Intervention de François Logerot

Réunion du 27 avril 2016 à 11h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques :

Je vous remercie de m'offrir l'occasion de ce contact avec la commission des Lois, très attentive aux missions de la Commission que j'ai l'honneur de présider. Sans revenir sur l'histoire et les jalons de cette dernière, je dirai simplement qu'elle fut créée pour exercer une mission nouvelle de l'État et non pour dissocier une mission déjà ancienne des administrations traditionnelles, et qu'à l'époque il n'avait pas été envisagé de confier cette mission nouvelle à une institution existante, telle que la Cour des Comptes, dont ce ne paraissait pas être la vocation.

Cette Commission n'a pas, comme d'autres autorités administratives indépendantes, la mission de défendre des libertés publiques. Elle n'a pas non plus de pouvoir de régulation économique ni de pouvoir normatif. C'est une institution originale présentant les caractéristiques habituellement reconnues par la doctrine aux autorités administratives indépendantes.

C'est une autorité parce qu'elle prend des décisions pouvant, dans certains cas, faire grief. Elle est administrative en ce sens qu'elle n'est pas une juridiction et que ses décisions sont au contraire soumises au contrôle du juge, dans des conditions originales : non seulement ses décisions de réformation des comptes de campagne sont soumises au juge administratif de droit commun, c'est-à-dire au tribunal administratif de Paris, mais, en outre, les décisions par lesquelles elle constate l'absence de dépôt ou le dépôt hors délai d'un compte de campagne, ainsi que celles par lesquelles elle rejette un tel compte, sont obligatoirement transmises au juge de l'élection, qui est, suivant le cas, le tribunal administratif, le Conseil d'État, ou – dans le cas des parlementaires et du Président de la République – le Conseil constitutionnel. Et c'est le juge administratif qui peut, dans certaines conditions, prononcer, pour un délai variable, l'inéligibilité du candidat dont la situation a été déférée. Enfin, c'est une institution indépendante, de par ses conditions de nomination par les présidents des trois grandes juridictions à compétence nationale. Comme pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), le président de l'institution est élu par ses pairs.

C'est une organisation légère. Ses neuf membres sont très impliqués dans l'activité de la Commission : ils y exercent la fonction de rapporteurs généraux, présentant les dossiers au collège. En période de contrôle des comptes des élections générales, les membres de la Commission consacrent à ce contrôle un gros mi-temps qui peut confiner, certaines semaines, à un véritable plein temps. Pour le président également, c'est une occupation à plein temps dans ces périodes. Nous avons ainsi tenu 97 réunions en 2015, dont environ soixante-dix ont été consacrées au contrôle des seules élections départementales – puisqu'il y avait 9 097 binômes de candidats. La Commission dispose d'un effectif permanent de collaborateurs assez réduit : trente-quatre personnes. Parmi les fonctions de soutien, la fonction informatique est particulièrement développée, la Commission s'étant dotée d'un progiciel de contrôle des comptes de campagne permettant aux rapporteurs de travailler depuis leur domicile dans toute la France, par le biais d'un intranet sécurisé. Cette application informatique est particulièrement complexe et en voie d'amélioration constante. L'effectif permanent se trouve renforcé d'une douzaine d'éléments dans les périodes de contrôle des comptes de campagne et d'un vivier de 150 à 200 rapporteurs dans les périodes de grande activité, payés à la vacation et travaillant pour l'essentiel à domicile. Il s'agit le plus souvent de magistrats ou de fonctionnaires retraités.

La Commission s'est vu confier deux rôles tout à fait différents dans leur portée et leur organisation.

Le premier a trait au financement des partis politiques. Je suis souvent amené à expliquer aux représentants des médias que notre commission, en ce domaine, n'exerce pas un véritable contrôle, mais plutôt une surveillance du respect par les partis des obligations fixées par la loi du 11 mars 1988. En effet, la législation sur les partis politiques a instauré des règles de financement qui doivent être compatibles avec une disposition fondamentale de la Constitution de 1958, son article 4, qui reconnaît aux partis politiques le droit de se constituer et d'agir librement.

Les obligations qui sont imposées à ces derniers sont de nature comptable : ils doivent remettre chaque année à la CNCCFP des comptes certifiés avant le 30 juin et ne peuvent recevoir de dons que de personnes physiques, par l'intermédiaire d'un mandataire – personne physique ou association de financement. La Commission exerce donc un contrôle de second rang, après celui qu'exercent les commissaires aux comptes, qui porte limitativement sur l'obligation comptable proprement dite et sur le respect des dispositions précises de la loi quant à l'origine et au montant des ressources – par exemple le respect du montant des plafonds de dons de personnes physiques. Nous n'exerçons, bien entendu, aucun contrôle de fond sur les dépenses et l'organisation des partis politiques. Simplement, la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a élargi les possibilités de contrôle de la Commission : celle-ci peut demander des justifications détaillées sur les postes figurant au bilan au titre des emprunts d'un parti, afin de s'assurer qu'il ne s'agit pas de dons déguisés ; la loi soumet désormais aussi les dons de personnes physiques à un plafond de 7 500 euros, non plus pour chaque parti mais pour l'ensemble des partis chaque année – ce qui impose à la Commission de mettre en place un logiciel de contrôle assez sophistiqué. Actuellement à l'étude, ce logiciel n'est pas encore développé, si bien que nous n'exerçons pour l'instant que des contrôles par sondage sur les dons les plus importants.

À l'égard des candidats aux élections, la Commission exerce au contraire un contrôle des comptes de campagne devant aboutir soit à l'approbation, soit à la réformation de ces comptes. Au terme d'une procédure contradictoire, elle procède alors au retrait de certaines dépenses, ce qui peut avoir pour conséquence la diminution du remboursement de l'apport personnel ayant servi à les financer. Dans un petit nombre de cas, il arrive que la Commission procède au rejet du compte, aboutissant à la saisine du juge de l'élection. Il ne s'agit pas d'un contrôle par sondage car, comme il s'agit de déterminer le montant du remboursement sur fonds publics de l'apport personnel du candidat, nous devons examiner l'ensemble des dépenses et des recettes du compte. Mais j'insiste sur le fait que ce contrôle s'exerce sur une base déclarative et non pas inquisitoriale : c'est sur la base du compte déclaré que nos rapporteurs demandent des justifications complémentaires et des pièces manquantes. Nous n'avons pas de pouvoir direct d'investigation, encore moins de nature policière. Nous pouvons saisir, le cas échéant, la brigade financière, mais les délais auxquels nous sommes astreints ne nous permettent pas de faire appel à ce moyen – qui resterait de toute façon un moyen d'exception. Et, bien entendu, ce contrôle est soumis à des voies de recours : nos décisions de réformation et de rejet peuvent être déférées au tribunal administratif de Paris, et le candidat peut apporter toute justification utile au juge de l'élection.

Plusieurs contraintes s'imposent à notre Commission.

Tout d'abord, nous évoluons dans un cadre juridique relativement complexe, mais qui présente la caractéristique d'être extrêmement précis sur certains points, notamment par les contraintes qu'il impose au candidat : désigner un mandataire au plus tard au moment où sa candidature est enregistrée ; présenter son compte par l'intermédiaire d'un expert-comptable – ce qui est une lourde charge, puisque même les candidats dont les dépenses ne sont pas remboursables doivent malgré tout avoir recours à un tel expert et, par conséquent, payer ses honoraires. La Commission a d'ailleurs, je le rappelle, émis le voeu que le recours à l'expert-comptable soit facultatif pour les candidats n'ayant pas atteint 5 % des suffrages exprimés.

Autant le code électoral est précis – et, de l'avis de certains candidats, trop contraignant – dans certains aspects, tels que l'interdiction de toute dépense directe par le candidat, autant il reste général sur certains points. Ainsi, il n'y a pas de véritable définition de la dépense électorale. J'entends bien qu'on ne puisse dresser une liste exhaustive des dépenses qui sont électorales et de celles qui ne le sont pas. Mais ce sont finalement la jurisprudence et la doctrine de la Commission qui ont été amenées, au fil des années, à définir les limites entre les dépenses électorales et les dépenses qui, bien qu'occasionnées par la campagne, n'étaient pas considérées comme électorales : dépenses personnelles, internes à l'équipe de campagne, ou liées à la campagne mais effectuées après le scrutin. Selon la définition jurisprudentielle, la dépense est électorale si elle s'adresse directement aux électeurs et vise directement l'obtention de leurs suffrages.

Nous sommes également confrontés à la difficulté de prévoir les moyens qui nous sont nécessaires. En effet, la charge de travail qui nous est imposée dépend de décisions extérieures, c'est-à-dire du nombre de candidatures à chaque élection et de la création ou de la disparition de partis. Sur bien des aspects, notre Commission effectue des contrôles de masse. Il y a actuellement plus de 430 partis enregistrés auprès de la Commission, soumis aux normes et bénéficiant des droits que donne la loi du 11 mars 1988. Mais seule une cinquantaine de ces partis ont droit à l'aide publique directe, en fonction de leurs résultats au premier tour des élections législatives et pour la seconde fraction du nombre de parlementaires qui se réclament d'eux.

En ce qui concerne les élections, nous effectuons aussi des contrôles de masse. Compte tenu du fait que les candidats qui recueillent moins de 1 % des suffrages et qui n'ont pas bénéficié de dons sont exonérés de l'obligation de dépôt de leur compte de campagne, nous avons contrôlé 4 382 comptes au terme des élections législatives de 2012 et 9 097 comptes après les élections départementales de 2015. Lorsqu'il s'agit au contraire d'un petit nombre de comptes, comme par exemple aux élections européennes et régionales – a fortiori, à l'élection présidentielle –, il s'agit de comptes très volumineux. Ainsi, aux élections régionales, plusieurs comptes frôlaient les deux millions d'euros, et un certain nombre d'entre eux le million d'euros – sommes considérables, correspondant à des centaines d'opérations à vérifier.

Autre contrainte, celle du délai, puisque nous n'avons que deux mois à partir du dépôt des comptes pour statuer lorsque l'élection donne lieu à un contentieux, même si ce dernier est soulevé pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les comptes de campagne : le juge de l'élection veut s'assurer que la décision qu'il prendra, par exemple, de rejeter le recours qui lui est soumis ne sera pas suivie, plusieurs mois après, par un autre contentieux naissant de ce que la Commission aurait rejeté le compte du candidat élu – ce qui l'amènerait à se prononcer deux fois de suite, éventuellement de façon divergente, ce que le législateur a voulu éviter à juste titre. Pour les autres comptes, nous avons six mois, mais même ce délai de six mois s'avère très juste, et nous avons à chaque fois le souci d'être en mesure de rendre nos décisions sur l'ensemble des comptes avant son expiration puisque, si ce n'était pas le cas, le compte qui nous est soumis serait réputé approuvé même s'il comportait par hypothèse des irrégularités.

La Commission doit s'adapter en permanence à l'évolution de ses missions, notamment pour appliquer la loi lorsqu'elle est modifiée. À cet égard, je pourrai éventuellement, si la question m'est posée, décrire les conséquences, pour nous, des lois qui viennent d'être publiées ces jours derniers. Elle doit s'adapter aussi dans son fonctionnement interne, c'est-à-dire se doter d'un règlement intérieur rénové, tenant compte notamment des obligations déontologiques, pour l'instant inscrites dans des procès-verbaux de la Commission et qui mériteraient de l'être dans un véritable règlement intérieur.

Une autre perspective d'évolution consiste, pour la Commission, à progresser sur la voie complexe de la dématérialisation. S'agissant des partis importants, des progrès ont déjà été accomplis : nous offrons par exemple la possibilité de dématérialiser entièrement les opérations de justifications des dons de personnes physiques. Pour l'instant, seuls quelques grands partis ont eu recours à ce procédé, qui marque un progrès par rapport aux procédures papier. En ce qui concerne les comptes de campagne, nous sommes en train de réfléchir aux moyens de progresser en ce domaine. Si la dématérialisation du compte de campagne lui-même ne paraît pas poser trop de problèmes, sauf peut-être pour des candidats à des élections locales qui n'en auraient pas nécessairement les moyens, la perspective d'une numérisation complète de toutes les pièces justificatives est en revanche beaucoup plus délicate. Dans nombre de cas, cette numérisation est en soi une opération lourde et dispendieuse qui, peut-être, excède l'intérêt de la dématérialisation elle-même. Ce sujet est actuellement à l'étude à la Commission.

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