines, contre seize dans la première version.

Nous nous interrogeons aussi sur la réforme concernant la médecine du travail. La suppression de la visite d'aptitude ne nous semble pas une bonne chose, notamment pour les plus petites entreprises. Le code du travail impose au chef d'entreprise une obligation, non de moyens, mais de résultat. Or les artisans et les commerçants ne sont pas des médecins. Le fait qu'il n'y ait plus de visite d'aptitude va poser problème. Je pense même que cette suppression porte en germe la fin de la médecine du travail, qui trouvait son fondement précisément dans cette visite d'aptitude.

Certes, on a beaucoup fait pour améliorer la prévention, en s'inspirant notamment de ce qui existe dans les autres pays de l'Union européenne. Reste que je ne sais pas comment je vais expliquer aux artisans et aux commerçants qu'il leur faut cotiser sans pouvoir leur dire pourquoi.

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