Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 25 avril 2016 à 14h30
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Mon intervention ne me fera peut-être pas que des amis. Je rappelle néanmoins aux honorables journalistes ici présents que j'ai été détenteur de la carte de presse pendant une dizaine d'années et que j'en étais très fier.

Madame Bouin, je m'intéresse à la protection des journalistes sur les théâtres de guerre et j'ai même été l'auteur, avec François Loncle, qui n'appartient pas au même camp que moi, d'une résolution que défendrait par la suite la France aux Nations Unies, portant précisément sur la protection des journalistes en temps de guerre.

Il ne s'agit pas ici de mettre en doute l'honnêteté intellectuelle ni le professionnalisme de la presse française ou étrangère. Le Président de la République l'a dit, nous sommes en guerre : c'est malheureusement vrai et il y aura d'autres attentats. Dans ces conditions, comment faire en sorte que l'information circule sans être un instrument de la bataille que nous livrent les terroristes ? Comment éviter que le bruit médiatique ne participe à l'effet de terreur recherché par nos adversaires ? C'est à mes yeux le but de la présente audition. Et c'est ce qui est intéressant dans vos interventions : vous avez pris conscience que nous sommes bel et bien en guerre et qu'il convient de changer de modus operandi.

Il est un point qui me gêne davantage au regard de l'intérêt général. Est-il possible, dans un système hyperconcurrentiel, de produire une information « fiable et sûre », respectant la vie et la dignité d'autrui ? L'information en continu oblige les journalistes à être les premiers à publier une nouvelle. Au moment où survient un événement grave, qui est aussi celui où l'on va avoir un maximum d'informations, il paraît difficile de les retenir dans un système où tout est soumis à la recherche du buzz, et donc du bruit. Il ne s'agit donc pas de vous faire un mauvais procès, mais de reconnaître vos difficultés. Mme Goutard remarquait que, si le traitement de l'information n'était pas assuré par les médias traditionnels, il le serait par les réseaux sociaux. Bref, il faut s'interroger sur la course à l'audience qui pousse à trouver un sujet, voire plusieurs, par jour – raison d'être d'une chaîne d'information continue.

Je souhaite que nous soyons tous conscients de la nécessité de tenir compte à la fois du droit à l'information – central dans une démocratie – et du fait que, dans le contexte d'une guerre contre le terrorisme, vous pouvez être les vecteurs de la terreur si vous entrez dans la logique de l'adversaire. Il faut donc mettre en place des pare-feu. Peut-être, en effet, la police doit-elle apprendre à travailler avec les médias de façon intelligente. Les policiers que nous avons auditionnés nous ont expliqué qu'il leur était très difficile d'intervenir si les préparatifs sont filmés. Je ne prétends pas détenir la solution, mais il me semble indispensable de trouver, à l'occasion des prochains attentats – car il y en aura d'autres –, le moyen d'informer le public en gardant une certaine distance.

En tout cas, une chose est sûre : vous ne pourrez pas diffuser une information « fiable et sûre » en instantané, quand bien même vous seriez le meilleur professionnel au monde. Une certaine distance s'impose, qui implique du temps. Vous devez donc établir une règle du jeu entre vous tous, à moins de considérer que la concurrence sera toujours gagnante : ce n'est pas moi, c'est Reuters, et si ce n'est pas Reuters, ce sont les réseaux sociaux… nous n'en sortirons jamais.

Je crois donc qu'il faudrait organiser une sorte de lit de justice entre les organes de presse sur cette affaire.

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