Intervention de Jean-Michel Pottier

Réunion du 30 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Jean-Michel Pottier, vice-président de la CGPME, chargé des affaires sociales et de la formation :

On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu concertation : une concertation bilatérale a été organisée en décembre et en janvier. En revanche, la CGPME n'a eu connaissance du texte que le 18 février, une semaine après tout le monde et après que le rendez-vous a été reporté deux fois, c'est-à-dire le jour où la première version a été transmise au Conseil d'État, ce qui en dit long sur la prise en considération de l'appréciation de notre organisation. Autant dire que les carottes étaient déjà cuites…

Notre grande revendication, à la CGPME, est qu'un jour, le code du travail tienne compte de la réalité des TPE-PME, qu'il les distingue des grandes entreprises. Comme je le dis souvent, une petite entreprise n'est pas un modèle réduit de la grande. Nous avons eu un petit espoir puisqu'une fenêtre s'était ouverte dans la première version. Sans correspondre tout à fait aux propositions que nous avions faites, elle proposait trois ou quatre points intéressants.

Il y avait d'abord une disposition emblématique, que la loi Macron a failli nous accorder, mais qui a ensuite disparu : le plafonnement des dommages et intérêts, suite à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à un licenciement abusif, sachant que des licenciements sont classés dans la première catégorie pour de simples problèmes de forme. Nombreux sont les chefs de TPE-PME qui, par maladresse ou méconnaissance, se voient reprocher un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Et cela arrive – cela m'est arrivé – même lorsque l'employeur apporte la preuve de méfaits commis par le salarié, car le juge a un pouvoir d'appréciation. Il faudrait canaliser les choses, car ce pouvoir d'appréciation peut conduire à des situations catastrophiques pour l'emploi et pour l'entreprise. Quinze mois correspondant à vingt ans d'ancienneté, plus les indemnités légales conventionnelles, soit vingt-quatre à trente mois de salaire à la sortie, c'est, pour une TPE, purement et simplement mortel.

Autre point important pour nous, le licenciement économique après quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d'affaires. Quand une TPE ou une PME subit une baisse de son chiffre d'affaires pendant quatre trimestres consécutifs, le licenciement se fait, en général, à la barre du tribunal de commerce. Il est trop tard ! Cela n'est peut-être pas vrai dans tous les cas, pour autant, c'est une réalité. Quand les employeurs, dans les TPE-PME, embauchent quelqu'un, c'est pour le garder. En cas de difficultés, ils font tout pour essayer de conserver leur personnel. Les TPE-PME ont-elles massivement licencié pendant la période de crise que nous vivons depuis 2008 ? Non. Le chef de TPE-PME n'utilise pas le licenciement comme un outil de régulation, simplement parce qu'il travaille au milieu de ses salariés. Leurs conditions de travail sont aussi les siennes ; il pousse le même caddie qu'eux au supermarché, pour faire ses courses. La qualité des relations humaines qu'il entretient avec ses salariés fait qu'en cas de problème, il ne pense pas au licenciement comme première mesure à prendre.

Il y avait deux dispositions intéressantes à conserver, qui ne relevaient pas, contrairement à ce qui a pu être dit, de la décision unilatérale de l'employeur : le forfait-jours, accessible dans les entreprises de moins de cinquante salariés, et la modulation du temps de travail. Il ne s'agissait que de la possibilité de proposer une modulation au salarié, celle-ci ne pouvant entrer dans les faits qu'après obtention de l'accord individuel du salarié. Là encore, on n'oblige personne ; on travaille ensemble, on discute, et on peut, de temps en temps, se mettre d'accord dans le cadre d'un intérêt partagé. Nombreux sont les salariés au forfait-jours qui veulent y rester ; tout aussi nombreux sont ceux qui voudraient bien y être parce que le système les intéresse. S'ils ont, par exemple, trois clients à voir sur différents chantiers, ils peuvent, s'ils le veulent, les voir dans la journée et rentrer chez eux. Le travail est terminé. Un forfait-jours, c'est beaucoup plus pratique, et de nombreux salariés le considèrent comme tel.

Au titre des mesures susceptibles d'améliorer le dialogue social, nous n'avons pas obtenu ce que nous réclamons depuis toujours : la possibilité d'avoir un dialogue social direct, mais encadré, au sein de l'entreprise. Les accords, dans les entreprises ne disposant pas de représentants syndicaux, seraient conclus avec les représentants élus du personnel. Ils seraient validés par un référendum dans l'entreprise et soumis à un contrôle de légalité par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), pour vérifier que personne n'a été abusé dans l'opération.

Outre ces garanties, déjà importantes, pour les deux parties, nous avons réfléchi à une garantie supplémentaire pour le salarié, qui serait, nous dit-on, moins capable dans une TPE-PME – je ne sais pas pourquoi – de résister à l'insatiable cruauté de son employeur. Nous proposons donc que ces salariés puissent accéder à une session de formation leur permettant d'avoir le même niveau de connaissance – bon nombre d'employeurs de TPE-PME pourraient, d'ailleurs, participer à cette session, dans la mesure où ils n'ont pas non plus forcément tous les éléments en leur possession.

Finalement, nous sommes devant une deuxième version assez désastreuse, qui fait naître, chez les chefs de TPE-PME, un sentiment d'exaspération que j'ai pu mesurer dans les territoires, ces dernières semaines. Une fenêtre s'était ouverte sur la prise en compte de la réalité de nos entreprises, mais elle s'est subitement refermée. Alors qu'on est en train d'élaborer un plan pour former 500 000 personnes supplémentaires, dans le même temps, on envoie à ceux dont on attend qu'ils créent de l'emploi un message qui les exaspère. C'est regrettable.

En fin de compte, que va-t-il rester dans le projet de loi ? Des charges supplémentaires financières et administratives liées à l'ouverture du CPA et aux nouveaux droits associés, charges dont on ne mesure pas les conséquences, en particulier au regard de la mise en oeuvre complète du compte personnel de prévention de la pénibilité. Ce compte, c'est une arme de dissuasion massive pour les chefs de TPE-PME en matière d'emploi, un casse-tête épouvantable.

Reste, en outre, le problème de la distorsion de concurrence. Parce qu'elles ont des contreparties à donner dans la négociation et la possibilité de passer des accords d'entreprise, les grandes entreprises pourront négocier un coût du travail minoré par rapport aux petites et moyennes entreprises qui, elles, resteront au même point. Tout cela laisse un sentiment amer.

Il n'est pas trop tard pour améliorer les choses, reprendre certaines dispositions de la première version, voire les compléter par des propositions. La CGPME en fait tous les jours. Franchement, il est grand temps, dans ce pays, de prendre en compte la réalité que vivent les TPE-PME.

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