Intervention de Audrey Goutard

Réunion du 25 avril 2016 à 14h30
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Audrey Goutard, adjointe au chef de service enquêtes et reportages de France Télévisions :

Les États-Unis ont hélas l'habitude des tueurs de masse, et donc de traiter des événements extraordinaires dans des lieux publics, avec l'établissement de périmètres de sécurité, etc. Or, depuis des dizaines d'années, à l'occasion de ce genre de meurtres de masse, une personne se trouve systématiquement sur les lieux et s'exprime toutes les demi-heures en période de grande crise, au nom des autorités policières et judiciaires. Il s'agit de contenir les journalistes, et de donner ou de ne pas donner des informations.

Il serait important que nous ayons, au ministère de l'intérieur, un interlocuteur dont le rôle serait de diffuser des informations ou de nous mettre en garde. Il est vrai que ces moments sont inquiétants, nous avons peur de laisser passer une information. Il ne faut dès lors pas tomber dans un autre excès, ainsi que le soulignait Michel Field, consistant à vouloir tout retenir. J'ai en effet entendu un journaliste se demander pourquoi il n'y aurait pas un représentant de la police dans les rédactions pour nous conseiller… C'est sans doute confortable, mais en même temps très risqué. J'ai par ailleurs entendu un de ses membres se demander pourquoi le CSA ne serait pas présent au sein des rédactions à l'occasion de ce type de crise. Je ne pense pas non plus qu'il s'agisse d'une idée très judicieuse : le mieux est parfois l'ennemi du bien. Mais, si, sur les lieux mêmes de la crise, se trouvait une personne à même de nous retenir, de nous donner des informations, si nous pouvions en outre disposer d'un interlocuteur au ministère de l'intérieur, ce serait un énorme progrès.

On ne peut toutefois pas avancer que nous n'avons pas de liens avec le ministère de l'intérieur. Pour ma part, quand je suis en plateau, je suis en contact permanent avec le cabinet du ministre. Et l'on doit noter des progrès, en la matière, entre les attentats de janvier et ceux de novembre 2015.

M. Falorni a abordé la question de la diffusion d'images. Je n'ai pas vu le reportage de M6, mais nous avons tous reçu, dès les premiers jours qui ont suivi les attentats, les images de ces jeunes gens mourant autour du Bataclan. Nous avons décidé de ne pas les divulguer : nous diffusons à peine un dixième de ce que nous voyons. Sachez que ces images me hantent et que je suis traumatisée à vie par ce que j'ai visionné.

Vous avez raison, par ailleurs, de souligner que nous sommes en guerre de communication. Je suis moi-même spécialiste du terrorisme : je sais donc de quoi sont capables les membres de l'État islamique en la matière. Peut-être commettons-nous des erreurs, mais nous avons en permanence cette donnée en tête. Ainsi, lorsque nous recevons une vidéo montrant l'assaut de l'Hyper Cacher, et plus précisément Amedy Coulibaly tomber sous les balles des policiers, nous décidons de ne pas la montrer, car cette image peut être utilisée. Nous essayons en effet de nous mettre dans la tête des terroristes pour nous demander si telle ou telle image leur profiterait et pour tâcher de savoir de quelle manière ils pourraient s'en servir. C'est par souci de la dignité humaine que nous n'avons jamais divulgué les vidéos de l'horreur des attentats de novembre 2015.

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