Intervention de Catherine de Salins

Réunion du 26 avril 2016 à 17h00
Commission des affaires sociales

Catherine de Salins :

Pressentie par le Président de la République pour être nommée présidente du conseil d'administration de l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), je vais d'abord me présenter à vous puis, après avoir rappelé les missions de l'agence et le rôle de son conseil d'administration, vous indiquer comment je conçois le rôle de son président.

Fille, petite-fille, nièce et soeur de médecins, j'ai grandi dans un univers familial où les questions de santé et de prévention des risques sanitaires étaient au menu des discussions. Elles l'étaient d'autant plus que mon père, médecin biologiste et praticien hospitalier, a dirigé un centre de transfusion sanguine de 1970 jusqu'à sa retraite en 1994. Jeune magistrate administrative, j'ai beaucoup échangé avec lui sur les causes de cette crise de santé publique qu'a constituée la transmission du virus du sida par voie transfusionnelle. Enfin, ayant moi-même été transfusée à deux reprises en 1980 et 1987, je sais ce que signifie être exposée à un risque de contamination par voie transfusionnelle.

Cela dit, je ne suis pas devenue médecin et mes premières années de pratique professionnelle m'ont éloignée des questions de santé. Le droit fiscal et l'urbanisme, qui sont les premiers contentieux dont j'ai eu à traiter en qualité de conseiller au tribunal administratif de Paris, ou les règles européennes en matière d'aides d'État, que j'ai suivies en qualité d'expert national détaché à la Commission européenne de 1990 à 1992, entretiennent des liens très indirects avec la médecine et les produits de santé.

La pratique contentieuse m'a enseigné la maîtrise du risque juridique. Au-delà de l'exercice très exigeant d'analyse et de synthèse que le traitement de tout dossier contentieux implique, elle m'a aussi appris les vertus du travail collégial et ses méthodes : identifier les points qui méritent débat, écouter avec la plus grande attention la position de chacun de ceux qui participent au délibéré, exposer son point de vue avec clarté, en mettant bien en évidence les arguments qui justifient la solution proposée et, à partir de ces positions et arguments, contribuer à construire une solution qui soit, non pas le plus petit commun dénominateur, mais la meilleure solution possible au regard des textes, des faits de l'espèce et des enjeux du litige. Juger, c'est aussi prendre position et trancher après avoir pesé tous ces éléments. De même qu'un médecin, un juge prend parti sur un cas pour appliquer ensuite une solution – et, en général, il dispose pour cela de plus de temps que le médecin.

Mon expérience européenne, tant au sein de la Commission européenne qu'à la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères de 1992 à 1997, m'a permis d'acquérir une expertise en droit de l'Union européenne, y compris en droit de la concurrence. Au-delà, elle m'a donné une connaissance de l'intérieur du fonctionnement des institutions européennes et du processus de décision, de l'élaboration des projets de texte jusqu'à leur adoption et leur interprétation par la Cour de justice.

J'ai retrouvé les questions de santé dès mon intégration au Conseil d'État, où j'ai été affectée à la première sous-section de la section du contentieux. Pendant toute la période où j'y ai été rapporteur, de 2001 à 2007, elle était juge de premier et dernier ressort des décisions en matière de produits de santé, de mise sur le marché de médicaments, de suspension ou d'interdiction de produits de santé, de remboursement ou déremboursement de médicaments et de fixation de leur prix.

Si elle est assurément très réductrice, l'approche contentieuse d'une politique est à tout le moins révélatrice des intérêts en jeu, des relations entre les parties prenantes au processus de décision, de la qualité des décisions prises lorsqu'elles sont confirmées et que le dossier révèle qu'elles ne s'exposaient pas à une critique sérieuse, à l'inverse des éventuelles failles du processus de décision lorsqu'il aboutit à une annulation.

Je n'ai cessé, depuis lors, de traiter de questions en lien avec la politique de santé publique. Mon affectation à la cinquième sous-section de la section du contentieux de 2008 à 2010, et à nouveau depuis mai 2014, m'a conduite à connaître, dans le cadre de pourvois en cassation, des actions en responsabilité dans le domaine de la santé, qu'il s'agisse de responsabilité hospitalière, de demandes d'indemnisation dans le cadre de la solidarité nationale au titre d'accidents médicaux ou d'infections nosocomiales, ou encore de l'indemnisation de contaminations transfusionnelles ou de vaccinations, désormais assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

Enfin, de 2010 à la fin de l'année 2013, j'ai mis en place puis dirigé la direction des affaires juridiques au sein des ministères sociaux, notamment auprès du ministre chargé de la santé. Cette direction ressource venant en appui au ministre, aux autres directions et aux services territoriaux, est notamment chargée de leur apporter son expertise juridique lors de la préparation des principaux textes, puis à l'occasion de leur mise en oeuvre.

À peine venais-je de prendre mes fonctions qu'a éclaté l'affaire du Mediator, avec la publication du rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS). La direction des affaires juridiques a été associée à la mise en place auprès de l'ONIAM du dispositif visant à faciliter le traitement des demandes d'indemnisation présentées par les victimes. Elle a également été associée à la préparation et à la rédaction de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé et de ses décrets d'application, notamment des dispositions relatives à la déontologie et à la prévention des conflits d'intérêts. Ainsi, au printemps 2012, les compétences de la direction ont été étendues aux questions de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts.

Un poste de chargé de mission de ces questions a été créé et pourvu, afin de jouer un rôle d'expertise et de conseil auprès des ministres, des administrations centrales, des services territoriaux et des établissements publics rattachés au ministère, dans la mise en oeuvre des principes édictés par la loi. L'objectif a été de développer, au sein des services, une culture de la prévention des conflits, en identifiant les postes exposés, en prévenant les risques de conflit dès le recrutement de nouveaux responsables, et tout au long des processus de décision. Il s'est agi de mettre en place non seulement les processus de déclaration et d'actualisation des déclarations d'intérêts, mais aussi, plus fondamentalement, d'analyse de ces déclarations, précisément afin d'éviter que les processus de décision ne soient viciés par la participation de personnes en situation de conflit. La chargée de mission de la direction a d'ailleurs fait partie du comité de déontologie de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, dans sa composition antérieure à février 2016.

Je voudrais aussi souligner l'importance dans mon parcours professionnel des questions de transparence de l'action administrative. Rapporteur général de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) de 2004 à 2007 et présidente suppléante de cette commission depuis la fin de l'année 2014, je me suis efforcée de promouvoir une culture de la diffusion de ces documents et, plus largement, des informations publiques, dans le respect des données personnelles et des secrets protégés par la loi, afin de parvenir à une vraie transparence de l'action administrative.

Ce parcours explique l'intérêt prononcé que je porte à l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, et ma candidature aux fonctions de présidente de son conseil d'administration. L'ANSM est en effet une structure d'expertise de très haut niveau, chargée de veiller en toute indépendance à la sécurité sanitaire des produits de santé entendus dans un sens très large.

Créée par la loi du 29 décembre 2011, l'agence aura juridiquement quatre ans le 1er mai 2016. Issue de la crise sanitaire du Mediator, sa création en remplacement de l'AFSSAPS a constitué l'un des instruments destinés à remédier aux dysfonctionnements du système national de sécurité sanitaire. Elle traduit la volonté de disposer d'une agence plus efficace et plus indépendante, plus ouverte et plus transparente, qui s'est concrétisée par la réorientation de sa mission première, un élargissement de ses missions, un renouvellement de sa gouvernance dans un cadre déontologique renforcé et un accroissement de ses moyens.

La mission première de l'agence telle qu'elle est désormais exposée au II de l'article L. 5311-1 du code de la santé publique est « l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation des produits à finalité sanitaire destinés à l'homme et des produits à finalité cosmétique », afin que l'agence ne se perçoive plus d'abord comme un guichet de délivrance d'autorisations de mise sur le marché – même si elle le demeure. L'élargissement de ses missions a consisté à lui confier notamment un rôle de soutien à la recherche indépendante, un rôle de conduite d'études de pharmaco-épidémiologie, de contrôle de la publicité – qui se fait désormais a priori – et de sécurité de la chaîne d'approvisionnement au regard des risques de rupture des stocks.

La composition du conseil d'administration est l'une des illustrations du renforcement de sa gouvernance. Si en sont désormais exclus les représentants de l'industrie pharmaceutique, en revanche, y siègent maintenant six parlementaires – trois sénateurs et trois députés –, des représentants d'associations d'usagers, de patients et professionnels de santé. Il en va de même des modifications apportées au conseil scientifique de l'agence. Son financement traduit aussi le souci de rompre tout lien avec l'industrie. L'essentiel du budget de l'agence est désormais financé par une subvention de l'État et non plus par le produit des taxes perçues auprès de cette industrie en contrepartie des activités de l'agence.

Des prérogatives et moyens accrus consistent notamment dans le pouvoir d'accéder, à sa demande et dans des conditions préservant la confidentialité des données à l'égard des tiers aux informations nécessaires à l'exercice de ses missions qui sont détenues par toute personne physique ou morale, sans que puisse lui être opposé le secret médical, le secret professionnel ou le secret en matière industrielle et commerciale. La loi lui reconnaît aussi une possibilité d'accès aux données du Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie (SNIIRAM). Contribue également fortement à l'accroissement de ses moyens le pouvoir d'injonction de respecter les textes en vigueur et d'infliger des sanctions financières. L'extension de ses moyens a consisté en 2012 dans une augmentation de ses ressources par une subvention accrue de l'État et des créations de postes.

L'agence emploie aujourd'hui plus de 1 000 personnes travaillant sur trois sites. En 2015, elle disposait d'un budget initial d'un peu moins de 130 millions d'euros, financé à hauteur d'environ 115 millions d'euros par la subvention d'État et le reste provenant, pour une large part, de versements opérés par l'Agence européenne des médicaments (EMA) en rémunération des travaux effectués par l'ANSM. L'agence comprend aujourd'hui huit directions produits, cinq directions métiers, quatre directions ressources, deux directions rattachées directement au directeur général – une direction scientifique et de la stratégie européenne, une direction de la communication et de l'information. Elle est également dotée d'un service de déontologie et d'une mission de pilotage et de contrôle interne.

En 2014, l'agence a autorisé 1 795 essais cliniques, dont 821 pour les médicaments. Elle a contribué à l'autorisation de 74 nouveaux médicaments dans le cadre de la procédure européenne centralisée, et a délivré 576 autorisations de mise sur le marché dans le cadre des procédures décentralisées et de reconnaissance mutuelle. Elle a soumis 161 substances actives à un programme de révision au titre de la révision systématique des médicaments autorisés. Elle a reçu des déclarations pour 46 497 effets indésirables concernant les seuls médicaments. Elle a mené sept études de pharmaco-épidémiologie et a financé onze projets de recherche académique.

L'agence vit depuis quatre ans une mutation importante, se traduisant par une modification radicale de son organigramme. Mais au-delà de la nouvelle arborescence matricielle de l'agence, qui traduit la diversité de ses missions et la complexité de leur mise en oeuvre, c'est à la mise en place de nouvelles méthodes de travail qu'elle s'attelle. Elle a été aidée dans cette démarche par l'enquête de la Cour des comptes sur sa mise en place, dont le rapport a été remis en novembre 2014, et par l'audit de son organisation mené par l'IGAS, qui a rendu son rapport définitif en février 2015. Ces deux rapports, ainsi que celui établi par l'IGAS en février 2007 à la suite de l'enquête relative aux spécialités pharmaceutiques comprenant du valproate de sodium, dressent le constat que le processus de réforme en cours porte ses fruits et doit être poursuivi.

Parallèlement, l'agence doit faire face à l'accroissement constant de ses missions, avec le risque que se crée un effet de ciseau entre celles-ci et les moyens de les assurer. La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé y concourt, par exemple avec l'extension du champ des missions de l'agence au logiciel d'aide à la prescription et au logiciel d'aide à la dispensation de médicaments.

Par la nature de ses missions et la portée des décisions qu'elle prend, l'agence est particulièrement exposée. Ainsi, l'accident particulièrement grave survenu lors des essais cliniques menés à Rennes pour le compte de la société portugaise Bial crée une situation exceptionnelle au plan européen et international, qui rend nécessaire de faire toute la lumière sur ses causes.

Dans ce contexte sensible, le maintien de la motivation de tous les agents de l'agence pour continuer à accomplir leur mission tout en faisant évoluer leurs méthodes de travail doit être salué. Le rôle du conseil d'administration de l'agence est particulièrement important. Aux côtés du directeur général chargé de diriger l'établissement, le conseil d'administration est en effet chargé tout à la fois de définir les orientations stratégiques de l'agence, d'adopter le contrat de performances qu'elle signe avec l'État et de décliner ses missions en programmes de travail annuels. Il est également chargé de lui donner les moyens de les accomplir, en adoptant le budget de l'agence, en arrêtant l'organisation générale de celle-ci et en décidant de ses principaux investissements, ainsi que des conditions d'emploi de ses agents. Il est enfin chargé de veiller à la bonne exécution de ses missions. La diversité de son conseil d'administration, qui compte 27 membres, contribue à la bonne réalisation de ses missions.

Le contrat de performances de l'agence pour la période 2015-2018 dégage quatre orientations stratégiques : premièrement, garantir un haut niveau de sécurité sanitaire de tous les produits de santé tout au long de leur cycle de vie ; deuxièmement, favoriser un accès rapide, encadré et large, à l'ensemble des produits de santé ; troisièmement, consolider les liens de l'agence avec les parties prenantes et améliorer leur implication ; quatrièmement, enfin, renforcer l'efficience de l'agence et poursuivre sa modernisation.

Ce sont, de façon plus détaillée, douze objectifs et vingt-deux actions qui ont été définis pour préciser son exécution et permettre son suivi. Je ne vous citerai que six de ces actions afin de vous permettre d'en mesurer la pertinence à l'aune de l'actualité. La première action est de poursuivre les procédures dédiées à la réévaluation de la balance bénéfice-risque des médicaments.

La deuxième action consiste à renforcer le développement de l'épidémiologie des produits de santé.

La cinquième action est de renforcer le positionnement de l'agence dans les instances européennes, afin que la France conserve une présence importante et efficiente dans les travaux et décisions de ces instances que sont l'Agence européenne du médicament, mais aussi le Comité pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (PRAC), qui est placé auprès de l'Agence européenne du médicament. Il est essentiel que l'ANSM soit un partenaire actif dans les processus de décision européens. Aujourd'hui, relèvent en effet obligatoirement de la procédure européenne d'autorisation de mise sur le marché tous les médicaments innovants, qu'il s'agisse de nouvelles substances actives qui n'étaient pas autorisées en 2004 et qui sont destinées au traitement du sida, du cancer, du diabète, des maladies neurodégénératives, des maladies virales, des médicaments issus de procédés biotechnologiques, ou encore les médicaments de thérapie innovante ou les médicaments orphelins. Les décisions importantes consécutives à la pharmacovigilance sont également prises au niveau européen. Il est donc essentiel que l'agence soit acteur, que ce soit en qualité de rapporteur ou de corapporteur, pour l'instruction de ces dossiers.

La neuvième action retenue dans le cadre du projet stratégique de l'agence consiste à mettre en oeuvre le règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain.

Il est prévu par la onzième action de poursuivre l'optimisation du processus d'évaluation des demandes d'autorisation d'essais cliniques.

La dix-huitième action vise à finaliser et mettre en oeuvre le schéma directeur des emplois et des compétences centré sur les métiers de l'expertise scientifique afin de renforcer l'expertise interne – tout en établissant un dialogue social de qualité, qui constitue la dix-neuvième action.

En toutes circonstances, le conseil d'administration me semble devoir inscrire ses débats et décisions dans la perspective de la mission première de l'agence, qui est de garantir la sécurité des produits de santé en suivant une double ligne directrice : d'une part, hiérarchiser les objectifs, d'autre part, veiller à garantir une adéquation entre les moyens de l'agence et ses missions.

Si, après mon audition par votre commission, le Président de la République me nomme présidente du conseil d'administration de l'agence, comme il en a manifesté l'intention, je me fixerai pour objectif de permettre au conseil d'administration d'exercer de façon efficace les responsabilités que le texte lui confie. Mettant en pratique les méthodes de délibération collégiale en usage au sein de la juridiction administrative, en faisant application d'un sens développé de l'écoute, je m'emploierai à atteindre cet objectif par la qualité des débats au sein du conseil et de leur préparation, par la fluidité des relations avec la direction générale, par la régularité et l'objectivité des relations avec l'ensemble des parties prenantes – tutelles, professions de santé, associations de patients et d'usagers, autorités européennes –, sans empiéter pour autant sur les compétences du directeur général.

J'ai conscience que, bien que les fonctions du président du conseil d'administration ne soient pas des fonctions exécutives et qu'elles ne soient pas rémunérées, la tâche qui attend le prochain président du conseil d'administration sera prenante. Dans cette perspective, j'ai d'ores et déjà pris la décision de mettre fin à certaines fonctions annexes à mes fonctions principales d'assesseur à la section du contentieux du Conseil d'État – vous comprendrez néanmoins qu'il me soit impossible de renoncer à cette fonction principale.

Je conclurai mon propos liminaire en insistant sur les valeurs collectives de l'agence, qui me semblent reposer sur un triptyque : un très haut niveau d'expertise et de compétence, une déontologie sans faille au regard des risques de conflits d'intérêts, et une très grande transparence, dans le respect des secrets protégés par la loi.

Le fait que le président du conseil d'administration soit, ès qualités, président du comité de déontologie de l'agence dans sa composition nouvellement définie, concourt à faire du conseil d'administration et de son président un garant de ses valeurs.

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