Intervention de François Cuenot

Réunion du 30 mars 2016 à 11h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

François Cuenot, représentant l'ONG européenne Transport et Environnement, T&E :

Madame la rapporteure, nous avons observé deux types de réactions du côté des États membres après que l'affaire Volkswagen a éclaté. En France et en Allemagne, des décisions similaires ont visé à mettre en place des commissions d'investigation avec des campagnes d'essais assez détaillées. Les deux approches sont toutefois différentes puisqu'en France les membres de la commission Royal forment un panel qui représente assez bien tous les interlocuteurs, parmi lesquels le RAC, FNE ou encore M. Denis Baupin. Les résultats constatés ne devaient pas être diffusés avant la finalisation des essais, mais cela n'a pas été le cas. En tout état de cause, ces résultats sont fournis aux constructeurs impliqués. Le ministère les rencontre avant de faire part des données à la commission, ce qui est tout de même assez surprenant !

En Allemagne les choses sont encore plus obscures : le ministère procède à des essais, mais les acteurs impliqués sont très peu nombreux. Il n'y a quasiment pas eu de fuite – il semble qu'un mail a été envoyé « par erreur » à Greenpeace. (Sourires.) La France travaille correctement avec le KBA sur ces tests.

La Commission européenne a encouragé les États membres à mener des investigations sans trop s'impliquer elle-même sur ce dossier. L'Espagne, le Royaume-Uni et quelques autres ont annoncé avoir effectué des tests, sans donner davantage de détails. Ils ont conclu que tout était normal. Je l'ai dit, la majorité des États membres reste sous l'influence assez forte des constructeurs, en particulier les pays d'Europe du Sud et de l'Est soumis à un chantage à l'emploi.

Faut-il attendre les résultats de la commission d'enquête du Parlement européen pour mettre en place de la réforme de l'homologation de la Commission ? S'agissant de dispositions qui relèvent de la procédure de codécision, je ne pense pas que le Parlement vote quoi que ce soit avant d'avoir achevé ses propres travaux.

Vous évoquiez le modèle américain qui ne fait pas intervenir les autorités avant la mise sur le marché du véhicule. Nous proposons de prendre le meilleur des deux mondes en conservant les agences d'homologation nationales qui effectuent les tests avant la mise sur le marché, et en instaurant un contrôle plus rigoureux des véhicules en circulation par la Commission européenne – elle jouerait en quelque sorte le rôle de l'agence américaine EPA. Le cas des liquides réfrigérants de climatisation de Mercedes a été cité devant votre mission d'information : rien n'incite une agence nationale d'homologation à retirer l'homologation qu'elle a elle-même donnée. Elle se tirerait une balle dans le pied ! Ce pouvoir et celui d'imposer des sanctions devraient revenir à une agence européenne ou aux autorités d'un autre pays membre.

Pour ne pas créer de nouvelle agence, la Commission et les autorités européennes suggèrent que ces contrôles soient effectués par le Joint research center (JRC), même s'il ne s'agit pas aujourd'hui de sa mission première. Dans les faits, on créerait une nouvelle agence sans le dire, car il faudra bien attribuer au JRC des moyens supplémentaires.

T&E reste partisan de la neutralité technologique s'agissant des énergies fossiles mais, l'année dernière, notre fédération a rompu avec ce paradigme en matière fiscale au profit du véhicule électrique – sur ce point nous ne sommes pas toujours en accord avec tous nos membres, en particulier les membres français. T&E estime désormais que la neutralité technologique ne permet pas d'accélérer suffisamment l'introduction sur le marché du véhicule électrique. Nous avons mis en place une plateforme d'électromobilité, et nous sommes favorables à un favoritisme au moins fiscal en la matière, à condition qu'il s'accompagne de dispositifs favorables à la mobilité partagée ou à la production d'électricité propre. Nous sommes tous conscients qu'il n'y aura pas de véhicule électrique propre sans électricité propre. Il a fallu une dizaine d'années pour que le véhicule hybride représente 1 % du marché européen sans changement réel de l'utilisation du véhicule. La voiture électrique représente à mon sens le meilleur moyen d'atteindre la mobilité zéro carbone – le biométhane me semble limité en termes de ressources. Nous devons prendre des mesures spécifiques si nous voulons qu'elle se répande rapidement. Il est clair qu'il faut maintenir une neutralité au regard des seuils d'émissions, mais nous estimons que ce n'est probablement pas le cas s'agissant de la fiscalité. Il n'est pas facile de faire un choix en matière technologique : T&E a fait celui de la mobilité électrique.

Le diesel est-il indispensable pour réduire les émissions de CO2 ? Certains pays comme le Japon ont imposé des normes aussi ambitieuses que l'Europe alors que le diesel ne représente que 1 ou 2 % de leur parc automobile. La solution, au Japon, passe plutôt par les petits véhicules – avec les moteurs de 800 cm3 – et par l'hybridation. Pour atteindre des normes de CO2 ambitieuses, le diesel n'est donc pas indispensable.

Monsieur Baupin, vous nous demandez si quelqu'un savait avant que n'éclate l'affaire Volkswagen ? Disons que nous avions de fortes suspicions. Lorsque la norme est dépassée de dix ou vingt fois, cela suscite des questions, mais comment prouver quoi que ce soit ? Je vous conseille la vidéo d'un hacker qui a regardé dans le calculateur d'un Volkswagen Sharan. À mon avis, les autorités n'étaient pas au courant, mais elles n'étaient pas dupes. Cela ne serait pas aisé à démontrer, et le soupçon est facile.

Le lien est fait avec la question posée par M. Premat sur le contrôle des logiciels. Il est vrai qu'aujourd'hui, tous les éléments physiques d'un véhicule sont homologués, jusqu'à la dernière ampoule, alors que personne ne regarde jamais les calculateurs. Il n'y a aucune raison de ne pas homologuer aussi les logiciels – c'est un peu ce que font les États-Unis en obligeant les constructeurs à déclarer les stratégies de contrôle d'émissions. Sachant que tout passe par l'électronique, nous ne pourrons plus longtemps éviter de regarder les codes des logiciels et la programmation des véhicules.

Le portable emissions measurement system (PEMS), système de mesure des émissions de CO2 embarqué sur le véhicule en est encore aujourd'hui au stade de l'expérimentation ; des progrès restent à accomplir en la matière. Nous ne sommes pas parvenus à nous accorder avec PSA sur la publication immédiate d'autres résultats. En 2017, des données seront fournies sur le NOx puis, dès que l'équipement en développement dans le troisième paquet RDE sera disponible, celles relatives aux particules fines seront présentées. Nous publierons les valeurs d'émissions de NOx dès que sortiront les véhicules PSA compatibles avec la procédure RDE, avec un protocole qui sera, je l'espère, plus exigeant que le protocole officiel européen RDE.

Pour revenir au contrôle des logiciels, nous avons des chances de voir émerger le monitoring des émissions en temps réel. Nous disposons aujourd'hui de systèmes embarqués qui permettent de connaître les émissions d'un véhicule en temps réel. Ils restent aujourd'hui largement sous le contrôle des constructeurs qui ne donnent accès qu'aux informations qu'ils souhaitent diffuser. Il faut donc rester très prudent et espérer la mise en place de systèmes plus ouverts avec des logiciels interchangeables entre constructeurs – même si cela fait courir un risque en termes de piratage.

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