Intervention de Alexandre Saubot

Réunion du 30 mars 2016 à 16h00
Commission des affaires sociales

Alexandre Saubot, président du pôle social du Mouvement des entreprises de France, MEDEF :

Merci de ces nombreuses questions, auxquelles je vais essayer de répondre de façon synthétique.

En ce qui concerne, tout d'abord, les prud'hommes et le fameux barème, on ne peut pas nier la forte dualité de notre marché du travail : 80 % du stock de contrats composé des CDI, mais 80 % des embauches en CDD. C'est là l'un des effets de notre code du travail, même s'il n'est, bien sûr, pas la seule cause de ce phénomène ; dire le contraire, refuser de reconnaître là la peur du recrutement en CDI, c'est méconnaître les chiffres.

Il faut souligner, en outre, que ce barème intervient à la quatrième étape d'un licenciement : lorsqu'une entreprise est obligée – et c'est toujours dans des circonstances malheureuses, voire dramatiques – de se séparer d'un salarié, elle lui verse des indemnités légales, et le plus souvent aussi des indemnités conventionnelles. S'il y a discussion, transaction, début de négociation, alors l'entreprise lui verse souvent des indemnités supplémentaires. Ce n'est que si, une fois déterminées ces indemnités, le salarié allait devant les prud'hommes et que ceux-ci jugeaient le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, que le barème proposé par le projet de loi s'appliquerait. Il n'y a donc là aucune précarisation, aucune fragilisation ; il s'agit de clarifier et d'encadrer, afin que les uns et les autres puissent prévoir ce qui peut arriver en cas de recours devant le juge prud'homal. Dans de nombreux domaines, les dommages et intérêts sont encadrés, sans que cela pose de difficulté majeure ; des dispositifs de ce type existent dans de nombreux pays. Il y a eu beaucoup de désinformation sur ce sujet. Je redis donc qu'il s'agit seulement de clarifier et d'encadrer.

Aujourd'hui, cela a été dit, 80 % des annulations de licenciements par les prud'hommes se fondent sur des motifs de forme, c'est-à-dire des motifs complètement indépendants de ce qui s'est réellement passé dans l'entreprise. Nos propositions visent à faire prévaloir le fond sur la forme dans les décisions des prud'hommes : elles permettraient d'atténuer la peur de l'embauche et le sentiment d'injustice souvent éprouvé aujourd'hui.

La question de la nature des causes réelles et sérieuses a également été évoquée. Souvent, je viens de le dire, le juge s'arrête aux questions de forme ; mais il faut aussi souligner que le droit français confie au juge un pouvoir d'appréciation très large. Dans les faits, les prud'hommes essayent de réparer ce qu'ils perçoivent comme des injustices : la séparation étant le plus souvent à l'initiative de l'employeur, ils essaient de réparer le dommage. Les critères de licenciement individuels sont larges, et devraient la plupart du temps permettre au juge de constater la réalité du motif invoqué ; mais, souvent, celle-ci n'est pas reconnue, et la lecture de la loi qui a cours aujourd'hui conduit fréquemment à la condamnation de l'employeur.

Le barème était un vrai outil qui permettait d'aller au-delà de ces questions de forme et de clarification du droit, qui sont juridiquement très complexes : les réponses des experts et des avocats spécialisés aux questions qui leur sont posées sont très variées. La limitation des dommages et intérêts à des niveaux raisonnables et surtout clairs permettait de redonner de la visibilité. Le premier effet de ce dispositif aurait été de vider les tribunaux prud'homaux, puisqu'au moment de la discussion, le gain financier espéré de cette activité contentieuse aurait été mieux estimé. La probabilité de trouver un accord aurait augmenté ; l'on aurait infiniment moins sollicité les prud'hommes pour obtenir un supplément par nature extrêmement aléatoire, parfois très bon et parfois très mauvais.

Beaucoup de questions portaient également sur le licenciement économique et les critères qui permettent de l'apprécier. Le projet de loi, je le redis, ne fait que clarifier ou mettre noir sur blanc la jurisprudence actuelle.

Cela a été dit : quatre trimestres de baisse d'activité, dans la vie de beaucoup d'entreprises, surtout des petites, c'est beaucoup trop. En inscrivant dans la loi, pour des entreprises plus petites ou pour certaines catégories d'entreprises, des durées plus courtes, on se rapprocherait de la réalité économique et du fonctionnement des entreprises. Cela permettrait aux entreprises de réagir avant d'être en péril, comme elles le font dans leur activité économique.

En revanche, monsieur le rapporteur, nous sommes très réservés, voire franchement hostiles, à l'ajout de nouveaux critères – quantification, par exemple, de la baisse du chiffre d'affaires. On apporterait une rigidité qui n'existe pas aujourd'hui, et on réduirait encore la capacité des entreprises à démontrer une difficulté économique ! Mieux vaudrait retirer tous les critères du texte et en rester au droit actuel, quelque imparfait qu'il soit.

La médecine du travail a été évoquée à de nombreuses reprises. Le projet de loi prévoit, non pas de supprimer la visite d'aptitude, mais de la réserver aux situations où elle a une valeur de protection du salarié et de la responsabilité de l'employeur. Nous sommes favorables à cette mesure : il paraît raisonnable de considérer qu'un employé de bureau, assis toute la journée devant un ordinateur, ne rencontre pas les mêmes problèmes qu'un ouvrier travaillant en usine ou sur des chantiers, dont la condition physique et la capacité à faire le boulot sont essentielles. L'employeur a une responsabilité pour la période où ce salarié aura travaillé : nous sommes, dès lors, attachés à l'idée de disposer d'un point de référence au moment où débute la carrière dans l'entreprise. La mesure inscrite dans le projet de loi répond surtout à la pénurie actuelle de médecins du travail, à laquelle personne n'a apporté de réponse satisfaisante.

S'agissant de la responsabilité, nous sommes porteurs d'amendements en ce domaine : un chef d'entreprise qui a fait toute diligence pour organiser la visite ne doit pas se voir reprocher un retard ! Mme la présidente disait elle-même qu'elle avait connu un cas où une date de visite médicale d'aptitude avait été proposée trois mois après la fin du CDD. Nous sommes prêts à assumer toutes nos responsabilités, mais les obligations qui pèsent sur l'employeur doivent être raisonnables : un peu de clarification s'impose.

La question de la capacité des TPE et PME à se saisir des accords est revenue régulièrement ; elle est liée à celle du mandatement. Il faut le redire, le mandatement existe depuis une bonne quinzaine d'années, et il ne marche pas. Il n'a fonctionné que lorsque les 35 heures ont rendu obligatoire de négocier, dans chaque entreprise, un accord destiné à limiter les conséquences dramatiques de ce choc considérable qui s'est abattu sur l'économie française.

Nous ne parlons pas ici d'accords obligatoires partout, mais d'occasions données de faire des choses de façon plus intelligente et plus souple. J'ai entendu parler de moins-disant, de réduction des droits. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Ces accords doivent permettre aux entreprises non pas de faire la même chose en moins bien, mais de faire des choses qu'elles ne feraient pas si elles ne pouvaient pas s'adapter. Quel chef d'entreprise va proposer à ses salariés un accord prévoyant une majoration de la rémunération des heures supplémentaires de 10 % au lieu de 25 % si ce n'est pas pour explorer un nouveau marché, pour saisir une opportunité ? C'est dans ce type de circonstances qu'un accord pourra être obtenu. Imaginez une entreprise qui a une nouvelle affaire en Pologne, une opportunité aux États-Unis, mais qui fait face à une forte concurrence : les règles habituelles ne permettront pas de prendre ce business ; il faut alors donner de la souplesse pour aller chercher cette nouvelle activité. Les heures supplémentaires rémunérées à 10 % de plus, il ne faut pas les comparer à des heures supplémentaires rémunérées à 25 % de plus, mais à pas d'heures supplémentaires du tout, voire à pas de boulot du tout ! C'est ainsi que, dans la majorité des cas, se poseront les questions, puisque ces outils seront accessibles par accord au sein de l'entreprise.

Le mandatement ne fonctionnant pas, nous avons fait des propositions sur le dialogue social dans l'entreprise. À notre sens, syndicats ou pas, tous les systèmes qui fonctionnent – la comparaison avec nos voisins le montre – reposent sur la légitimité de l'interlocuteur du chef d'entreprise. Or la vraie légitimité passe par l'élection.

Il ne s'agit nullement pour nous d'engager quelque contournement des syndicats que ce soit, car il y a de la compétence chez eux, et nous avons besoin, sur des sujets complexes, d'interlocuteurs formés et compétents. Mais nous avons d'abord besoin d'interlocuteurs légitimes : quelle que soit la structure retenue, le chef d'entreprise doit discuter avec des salariés élus – syndiqués ou pas, peu importe, car ces élus pourront aller chercher du conseil et du soutien auprès des syndicats à chaque fois que c'est nécessaire.

Dans les plus petites entreprises, il n'y a pas d'élus : notre proposition – dont nous sommes prêts à discuter – est que les salariés désignent en leur sein un interlocuteur pour la négociation. C'est la meilleure solution ; on peut ensuite, comme l'a dit Jean-Michel Pottier, imaginer qu'un référendum ratifie l'accord.

De nombreux petits assouplissements, concernant par exemple les astreintes et les temps de repos, ont disparu du texte, comme l'a remarqué M. Cherpion. Pourtant, autoriser la modification de ces règles par un accord de branche ou d'entreprise permettrait aux entreprises de s'adapter à un monde qui change et où le temps de travail ne se calcule plus comme avant. Il s'agit, en fait, de ne pas obliger ces entreprises à vivre dans l'illégalité – illégalité subie, contrainte, et d'ailleurs parfaitement acceptée par les salariés concernés, dans des banques ou des assurances par exemple. S'il y a une surcharge ponctuelle dans un service, les salariés concernés ne pourront pas respecter les règles légales, tout le monde le sait : en accord avec eux, un dispositif est mis en place, et les salariés reçoivent une rémunération complémentaire, une prime, un soutien. Ces situations sont bien identifiées ; elles sont techniquement illégales, mais acceptées des salariés. Ensuite, l'inspection du travail passe derrière et aligne les gens : dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut pas travailler dans le parfait respect des règles.

Il s'agit donc uniquement de permettre à un corps collectif – branche ou entreprise – de fractionner le temps de repos, et non de le réduire, ou bien de gérer autrement les astreintes. Ce sont de petites choses, mais qui pourraient apporter beaucoup à la qualité de la vie dans l'entreprise et au dialogue social. Ces mesures allaient dans le bon sens, et nous nous réjouirions qu'elles soient réintégrées dans le texte.

Il a aussi beaucoup été question du C3P. Je le redis avec une certaine solennité : avant la loi de 2014, les critères de pénibilité s'attachaient au poste de travail ; dans le dispositif de 2014, ces critères s'appliquent à la personne, qui se voit octroyer des droits.

Il y a dès lors deux problèmes : celui de la polyvalence, puisqu'il n'y a pas une seule entreprise – et c'est encore plus vrai des plus petites – qui sache dire ce que fait exactement tel employé à tel moment de la journée ; celui des droits créés, qui engendrent un appétit du salarié pour occuper le poste réputé pénible. Le lien entre l'appréciation théorique de la pénibilité d'une tâche et les conditions de travail ressenties par le salarié est en effet, notamment dans l'industrie mais pas seulement, tout à fait ténu : il y a donc des gens qui veulent occuper ou continuer d'occuper des postes pénibles, parce qu'ils y gagnent des points. Un tel dispositif décourage de surcroît la prévention.

Le monde patronal présent ici sera unanime, je crois, pour dire qu'il faut réfléchir à la pénibilité et à sa prévention, ne serait-ce qu'en raison de l'allongement de la durée de vie au travail. Mais le dispositif retenu fait courir un risque considérable à l'attractivité de notre pays et au fonctionnement de nos entreprises.

D'autres questions portaient sur l'ambition de la loi ou sur son manque d'ambition. À l'évidence, ce projet contient des dispositions intéressantes, même si elles concernent finalement peu d'entreprises ; d'autres nous inquiètent plus ou nous paraissent difficilement applicables. Dans mon introduction, j'ai voulu me demander si cette loi était à la hauteur de l'enjeu : 5,5 millions de chômeurs, un pays qui décroche par rapport à ses grands voisins. Sommes-nous capables d'apporter à cette situation des réponses équivalentes à celles qui l'ont été en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni ? Sommes-nous prêts à utiliser des outils qui ont fait leurs preuves chez nos voisins pour endiguer enfin le fléau du chômage ? Voilà les questions que nous devons nous poser.

S'agissant du CICE, je rappelle qu'il concerne tout le monde. Je rappelle également que la baisse des charges de 2014 à 2017 ne permet que de revenir à la situation de la fin de 2010 : à 40 milliards d'augmentation des charges ont répondu 40 milliards d'allégements. Et l'on ne peut pas dire que notre situation économique était florissante en 2010.

Néanmoins, le CICE constitue à l'évidence un pas dans la bonne direction, reconnu et salué comme tel par l'ensemble des organisations patronales à de nombreuses reprises. Ce que nous demandons, que ce soit en matière fiscale ou plus largement juridique, c'est de pouvoir travailler dans un environnement équivalent à celui de nos concurrents allemands, anglais, italiens ou espagnols. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

S'agissant de l'apprentissage, nous soutenons pleinement l'idée de bon sens que si un apprenti mineur pouvait avoir le même temps de travail que son tuteur, on faciliterait considérablement le fonctionnement de ce dispositif. Il ne s'agit pas d'exploiter qui que ce soit, mais d'emmener un apprenti sur un chantier, par exemple : si tuteur et apprenti travaillent aux mêmes horaires, le binôme fonctionnera mieux. Nous ne demandons rien d'autre dans le cadre de ce projet de loi. Nous avons, par ailleurs, d'autres propositions pour une réforme en profondeur de l'apprentissage, mais cela dépasse le cadre fixé ici.

S'agissant enfin de la garantie jeunes, c'est un dispositif récent et dont l'efficacité a été très peu évaluée. Si je puis émettre un avis éclairé, il me semble que le seul critère de performance de ces outils devrait être celui du retour à l'emploi ; mais je n'ai pas l'impression que le recul soit suffisant aujourd'hui pour apprécier la pertinence de cette mesure.

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