Intervention de Laurence Blisson

Réunion du 23 mars 2016 à 19h15
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature :

Il est évident, pour le Syndicat de la magistrature, que les personnes qui reviennent de théâtres d'opérations doivent faire l'objet d'une attention toute particulière des services de renseignement et des services d'enquête dans le cadre d'enquêtes judiciaires. Toutefois, les deux réponses proposées – d'une part, l'assignation administrative à résidence prévue à l'article 20 du projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée et, d'autre part, la création d'une infraction pénale spécifique pour ainsi dire purement matérielle qui serait constituée dès lors que l'on s'est rendu ou que l'on a tenté de se rendre sur un théâtre d'opérations terroristes –, ces deux solutions ne sont pas satisfaisantes. Lorsqu'une personne est de retour en France et que les éléments permettant de caractériser l'association de malfaiteurs ou l'entreprise individuelle – infraction qui est fort peu utilisée, si bien que l'on peut se demander si elle était vraiment nécessaire –, il est possible de la mettre en examen et de la placer en détention provisoire. Ainsi, soixante-treize des personnes revenues de ces théâtres d'opérations sont placées en détention provisoire et d'autres ont été placées sous contrôle judiciaire.

Dans un système démocratique, il n'est pas acceptable que l'on envisage de créer une mesure administrative afin de combler le vide créé par l'absence des indices graves et concordants que requiert la loi pour mettre une personne en examen puis, le cas échéant, prendre une mesure de sûreté. Dans un tel cas, l'enquête – accompagnée, éventuellement, de mesures de surveillance – doit se poursuivre afin de réunir les preuves suffisantes. Il a été dit que l'on était souvent confronté à une difficulté probatoire. Je rappelle à cet égard que les membres des services de renseignement sont soumis, au même titre que tout autre fonctionnaire, à l'article 40 du code de procédure pénale, qui leur impose de signaler au procureur de la République toute infraction qui serait portée à leur connaissance.

Quant à la création d'une infraction pénale autonome, elle nous paraît extrêmement problématique, car, cette fois-ci, on déconnecterait l'infraction de tout contenu concret. De fait, l'action pourra être caractérisée – « Il y est allé » –, mais on ne cherchera pas à savoir ce qui s'est passé ni, par conséquent, quel est le préjudice pour la société. Je ne dis pas que les personnes qui reviennent de ces théâtres d'opérations n'ont pas commis ou ne préparent pas des infractions ; je dis simplement que, dans un système pénal démocratique, il est nécessaire, lorsqu'on définit une infraction pénale, qu'elle soit constituée par des éléments matériels qui portent préjudice à un intérêt protégé par la loi et par un élément intentionnel. Or tel ne serait pas le cas de cette infraction.

Le droit pénal et la pratique antiterroriste utilisent très largement les infractions existantes. Il ne serait pas de bonne législation de les étendre sur le versant administratif ou sur le versant pénal.

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