Intervention de Maud Olivier

Séance en hémicycle du 6 avril 2016 à 15h00
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Olivier, rapporteure de la commission spéciale :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le président de la commission spéciale, chers collègues, nous voilà donc réunis cet après-midi pour la lecture définitive de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

Cette proposition de loi a été déposée le 10 octobre 2013 sur le bureau de l’Assemblée nationale. Déjà en 2010, la commission des lois et, en son sein, Danielle Bousquet et Guy Geoffroy y travaillaient. Cela fait longtemps que nous nous battons dans cette maison pour aboutir.

Je pense aussi aujourd’hui à toutes celles et à tous ceux qui tentent de convaincre depuis plus longtemps encore et se battent pour que la France mette enfin son action en accord avec ses principes.

Oui, nous nous sommes battus pour cette loi, parce que c’est une belle et grande loi. Depuis trois ans, nombreux sont ceux qui en ont progressivement pris la mesure. Chacun à notre place, les députés, les ministres, les militants, nous avons discuté beaucoup, expliqué sans relâche, convaincu souvent.

Aujourd’hui, pour cette ultime lecture à l’Assemblée nationale, je n’essaierai pas de convaincre ceux qui ne sont pas encore convaincus. Je veux me réjouir que nous arrivions au bout avec une loi forte symboliquement et concrètement.

Contrairement à ce que certains tenteront aujourd’hui encore de défendre, ce n’est pas une loi dogmatique, ce n’est pas une loi moralisatrice : c’est une loi pragmatique, qui prend à bras-le-corps les réalités de la prostitution sous toutes ses formes et apporte des réponses concrètes aux victimes.

Oui, c’est aussi une loi symbolique, parce que la loi est normative et qu’elle dit ce que notre société accepte, choisit, refuse. Et avec cette loi, notre société choisit l’égalité entre les femmes et les hommes ; elle choisit les droits humains ; elle refuse les violences faites aux femmes et le commerce des corps.

Elle affirme que nous ne pouvons pas laisser à leur sort des femmes qui sont contraintes, soit pour des raisons économiques, soit par la force, de vendre des actes sexuels ; elle affirme qu’il n’y a pas d’un côté les personnes prostituées et de l’autre le reste de la population.

Oui, c’est une loi qui dit que notre société vaut mieux que la misère et la violence, qu’aucun être humain ne devrait avoir à subir cela, que le corps humain ne peut pas être source de profit.

Cette proposition de loi affirme que la société doit répondre collectivement à cette misère, en offrant des alternatives aux personnes qui veulent sortir de la prostitution et en mettant fin à l’impunité de ceux qui contribuent à ce système.

Cette proposition de loi touche à tous les codes, parce que cela est nécessaire : elle modifie le code de l’action sociale et des familles, pour inscrire dans le droit que l’État assure la protection et l’assistance à toutes les victimes de la prostitution, qu’un parcours de sortie de la prostitution est proposé à toute personne victime et que celles qui ne peuvent pas être bénéficiaires du RSA et de l’allocation pour demandeur d’asile se verront attribuer une aide financière à l’insertion sociale et professionnelle. Comme c’était déjà le cas pour les victimes de la traite des êtres humains, elles auront accès aux centres d’hébergement et de réinsertion sociale dans des conditions sécurisantes.

Nous modifions le code de la construction et de l’habitat pour donner aux associations qui les accompagnent les moyens financiers de les loger dans de bonnes conditions.

Nous modifions le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en permettant aux victimes de proxénétisme et de la traite qui s’engagent dans le parcours de sortie de prostitution de se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour, même si elles ne participent pas à une enquête de police, considérant que, parfois, les conditions ne sont pas réunies pour le faire. Avec cette loi, la participation à l’enquête par un dépôt de plainte ou le témoignage donne le droit à un titre de séjour.

Nous modifions le code pénal pour renforcer les droits des personnes prostituées. Cette loi supprime le délit de racolage ; elle dépénalise les personnes prostituées ; mieux, elle qualifie de circonstance aggravante le fait de commettre des violences, y compris des viols et des agressions sexuelles, sur une personne qui se livre à la prostitution. Nous voulons ainsi inverser la vision que la société porte aujourd’hui sur les violences faites aux personnes prostituées.

D’aucuns considèrent qu’un viol sur une personne prostituée n’est pas vraiment un viol. Elles sont le plus souvent déshumanisées, confrontées à une violence quotidienne. Avec cette loi nous inscrivons dans le droit qu’il est plus grave de violer une personne qui se livre à la prostitution, parce que c’est s’attaquer à une personne qui est déjà victime de violences. Comme nous nous battons pour que les plaintes des victimes de violences conjugales soient systématiquement prises par les commissariats, nous nous battons pour que plus une personne prostituée ne se fasse rire au nez lorsqu’elle voudra porter plainte pour viol.

Nous modifions le code de procédure pénale pour que les victimes de proxénétisme, comme les victimes de traite, obtiennent réparation intégrale des dommages qu’elles ont subis, parce que se reconstruire après de telles violences implique aussi des moyens financiers.

Nous changeons le code de l’éducation en renforçant l’éducation à l’égalité, au respect du corps et en introduisant la notion de non-marchandisation des corps.

Nous renforçons la lutte contre le proxénétisme en modifiant la loi de confiance dans l’économie numérique pour exiger des fournisseurs d’accès à internet et des hébergeurs de sites qu’ils contribuent à la lutte contre le proxénétisme et la traite.

Vous le voyez, c’est une loi transversale, globale, concrète, qui change la vision que la société porte sur la prostitution. Et je n’ai pas encore parlé de l’interdiction d’achat d’actes sexuels, cette mesure qui a tant fait polémique ! Pour moi, elle n’est qu’un aspect du dispositif : un aspect important, certes, mais un aspect seulement.

Contrairement à ce que disent certains, l’ambition de cette loi est bien de renforcer la sécurité des personnes prostituées et l’accompagnement dont elles peuvent bénéficier.

Cela passe par tout ce dont j’ai parlé : pouvoir être protégé lorsque l’on est en danger ; être en capacité de porter plainte ; avoir des alternatives quelle que soit sa situation ; être accompagné sur tous les plans de la réinsertion ; obtenir justice contre un agresseur ou le réseau mafieux qui l’exploite, lorsque c’est le cas ; savoir où trouver de l’aide, un appui, quand on en a besoin.

Changer la vie des personnes qui sont dans la prostitution, c’est aussi changer le rapport de force. Cela passe par la dépénalisation de l’activité des personnes prostituées et par l’interdiction d’achat d’actes sexuels. Les personnes prostituées ne pourront plus être poursuivies : c’est le client qui sera désormais inquiété, et cela change la donne.

En effet, dans ce rapport inégalitaire où celui qui paie a le pouvoir, on introduit la fin de l’impunité pour les clients. Les personnes qui resteront dans la prostitution auront le pouvoir de dénoncer celui qui ne respecte pas leurs règles – qui leur impose un acte sexuel sans préservatif, par exemple –, qui les agresse, qui les vole.

Je ne dis pas que tout ira bien dans la prostitution : la prostitution est toujours une violence. Mais en interdisant l’achat d’actes sexuels, on atténue cette toute-puissance des clients sur les personnes prostituées.

L’interdiction d’achat d’actes sexuels met aussi un bâton supplémentaire dans les roues bien huilées des réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains. En les gênant au quotidien, en tarissant la demande, nous rendons leur commerce moins rentable. L’objectif est évidemment la baisse du nombre de victimes.

Bien sûr, les réseaux sont mobiles. Ils n’ont que faire de la satisfaction des envies du client français : ce qui les intéresse, c’est évidemment l’argent, et ils iront le trouver ailleurs. Certains me disent que cette loi augmentera la prostitution dans les pays frontaliers. Je leur réponds : qu’ils changent leur loi !

On ne réduit pas la traite des êtres humains en demandant aux clients, comme vient de le faire l’Allemagne, de mettre des préservatifs : on réduit la traite en tarissant la demande.

Des directives européennes l’imposent depuis 2011 et les États européens qui n’appliquent pas ces directives portent une lourde responsabilité dans le développement de la traite.

Aujourd’hui beaucoup nous regardent, chers collègues. La position de la France sur le sujet peut faire changer les choses. Le temps qu’il a fallu pour adopter définitivement ce texte était sûrement nécessaire pour faire évoluer la société.

Aujourd’hui, je pense à toutes celles et à tous ceux qui ont mis toute leur énergie pour faire évoluer la société et changer la loi. Beaucoup sont présents aujourd’hui, et d’abord sur les bancs de notre hémicycle – je vous sais, chers collègues, décidés à adopter ce texte, autour duquel il y a désormais une vraie mobilisation collective. Ils sont également dans les tribunes, et je veux leur dire mon émotion de les savoir aussi nombreux ; je les sais également émus.

J’ai une pensée particulière pour Rosen Hicher, survivante de la prostitution, qui nous a dit souvent l’urgence d’adopter cette loi, car les victimes qu’elle accompagne sur le terrain ont besoin des droits qu’elle ouvre.

Je pense surtout que, loin d’être la fin, c’est le début du combat, parce que la loi ne peut pas tout. Il faut désormais la mettre en oeuvre et cela va nécessiter des moyens, de la formation, de la pédagogie, même si, j’en suis convaincue, la société a évolué ces dernières années sur le sujet.

Il y a soixante-dix ans, jour pour jour, la France décidait de fermer les maisons closes, mettant ainsi fin à un esclavage institutionnalisé. Il aura fallu soixante-dix ans pour que nous acceptions enfin deux principes fondamentaux : c’est le client, et non la personne prostituée, qui entretient la prostitution ; et c’est notre responsabilité collective que d’accompagner ses victimes.

Et à ceux qui pensent que le recours à la prostitution a toujours existé et existera toujours, je rappelle que c’est également le cas du meurtre et du vol, qui sont pourtant interdits.

J’ai entendu récemment citer cette phrase d’Albert Einstein : « le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Mes chers collègues, cet après-midi, je vous invite à décider ensemble qu’on ne laissera plus faire.

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