Intervention de Dominique Baert

Séance en hémicycle du 7 avril 2016 à 9h30
Réforme du système de répression des abus de marché — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Baert, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle et de l’apprentissage, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente revêt trois caractéristiques remarquables : elle est indispensable, elle est équilibrée, elle est consensuelle.

Elle est indispensable, car ce texte répond à une urgence, une urgence née d’une décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 qui paralyse, à compter du 1er septembre 2016, l’ensemble de notre système répressif en matière d’abus de marché. Faisant écho à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil a en effet jugé inconstitutionnel notre système actuel permettant, jusqu’à présent, un cumul des poursuites et des sanctions pénales et administratives, et a annulé, à partir du 1er septembre 2016, les articles légaux qui sous-tendent lesdites poursuites.

L’urgence est même double, puisque de toute façon ces articles doivent également se conformer aux dispositions de la directive et du règlement européen du 16 avril 2014 relatifs aux abus de marché, dits directive MAD – market abuse directive – et règlement MAR – market abuse regulation. La transposition doit intervenir au plus tard le 3 juillet 2016. Aussi, sans l’adoption du texte que je vous propose, notre pays serait confronté à un risque de vide juridique dramatiquement préjudiciable à l’existence et à la continuité de la lutte contre la délinquance financière.

La proposition de loi est aussi équilibrée, disais-je, car elle règle la dualité des poursuites et les relations entre les deux autorités, administrative et pénale, qui mènent les investigations et répriment. Loin d’entraver la tenue de quelque procès que ce soit, le texte permet bel et bien, au contraire, leur déroulement, mais cette fois dans le respect des prescriptions de la Constitution.

Le texte prévoit ainsi : une clarification des procédures de répression, tant sur plan administratif que sur le plan pénal ; une procédure de concertation obligatoire entre l’Autorité des marchés financiers – AMF – et le parquet national financier dès lors que l’une des deux autorités envisage d’engager des poursuites, ce qui est logique afin d’éviter les « doublons » entre les poursuites ; un arbitrage par le procureur général près la cour d’appel de Paris en cas de désaccord ; enfin, des dispositions de conséquence, relatives à la limitation du droit pour les victimes de mettre en mouvement l’action publique.

Il s’agit en quelque sorte d’un mécanisme d’« aiguillage », respectueux des principes généraux qui régissent notre droit, respectueux des compétences et des pouvoirs tant de la justice que de l’autorité administrative.

D’autres solutions auraient pu être envisagées, mais aucune d’entre elles ne donnait satisfaction. Ainsi, l’abandon pur et simple de l’une des deux procédures aurait causé une atteinte certaine à l’efficacité de la répression des abus de marché, de par les avantages respectifs que recèlent les procédures pénales et administratives. Par ailleurs, la création d’un tribunal d’exception aurait été très lourde à mettre en place et mal comprise par nos concitoyens. Enfin, l’instauration d’une commission administrative de départage des dossiers a été jugée inconstitutionnelle par un avis du Conseil d’État du 19 novembre 2015.

La proposition de loi est enfin consensuelle, car elle satisfait entièrement l’ensemble des autorités et des acteurs concernés, que ce soit le procureur national financier, le secrétaire général et le président de l’AMF, la présidente ainsi que la procureure générale de la cour d’appel de Paris, et les membres du Conseil national des barreaux. Tous m’ont confirmé leur adhésion au projet lors d’auditions ou d’entretiens organisés dans le cadre de mes travaux.

Je tiens par ailleurs à signaler qu’en pratique, cette procédure de concertation est d’ores et déjà à l’oeuvre depuis la décision constitutionnelle de mars 2015. En effet, six dossiers ont déjà fait l’objet d’une orientation informelle, cinq vers la voie administrative et un vers la voie pénale.

Régler l’adaptation de notre droit à la décision du Conseil constitutionnel, c’est faire un pas, un pas important et indispensable, mais ce n’est pas suffisant. Puisque les articles du code monétaire et financier ont été annulés par le Conseil constitutionnel, il nous faut aussi les réintroduire, et le faire en conformité avec le droit européen, puisque c’est une exigence européenne qui doit être satisfaite avant le 3 juillet prochain.

C’est pourquoi j’ai complété la proposition de loi initiale en déposant en commission deux amendements visant à transposer la directive européenne relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché et le règlement qui lui est associé, tous deux datés du 16 avril 2014. Ces amendements ont été adoptés par la commission des finances, l’ensemble de ces nouvelles dispositions se trouvant aux articles 1er A et 1er bis de la proposition de loi.

Ces textes importants auraient dû être transposés dans notre droit bien avant. Sans doute ne l’ont-ils pas été sans doute faute de véhicule législatif et d’habilitation pour le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Mais ce n’est pas mon sujet : ce que je constate, c’est qu’à trois mois de l’échéance, les obligations européennes ne sont pas remplies. Le texte adopté par la commission y répond.

En conformité avec les textes européens, les nouveaux articles du code monétaire et financier ainsi écrits réforment tant la qualification des abus de marché que le niveau des sanctions pénales qui y sont associées. Il me semble qu’il aurait été préjudiciable à la clarté et à la lisibilité de la proposition de loi de ne pas procéder dans le même temps à la modification de la procédure répressive et à la refonte des articles qui lui servent de base légale.

Avec ce texte, nous respectons sur le fond comme sur la forme le calendrier européen et constitutionnel qui sous-tend en France la répression des abus de marché. Ceux qui fraudent sauront que, demain, non seulement ils seront poursuivis, mais qu’ils paieront plus, car les sanctions seront plus lourdes.

Les dispositions européennes intégrées ont clairement pour objectif de renforcer la répression pénale menée par les États membres en matière d’abus de marché, en établissant des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives », selon les termes de la directive. Avec, jusqu’alors, des sanctions pécuniaires en moyenne dix fois moins élevées au pénal que dans le cadre d’une condamnation par l’AMF, et des peines de prison très brèves et exclusivement assorties d’un sursis, le droit pénal français pouvait légitimement s’interroger sur le caractère dissuasif et sur le caractère effectif de sa répression en matière d’abus de marché.

L’intégration du droit européen dans le droit français a donc une double conséquence.

La première, c’est la refonte des périmètres des trois délits principaux en matière d’abus de marché, afin de les rendre plus opérants : le champ de l’opération d’initié est recentré sur l’utilisation d’une information privilégiée dans le cadre d’une opération boursière ; la deuxième incrimination devient celle de la divulgation illicite d’information privilégiée, jusqu’à maintenant incluse dans le délit d’initié ; et la dernière est la manipulation de marché, incluant l’actuel délit de manipulation des cours et celui de diffusion de fausse information. Ces nouvelles incriminations sont dupliquées à l’identique dans le cadre des manquements administratifs.

La seconde conséquence, c’est que dorénavant ces trois délits seront tous punis d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, contre un ou deux ans selon les cas aujourd’hui, et d’une sanction pécuniaire d’un montant égal à celui de la sanction administrative, à savoir 100 millions d’euros, contre 150 000 euros à 1,5 million pour les peines maximales actuelles. Pour les personnes morales, ces peines pourront s’élever jusqu’à 500 millions d’euros et cinquante fois le profit réalisé ou la perte évitée.

Comme j’ai pu le constater lors des auditions que j’ai menées, ce relèvement substantiel des peines encourues était largement souhaité par l’ensemble des institutions judiciaires et administratives agissant dans le champ du droit boursier. C’est un message clair et fort que nous adressons, mes chers collègues : celui qui faute paie – pas symboliquement : il paie vraiment ! La sanction est portée à la hauteur de la faute commise, et cela me paraît un acte fort de moralisation du fonctionnement des marchés boursiers.

En outre, l’application de cette sanction est garantie par la justice puisque s’affirme désormais aux mains du juge, en l’espèce le parquet national financier, la responsabilité d’en faire un usage effectif et dissuasif, mais néanmoins proportionné, dans ses jugements.

La transposition des textes européens va permettre de clarifier le champ d’application des délits boursiers et de ne plus laisser d’« angles morts » non soumis aux exigences de transparence. Par exemple, un amendement gouvernemental étend ces dispositions relatives aux abus de marché aux marchés de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

La décision du Conseil constitutionnel et l’obligation de transposition nous donnent l’occasion de faire évoluer l’ensemble de notre arsenal juridique en matière d’abus de marché et d’en renforcer incontestablement l’efficacité. Ces évolutions vont d’évidence dans le bon sens et peuvent nous réunir largement dans cet hémicycle, tant ce qui est proposé est autant nécessaire sur le plan juridique que bénéfique en opportunité. La crise de confiance que connaissent trop de nos concitoyens, et l’opinion publique en général, à l’égard du fonctionnement des marchés financiers légitime en effet que l’on renforce toute action visant à une meilleure transparence des marchés financiers et à la répression des comportements déviants et des profits mal acquis.

C’est pourquoi j’appelle notre sage assemblée à apporter un large soutien à ce texte, qui se veut un correctif technique bien sûr, mais aussi une proclamation politique forte selon laquelle, puisque l’argent corrompt, ceux qui détournent, abusent de la confiance, profitent d’une information, bref ceux qui fautent, doivent savoir que la réponse du droit est dorénavant claire : ce sera pour eux la sanction, et elle sera lourde !

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