Intervention de Laurence Blisson

Réunion du 23 mars 2016 à 19h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature :

Je rappelle tout d'abord, s'agissant des cas que vous évoquez, que la compétence des juridictions françaises est étendue aux crimes – voire, depuis la loi du 21 décembre 2012, aux délits – commis sur un territoire étranger. Ensuite, le Syndicat de la magistrature attache beaucoup d'importance au fait que, dans le cas de l'association de malfaiteurs, un rapport de proportionnalité doit exister entre les éléments de preuve et la sanction prononcée. Il s'agit en effet d'une infraction très particulière, car il suffit de réunir les preuves d'actes préparatoires qui, en eux-mêmes, n'ont pas nécessairement de caractère illicite et de l'associer à une intention qui doit être caractérisée, sans l'être forcément de manière précise, pour aboutir à une condamnation. Partant de ce constat, il ne nous paraît pas légitime d'augmenter l'échelle des peines sanctionnant cette infraction, car on aboutirait à une déconnexion, préoccupante au regard du droit pénal, entre ce qui est concrètement reproché à une personne et la sanction qui lui est infligée. Nous sommes donc résolument hostiles à une augmentation des peines sanctionnant l'association de malfaiteurs. Et nous ne pouvons pas accepter que l'on justifie la nécessité de relever la peine maximale par le fait que les peines prononcées s'en rapprochent.

S'agissant de la perpétuité réelle, je rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Grande-Bretagne pour avoir créé une perpétuité « réelle » – les termes sont souvent impropres – sans possibilité de réexamen. La CEDH estime en effet qu'une personne peut être incarcérée à vie – et c'est le cas de nombreux détenus condamnés à perpétuité en France –, mais que la loi doit prévoir la possibilité d'un réexamen. En l'espèce, le projet de loi « Urvoas » vise à étendre la perpétuité incompressible, c'est-à-dire assortie d'une période de sûreté de trente ans au terme de laquelle un éventuel aménagement peut être examiné. Nous y sommes hostiles.

Il convient de rappeler, à cet égard, un élément fondamental. Il est évident que la perpétuité dite « incompressible » concerne des crimes d'une extrême gravité, qui suscitent une émotion très forte et ont de lourdes conséquences sur la société. Pour autant, il nous semble que la loi ne doit pas perdre de vue les principes d'un droit pénal humaniste, qui ne peut pas s'envisager comme un droit de l'élimination sociale totale. Concrètement, il existe aujourd'hui, pour les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, un délai – de dix-huit à vingt-deux ans – au terme duquel elles peuvent solliciter un aménagement de peine. Elles doivent, pour cela, se soumettre à de multiples expertises, passer devant le Conseil national de l'évaluation et la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, qui émettra un avis, et faire l'objet d'un examen de dangerosité très minutieux. Et, en définitive, il est difficile de leur proposer un aménagement de peine.

Toute la philosophie pénale française est fondée sur l'idée que la peine sert, certes, dans un premier temps, à punir et à mettre la société hors de danger, mais aussi à prévoir le retour des personnes condamnées dans la société, car elle se refuse à présupposer que celles-ci, quelles que soient la nature et la gravité de leur crime, puissent être irrécupérables par principe. Il est important que l'on ne perde pas de vue, sous le coup d'une émotion légitime, ces principes, que nous jugeons fondamentaux, du droit pénal.

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