Intervention de Jean-Laurent Bonnafé

Réunion du 30 janvier 2013 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas :

Les banques françaises ont plutôt mieux traversé la crise que leurs homologues britanniques, américaines ou même belges ; même si elles n'ont pas été épargnées par les difficultés, rien n'est venu mettre en péril leur solidité.

La première raison tient à une diversification de leurs activités toujours salutaire en période de crise. De plus, le secteur reste centré sur les activités de clientèle, qu'il s'agisse des particuliers, des entreprises – de toute taille – ou des institutions. Dans les années 2000, alors que les liquidités étaient disponibles en abondance, nous avons veillé, contrairement à d'autres, à ne développer que des activités en lien direct avec les clients : cela nous a épargné certaines mésaventures.

Les catastrophes bancaires, à commencer par l'affaire Lehman Brothers, sont liées au crédit hypothécaire : la facture, pour le contribuable américain, dépasse sans doute les 1 000 milliards de dollars ; elle atteint de 500 à 700 milliards de livres sterling pour le contribuable britannique et s'avère également très élevée en Belgique. C'est l'accumulation de crédits longs dans les bilans qui présente les plus grands risques : les activités de court terme se gèrent plus facilement.

Beaucoup de choses ont changé depuis le début de la crise, concernant le capital, la liquidité et la résolution. Les accords de Bâle II et III ont contraint les banques françaises à doubler, voire tripler, leur base de fonds propres : BNP Paribas est passée, en ce domaine, de 35 à 70 milliards d'euros en l'espace de quatre ou cinq ans, alors que nos prédécesseurs avaient mis un siècle et demi à accumuler 35 milliards. C'est autant de moins, bien entendu, pour le financement de l'économie ; reste que le secteur bancaire français a fait preuve d'excellence en atteignant, par anticipation, les niveaux requis.

S'agissant de la liquidité, sang des banques et de l'économie, les ratios, en particulier le liquidity coverage ratio – LCR –, ne sont connus que depuis peu. En ce domaine, la situation de l'industrie bancaire française est moins favorable. On peut toujours débattre de la pertinence de ces ratios : ils constituent des moyennes qui, par définition, avantagent autant d'entreprises qu'ils en pénalisent. Or il se trouve que l'épargne française n'est pas représentative des pratiques ayant cours dans les autres pays : l'assurance-vie et le livret A opèrent une ponction dont nous ne discutons pas ici le bien-fondé, mais qui affecte la mobilisation de la ressource.

Par ailleurs, les crédits immobiliers étant de qualité, les banques françaises les ont toujours conservés dans leurs bilans, où ils représentent aujourd'hui 1 000 milliards d'euros. Ce financement se fera donc dans la durée.

Il faudra bien, à l'avenir, remédier à ce décalage entre emplois et ressources en rééquilibrant le financement de l'économie vers les marchés de capitaux, en cohérence avec les exigences en capital de Bâle III. Dans cette optique, il est essentiel que les banques françaises gardent une connaissance fine des acteurs des marchés, en particulier des gestionnaires d'actifs qui achètent des titres d'État, des crédits hypothécaires ou des obligations corporate.

C'est à la lumière de l'enjeu que représente la liquidité que doit être menée la réflexion sur l'évolution de l'épargne réglementée car l'épargne disponible restera toujours une somme fixe : en la matière, il n'y a jamais de miracle. Il s'agit aussi d'utiliser les marchés de capitaux comme soupape, en intéressant les investisseurs à l'économie française.

Enfin, BNP Paribas a eu à gérer la reprise et la restructuration du groupe Fortis, dont le bilan comptable représentait quelque 700 milliards d'euros, soit environ la moitié du sien. Ce dossier difficile a requis la mobilisation de tous nos moyens humains et financiers. Trois mesures auraient permis d'éviter une telle situation. La première est l'augmentation des ratios de fonds propres – quand bien même ceux-ci, en l'occurrence, ont peut-être été exagérément relevés. Par ailleurs, beaucoup d'activités menées par Fortis, notamment celles pour compte propre, n'auraient pu l'être avec les normes de liquidités dites LCR ; autrement dit, le groupe n'aurait pas rencontré, dans le contexte de Bâle III, les difficultés qu'il a connues dans celui de Bâle II. Enfin, avec des mesures de résolution, Fortis aurait été en mesure de présenter un scénario de gestion de crise.

Deux ans après cet épisode, il m'apparaît que les trois leviers essentiels sont le capital, la liquidité et la résolution. La filialisation ou la séparation d'activités n'auraient à mon avis été d'aucun secours, ni dans la prévention de la crise, ni dans sa résolution.

Bien que le projet de loi n'en dise mot, les goodwills sont souvent évoqués dans des affaires telles que le rachat de la banque Antonveneta par Monte dei Paschi. Les difficultés rencontrées par certaines banques résultent en effet de politiques d'acquisition onéreuses d'établissements concurrents évalués en multiples de fonds propres. Séduisant sur le papier, ce système s'avère particulièrement nocif et risqué : il serait bon d'y prêter attention.

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