Intervention de Damien Abad

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad, président de la mission d'information :

J'ai eu l'honneur de présider cette mission d'information, avec, à mes côtés, Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit, sur un sujet d'actualité marqué par une crise profonde de l'élevage en France mais aussi en Europe.

Nous nous sommes rendus en Allemagne et en Espagne, afin de faire une étude comparative et ainsi d'essayer de comprendre les forces et les faiblesses du modèle français.

Pour ma part, je vous présenterai quelques observations et constats, laissant à Mme Annick Le Loch et M. Thierry Benoit le soin de vous soumettre les propositions que nous avons faites pour agir aux niveaux européen, national et local.

Notre commission a décidé la création d'une mission d'information sur l'avenir de l'ensemble des filières d'élevage – bovin viande, bovin lait, porc, volaille, ovins – car le désarroi de nos éleveurs est profond et le ratio entre la valeur de leur exploitation, leur niveau d'endettement et la faiblesse des revenus qu'ils tirent de leur travail est préoccupant.

Quelques chiffres montrent l'ampleur de la crise. En 2014, le revenu courant avant impôt par actif non salarié était réparti de la façon suivante : 24 700 euros pour les éleveurs de bovins lait, 18 300 euros pour les éleveurs de bovins viande, 24 000 euros pour les éleveurs de volaille, 18 400 euros pour les éleveurs d'ovins et caprins, enfin à peine 12 000 euros pour les éleveurs de porcs, soit une baisse de 60 % par rapport à 2013.

Les chiffres de 2015 ne sont pas encore connus, mais on sait que ces revenus ont encore reculé par rapport à 2014. Les prix de vente des productions étant inférieurs aux coûts de production, ils ne permettent pas aux éleveurs endettés – et ils sont nombreux dans ce cas – de vivre décemment du fruit d'un travail par ailleurs de moins en moins attractif pour les jeunes agriculteurs.

Face à ce constat, nous avons tenté de dégager les forces et les faiblesses spécifiques à chaque filière, ainsi que les difficultés qui leur sont, pour une grande part, communes et qui vont bien au-delà de l'échelle de l'exploitation.

Les produits issus de l'élevage sont, comme tous les produits agricoles, transformés par des industriels et commercialisés par des grandes et moyennes surfaces, avec lesquels il faut négocier. Mais ces produits ne sont pas des produits comme les autres, ils sont soumis à une très forte volatilité de leurs coûts de production – par exemple la part de l'alimentation dans le coût de production du porc représente 60 % – et à une même variabilité des prix des productions qui subissent les fluctuations de l'offre et de la demande mondiale.

Ce constat est partagé par les autres pays européens qui sont devenus aujourd'hui, au gré de la modernisation des exploitations et de leur dynamisme entrepreneurial, nos principaux concurrents. C'est pour cela que la mission s'est déplacée en Allemagne et en Espagne où l'on a constaté que si certaines de nos difficultés sont communes, elles le sont certainement dans une moindre mesure qu'en France.

D'une manière générale, les élevages sont spécialisés et fortement exportateurs. Les éleveurs espagnols de porcs sont fortement intégrés à l'industrie de l'abattage qui contrôle l'ensemble du processus de production. Dans les deux pays, le mot d'ordre est la compétitivité par les économies d'échelle et la contraction des coûts de production, avec une acuité particulièrement forte en Allemagne sur la question du bien-être animal. La filière porcine française est aujourd'hui en déclin et nous avons cherché à en comprendre les causes.

Notre filière viande bovine est la première filière européenne en quantité. Elle se caractérise par des échanges commerciaux importants, notamment en ce qui concerne les bovins vivants. La France dispose d'un cheptel allaitant très important qui donne une viande de qualité très prisée des Français. Mais le prix de ces viandes est aujourd'hui tiré vers le bas du fait de plusieurs facteurs : l'alignement du prix des viandes des races allaitantes sur le prix des vaches laitières de réforme, l'insuffisante valorisation des pièces de qualité faute de segmentation dans la commercialisation et la dispersion de la valeur ajoutée des productions entre une multitude d'acteurs, avec des producteurs peu organisés face à un abatteur qui domine le marché et une grande distribution très concentrée.

La filière laitière est répartie de manière homogène sur l'ensemble du territoire, malgré un mouvement de concentration de la production parallèle à la disparition de nombreuses exploitations ces dernières années. La force de cette filière réside dans l'importance de l'industrie de transformation, qu'il s'agisse des coopératives ou des entreprises privées, qui valorise la production laitière en la transformant en produit à forte valeur ajoutée. Ce secteur a été soumis aux quotas de production européens pendant plus de trente ans, et la fin des quotas, le 1er avril 2015, a fragilisé les producteurs européens, et notamment les producteurs français qui vivent depuis plus d'un an une période de surproduction. Là encore, l'industrie et la grande distribution sont accusées d'accaparer la valeur ajoutée permise par la transformation du lait.

La filière porcine est aujourd'hui dépassée par le dynamisme des productions européennes, notamment allemandes, espagnoles et polonaises. Les exploitations porcines françaises sont bien moins compétitives que les exploitations européennes qui ont soit des structures intégrées à la transformation, soit bénéficient de relations commerciales plus pacifiées que chez nous. Cette filière connaît également une surproduction du fait notamment de l'embargo russe et de l'importance des importations européennes en France. Les producteurs souffrent d'un manque de modernisation de leurs exploitations et, là encore, d'un problème de relations commerciales avec l'aval de la filière.

Même si elle résiste mieux que les autres, la filière avicole souffre d'un manque de modernisation des bâtiments. Toutefois, elle a su s'adapter à la demande intérieure tout en faisant preuve d'un réel dynamisme à l'export, notamment vers les pays tiers.

La filière ovine prend son essor. Il s'agit d'une production à faible rendement et techniquement complexe, mais les produits sont de qualité et la demande est forte.

Certes, les embargos russes et la fin des quotas laitiers ont entraîné une surproduction de porc et de lait, mais ils interrogent à plus long terme sur la résilience des exploitations, c'est-à-dire leur capacité à résister aux crises qui ne cessent d'émailler le secteur et altèrent l'image des élevages – crises sanitaires, conséquences environnementales des exploitations, préoccupations sur le bien-être animal et autres. Le scandale des abattoirs et la résurgence des cas de vache folle en sont une illustration tout à fait récente.

Il ressort des 164 auditions auxquelles nous avons procédé que les filières d'élevage se heurtent à des difficultés structurelles qui touchent toutes nos exploitations. Les coûts de production sont très hétérogènes et difficiles à identifier par les éleveurs, alors qu'ils sont la condition sine qua non de la définition de leurs marges. Les charges fixes et le niveau d'endettement plombent clairement les exploitations en France. Seuls les éleveurs qui ont remboursé leurs emprunts s'en sortent, alors que les besoins d'investissement sont importants, y compris dans les abattoirs. Tous les agriculteurs nous disent qu'ils veulent vivre de leur production et de sa valorisation, mais que les prix ne suffisent pas à compenser des coûts de production élevés.

Les relations commerciales sont également très difficiles, avec un accaparement de la valeur ajoutée et du pouvoir de marché des industriels – les grands abatteurs, les laiteries – et surtout de la grande distribution concentrée face à des éleveurs encore insuffisamment organisés. Les organisations de producteurs, on le sait, sont en effet encore trop faibles et les éleveurs trop peu investis dans la coopération agricole. Les filières sont un outil important de définition stratégique des filières, mais elles ne fonctionnent pas nécessairement aussi bien qu'elles le devraient. Il y a parfois des mésententes, des absences de la distribution et autres difficultés.

Les rapporteurs vont maintenant vous présenter les 60 propositions qui vont dans un sens que chacun souhaite ici. Ces préconisations, qui concernent les niveaux européen et national, visent à assurer aux exploitants des revenus dignes en améliorant la compétitivité, mais également à renforcer la traçabilité et la qualité des produits français. Nous avons eu de nombreuses discussions, notamment en Allemagne et en Espagne, sur la question de l'étiquetage des produits et sur la capacité de la France à mettre en place un étiquetage sur l'origine, nonobstant les contraintes européennes.

Bien entendu, en tant que président de la mission d'information, je suis favorable à l'adoption de ce rapport, et j'indique que ces 60 propositions ont recueilli un accord unanime de notre part. L'une d'entre elles sera présentée ici même la semaine prochaine lors de l'examen de la proposition de loi de M. Bernard Accoyer, dont l'objet est de redéfinir l'abus de dépendance économique, notamment face aux quatre principales centrales d'achat françaises qui s'adjugent 90 % du marché. Cette situation de concentration contribue aux difficultés que connaissent de nombreux producteurs français.

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