Intervention de Jean-Paul Chifflet

Réunion du 30 janvier 2013 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Paul Chifflet, président de la Fédération bancaire française, directeur général de Crédit agricole SA :

Cette audition vient un peu à contretemps, puisqu'il n'y sera pas question de mariage mais de séparation…

La profession bancaire comprend tout à fait l'impact des différentes crises sur la société française et leurs conséquences, en termes d'image, pour les banques qui se sont livrées à des activités risquées. Ces événements ont suscité des interrogations bien légitimes.

Les grandes banques françaises ont cependant mieux traversé les crises que leurs homologues internationales : cela tient autant à la qualité de leurs actifs, à l'attention portée au système de contrôle des risques et à la diversité de leurs revenus qu'à la qualité de la supervision.

La crise de 2008 n'est pas une crise du modèle bancaire, comme le montre le profil des établissements ayant fait défaut, lesquels, en Irlande et en Espagne, se consacraient essentiellement aux prêts classiques ; tandis qu'aux États-Unis, c'est le modèle dit Glass-Steagall Act qui a failli : l'exemple de Lehman Brothers l'illustre. Les vraies causes de la crise bancaire qui a frappé l'Europe en 2008 sont à chercher dans l'accumulation d'actifs risqués dans l'immobilier – les fameux subprimes –, le décalage entre des financements longs et des refinancements trop courts, et la faiblesse de quelques superviseurs nationaux. Ces problèmes n'ont rien à voir avec la séparation proposée par ce texte qui, compte tenu du grand nombre de réformes récentes, n'était à nos yeux ni urgent, ni prioritaire. Il contient de surcroît des dispositions contraignantes pour les banques et constitue pour elles la quatrième vague de réformes, après les accords de Bâle III sur la solvabilité – les dispositions relatives aux activités de marché étant effectives depuis le début du mois – et sur la liquidité, l'Union bancaire – qui modifie substantiellement la supervision bancaire confiée en partie à la Banque centrale européenne – BCE– et les textes relatifs au fonds de garantie des dépôts et au fonds de résolution –, et enfin les débats européens suscités par le rapport Liikanen.

Nos bilans et nos comptes d'activité ne sont pas encore en phase avec ces réformes, qui d'ailleurs ne sont pas toutes entrées en vigueur. Le projet de loi dont nous parlons donne des pouvoirs considérables au superviseur : si celui-ci n'a pas pris la main assez tôt, des recherches en responsabilité pourront être engagées.

Par ailleurs, le texte permettra tout juste de préserver les activités bancaires du marché français ; il aura un impact important sur l'économie et sur la présence des banques françaises dans le monde. Nous sommes très fiers de la zone euro et nous félicitons de l'union bancaire ; mais si le coeur des activités qui les concernent est transféré ailleurs, notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis, tant l'une que l'autre s'en trouveront affaiblies.

Les banques ont d'ores et déjà réduit leurs activités de marché, et l'ont fait à la fois par choix stratégique et par contrainte, au regard notamment des exigences en matière de fonds propres – il a fallu les multiplier par 2 ou 2,5 – entrées en vigueur au 1er janvier 2013. C'est là un frein majeur, qui engage des changements structurels dont les conséquences en termes de financement, d'accès à la liquidité et d'emplois pondérés se font déjà fortement sentir. Les banques ont même dû aller jusqu'à réduire leurs effectifs.

Ce texte de résolution bancaire nous paraît équilibré et adapté aux différentes contraintes réglementaires et économiques ; pour ce qui concerne son titre Ier, qui porte séparation des activités bancaires, il nous semble important de rappeler que l'essentiel est la satisfaction des clients et l'utilité économique : évitons toute mesure qui aurait pour conséquence la disparition d'activités de marché utiles à l'économie aujourd'hui, et qui le seront plus encore demain.

Il convient, du point de vue des ratios de liquidité, de trouver l'équilibre entre les crédits et la ressource ; or celle-ci provient à la fois des marchés et des dépôts des épargnants qui, compte tenu de la fiscalité réservée à l'épargne réglementée, se détournent parfois des banques. Faute de dépôts nouveaux, les banques devront soit limiter le volume des crédits, soit les extérioriser, en d'autres termes les « titriser » en cherchant des repreneurs : les textes nous poussent d'ailleurs dans cette direction. J'ajoute que nous devons aussi, en tant que teneurs de marché, favoriser le placement de la dette souveraine française, aujourd'hui détenue principalement par des investisseurs étrangers.

Quant au titre II, il confie, comme je l'ai indiqué, des pouvoirs inédits au superviseur, exorbitants du droit commun des entreprises. La profession est par ailleurs favorable au régime de prévention des risques : il évitera sans doute des soubresauts ou des difficultés. La mobilisation des actionnaires et des créanciers nous semble tout à fait normale, même si une telle procédure devrait être réservée aux crises systémiques, afin d'éviter aux établissements la menace permanente d'une prise en main.

Nous souhaiterions enfin repousser l'application du texte de 2014 à 2017 en raison des bouleversements majeurs qu'il induit, en particulier le déséquilibre entre fonds propres et liquidités chez la filiale séparée du groupe. De telles mesures nécessitent un temps de réflexion et l'adaptation des systèmes d'information.

Enfin, la banque de détail, que traite le titre VI, a profondément changé depuis dix ans : elle s'est adaptée aux besoins des clients. Nous sommes d'ailleurs sensibles à l'idée du plafonnement des commissions d'intervention pour les populations fragiles. Toutefois, afin d'éviter certains excès en la matière, il faut savoir que, par exemple, le Crédit agricole traite 2 milliards de chèques et prélèvements par an, dont 10 % font l'objet d'une attention particulière. Si nous devions aller plus loin, cela aurait des conséquences non négligeables pour nos clients.

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