Intervention de Sophie Rohfritsch

Réunion du 6 avril 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Rohfritsch, rapporteure :

La proposition de loi vise à régler une situation quelque peu paradoxale. En effet, alors que le patrimoine des collectivités territoriales n'a cessé de croître au cours des dernières années, notamment du fait du transfert de certaines compétences auparavant exercées par l'État, les moyens dont elles disposent pour le valoriser sont limités – et le sont de plus en plus.

Les collectivités se retrouvent souvent propriétaires de biens immobiliers qui ne répondent plus tout à fait aux besoins des services publics situés dans leurs territoires et qui peuvent représenter des charges importantes, par exemple de mise aux normes en matière d'accessibilité ou de consommation d'énergie. En bonnes gestionnaires, les collectivités pourraient décider de céder ces biens pour financer des rénovations, des acquisitions ou la construction de nouveaux bâtiments, et ainsi mieux répondre aux besoins constatés. Or les règles en vigueur en matière de cessions de biens relevant du domaine public sont très strictes : ces biens ne sont ni aliénables, ni prescriptibles. Par conséquent, pour permettre leur cession, il faut, dans un premier temps, les déclasser, c'est-à-dire les transférer du domaine public au domaine privé.

Toutefois, ce déclassement est lui-même conditionné par leur désaffectation au service public. Concrètement, un bien ne peut être déclassé puis cédé que s'il n'est plus matériellement affecté à un service public, dans le cas d'un bâtiment, ou à un usage public, dans le cas d'un parking par exemple. Si cette procédure est protectrice du domaine public, elle peut également conduire à des contentieux et empêcher des cessions justifiées et utiles à la mise en oeuvre d'une stratégie patrimoniale.

Le législateur a d'ailleurs reconnu la nécessité d'introduire davantage de souplesse en matière de cessions en prévoyant une dérogation à cette procédure prenant la forme d'un déclassement anticipé prévu par l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques. Cet article prévoit que, pour répondre à des nécessités de service public, il est possible de déclasser et de céder un bien tout en y maintenant les services pour une durée limitée à trois années après la cession. Ce délai permet aux personnes publiques concernées de financer l'acquisition de nouveaux immeubles ou la construction de bâtiments neufs grâce au produit de la vente, tout en proposant des biens intéressants pour les promoteurs qui disposent ainsi de temps pour instruire les démarches relatives à leur transformation future.

Au regard de l'intérêt certain que présente cette procédure en termes économiques, financiers et patrimoniaux, je regrette qu'elle ne concerne qu'un champ restreint de personnes publiques, soit l'État et ses établissements publics, et, depuis 2009, les établissements publics de santé.

C'est la raison pour laquelle je propose que nous l'étendions aux collectivités territoriales. Cette proposition n'est pas nouvelle puisque plusieurs parlementaires ont, au cours des dernières années, soit adressé des questions aux gouvernements successifs sur l'opportunité de cette extension, soit déposé des amendements en ce sens. Plusieurs acteurs se sont également prononcés en sa faveur comme l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) ou encore le congrès des notaires à l'occasion de son rapport de 2013 sur les propriétés publiques. Je rappelle également que la Cour des comptes, dans son rapport de 2013 sur L'immobilier des collectivités territoriales, a insisté sur la nécessité pour les collectivités territoriales de mettre en oeuvre une gestion plus dynamique de leur patrimoine.

Ces recommandations et propositions n'ont jusqu'à présent pas été suivies d'effets : les gouvernements successifs ont opposé à plusieurs reprises l'absence de bilan de la procédure de déclassement anticipé et le risque financier encouru par les collectivités territoriales dans l'hypothèse où les biens n'auraient pas été désaffectés dans les délais impartis, ce qui aurait pour conséquence de rendre la vente illégale et de les contraindre au remboursement du produit perçu.

Il me semble cependant que ces arguments témoignent d'un manque de confiance envers les collectivités territoriales auxquelles on demande par ailleurs de faire d'importants efforts d'économies et de se montrer meilleures gestionnaires sans cependant leur en donner les moyens. L'extension en leur faveur de cette procédure de déclassement anticipé, qui resterait exceptionnelle, j'insiste sur ce point, n'encouragera pas davantage que les règles actuelles les cessions immobilières peu opportunes, alors qu'elle facilitera les cessions les plus pertinentes au regard des besoins des territoires.

Elle apparaît d'autant plus nécessaire qu'il n'est pas acceptable que des projets répondant à des nécessités de service public soient bloqués ou retardés alors que l'investissement local tarde à repartir et que les ressources publiques sont fortement contraintes.

J'ai ce matin même déposé un amendement destiné à apporter quelques précisions au dispositif de ma proposition de loi. Je propose ainsi, par souci de transparence, que la délibération concernant l'opération envisagée soit motivée et organisée en amont et que l'acte de vente comporte une clause prévoyant les conséquences de l'éventuelle résolution de la vente. Je propose enfin que la procédure soit également ouverte aux groupements des collectivités territoriales.

Sur le fondement de cette présentation, je vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente proposition de loi.

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